Tapis rouge, paillettes et caméras, la cérémonie des Oscars est pour tous.tes un rêve qui devient réalité : la reconnaissance absolue du public et de l’industrie du cinéma à tous.tes les acteur.ices, réalisateur.ices ou technicien.nes qui se sont battu.es pour la mériter. C’est du moins ce que l’on pourrait croire. La cérémonie emblématique continue de perpétuer les mêmes stigmates qui ont façonné sa création en 1929, révélatrice des stéréotypes et discriminations ancrés aussi bien au cœur de notre société que dans l’industrie du cinéma. Quels mécanismes ont alors permis il y a près d’un siècle et permettent encore aujourd’hui d’instiller une tradition légendaire de racisme et d’ignorance au sein d’un des évènements les plus importants de l’industrie cinématographique ?
Article écrit par Cloé Garnier
Il était une fois les Oscars
Depuis sa première cérémonie il y a 94 ans, lors d’un dîner privé à l’Hôtel Roosevelt à Hollywood, devant 250 convives, les Oscars visent à récompenser les meilleurs films, performances, costumes, maquillages et réalisations de chaque année. Des règles très précises ont été établies par l’Académie américaine des Arts et des Sciences du cinéma, qui organise et gère le déroulement des Oscars depuis lors. Ainsi, les nominés et les lauréats sont choisis sur deux tours de scrutin. Qui, au sein de l’Académie, a donc le privilège de droit de vote pour la cérémonie? Il s’agit pour la plupart d’artistes et de professionnels américains. Quinze secteurs d’activité sont représentés : acteurs, réalisateurs, producteurs, auteurs, scénaristes, musiciens, etc. Pour devenir membre, il faut être invité par l’Académie après s’être distingué par son travail dans le domaine cinématographique. Une candidature peut être soutenue par au moins deux personnalités déjà membres dans le même secteur d’activité. Après étude de leur dossier, la décision finale revient au Conseil des gouverneurs de l’Académie.
Les lauréats sont donc élus par un jury, lui-même issu de l’élite d’Hollywood. Dans une industrie où biais, discriminations et boys club opèrent déjà à l’étape de la création, on comprend alors que ce sont ces mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre lors de la cérémonie de récompenses. Si la misogynie, l’argent et les préjugés ont façonné les célébrations d’Hollywood, comme l’examine l’auteur Michael Schulman dans son livre « La guerre des Oscars », ces valeurs sont alors par conséquent instillées dans le système de la cérémonie elle-même, ce depuis sa création. Aujourd’hui, pour qu’un film soit nommé aux Oscars, il faut qu’il soit considéré en majorité par le jury, composé de milliers de professionnels eux-mêmes validés par d’autres professionnels… Les chances d’y voir figurer des profils diversifiés, avec un point de vue unique et des perspectives nouvelles sur le monde du cinéma, reflétés par leurs votes, sont alors minces. Selon la BBC, en 2016, le conseil d’administration de plus de 5 000 membres ne comptait que 554 membres de couleur.
Comme l’a récemment déclaré l’ancienne présidente de l’Académie, Cheryl Boone Isaacs, : « C’était l’industrie : vous balayiez la salle du regard, et tout le monde se ressemblait. Mais les gens ne comprenaient pas ce qui se passait. Les membres disaient : « Nous sommes des professionnels, nous votons simplement pour le meilleur ».
Une académie pas si progressiste
L’académie a souvent été moins progressiste que ses membres voudraient nous le faire croire, se montrant en retard pour les changements politiques et culturels avant de jouer un jeu désespéré de rattrapage. Ces problèmes ont été mis en évidence de manière plus importante, ou du moins plus récente, mais la lutte n’est pas nouvelle. En 1973, l’actrice et militante apache Sacheen Littlefeather s’était attirée huées de la foule et des menaces de l’acteur John Wayne après avoir refusé le prix du meilleur acteur au nom de Marlon Brando pour protester contre la représentation des Amérindiens à Hollywood. Lorsque Hattie McDaniel est devenue la première actrice noire à remporter un Oscar en 1939, elle a été placée sur une table ségréguée à l’arrière de la cérémonie de remise des prix et s’est vu refuser l’entrée à l’after party « réservée aux Blancs ». Au cours de la dernière décennie, les Oscars ont attribué 74 nominations à des personnes de couleur, tandis que 72 créateurs blancs ont reçu des nominations rien que pour l’année 2011. Bien sûr, les quatre principales catégories d’acteurs – meilleur acteur, meilleur second rôle masculin, meilleure actrice et meilleur second rôle féminin – sont déjà réparties par genre, ce qui signifie qu’il y aura chaque année dix nominés masculins et dix nominés féminins. Mais si les catégories d’acteurs n’étaient pas genrées, comme toutes les autres catégories, y aurait-il eu autant de femmes nommées ? Si nous laissons les données parler, la réponse semble toute trouvée.
#OscarsSoWhite : le récit d’une industrie
Avant 2015 et l’hashtag aux airs de campagne de justice sociale, la crise avait été contenue. Le fait que 92 % des grands réalisateurs étaient des hommes et que 86 % des grands films mettaient en scène des acteurs blancs dans des rôles qui ne dominait pas souvent l’actualité du divertissement, encore moins lors de la plus grande soirée d’Hollywood.
Mais il y a huit ans, une avocate spécialisée dans le financement des campagnes électorales, April Reign, a posté le tweet suivant « #OscarsSoWhite they asked to touch my hair ». Le tweet devenu viral était en réponse à l’annonce des nominations aux Oscars. Sur les 20 nominations données pour la meilleure performance (5 dans chacune des 4 catégories), aucune ne comprenait une seule personne de couleur. L’année suivante, l’incident s’est reproduit et l’hashtag est redevenu tendance, ce qui a suscité une vive réaction et une controverse au sein de l’Académie.
Des plaintes sur le problème racial des Oscars avaient été formulées depuis des décennies, mais avec ce hashtag, il a finalement atteint les médias grand public. Le problème de diversité ancré dans les Oscars a soudainement fait la couverture des journaux du monde entier et a été débattu à la télévision. Tandis que les voix des piliers de la communauté cinématographique noire, dont Spike Lee et Jada Pinkett Smith, ont été entendues pour la première fois et ont mené à un boycott des Oscars en 2016. En conséquence, l’Académie a tenu une réunion d’urgence et a promis qu’elle doublerait le nombre d’hommes et de femmes de couleur participant au processus de vote.
L’Académie en mode crise
Après la diffusion du hashtag #OscarSoWhite, les Oscars ont donc fait une promesse. Le nombre de votants de couleur a augmenté depuis 2016, passant de 554 membres à 1 787 membres en 2021, un chiffre encore très faible. Si l’académie continue à construire un conseil d’administration diversifié, le problème deviendra de moins en moins répandu. Tenir l’académie responsable et la faire tenir sa promesse est la seule façon de s’assurer que les voix des personnes de couleur soient entendues.
Bien que les données dressent un tableau inquiétant de l’inclusivité de l’Académie au fil des ans, le fait de souligner ces problèmes semble avoir entraîné un certain changement. L’expert en matière de récompenses, Erik Anderson, le fondateur d’Awards Watch, est d’accord. Il a déclaré qu’il pensait que l’Académie « s’améliorait ».
« En quatre ans, nous avons eu Moonlight, La Forme de l’eau, Green Book et Parasite comme lauréats du meilleur film. Seul Green Book représente le type de victoire régressif qui était courant auparavant, mais les trois autres représentent une nouvelle Académie, robuste et audacieuse », a déclaré M. Anderson.
La directrice de l’exploitation de l’Académie, Christine Simmons, a déclaré que l’Académie se consacrait à la création d’un changement durable et qu’elle avait déjà fait des progrès significatifs, notamment en invitant un ensemble plus diversifié de cinéastes à se joindre à elle. Les femmes représentaient 45 % des effectifs de l’année dernière. 36 % des nouveaux membres de l’Académie étaient issus de groupes ethniques sous-représentés, et 49 % étaient internationaux. En 2020, l’Académie a annoncé qu’elle avait dépassé les objectifs fixés en 2016, ayant doublé le nombre de membres féminins, passant de 1 446 à 3 179, et triplé ses membres de couleur, passant de 554 à 1 787.
« Nous essayons de défaire des siècles d’oppression sociétale », a ajouté M. Simmons.
Mais l’avancée la plus significative de l’Académie est l’ensemble des normes d’inclusion qu’un film doit respecter pour pouvoir être nommé dans la catégorie du meilleur film. Les règles stipulent qu’un film doit répondre à deux des quatre critères suivants : avoir des acteurs et des équipes issus de groupes minoritaires. Le film doit également présenter des scénarios ou des thèmes centrés sur des personnes issues de groupes sous-représentés. Certaines critiques déplorent cette nouvelle norme, estimant qu’elle pourrait entraîner une baisse de la qualité, tandis que d’autres affirment que ces normes pourraient être remplies trop facilement. Le temps nous dira si ces mesures conduisent à un changement substantiel.
Le mot de la fin
Il est clair qu’il reste du chemin à parcourir : la communauté LGBQTIA+ reste sous-représentée devant et derrière la caméra et il reste à voir si la victoire du meilleur film de l’année dernière pour un film qui n’est pas en anglais ou les multiples nominations de réalisatrices de cette année seront un modèle ou une anomalie. Mais le progrès, même s’il est fait à contrecœur, est difficile à inverser et l’avenir des Oscars semble plus prometteur que jamais. Des progrès en demi-teintes donc, comme l’exemplifie si bien les 11 nominations de « Everything, Everywhere, All at once » pour cette 94ème édition des oscars. Une avancée pour la communauté asiatique dans l’industrie, certes, mais bien trop tardive. Si elle venait à gagner, la favorite Michelle Yeoh deviendrait la première femme asiatique à remporter l’Oscar de meilleure actrice dans un rôle principal.
« Quatre-vingt-quinze ans d’Oscars », a-t-elle déclaré. « Bien sûr, je suis aux anges, mais je me sens triste car je sais qu’il y a eu d’incroyables actrices asiatiques qui m’ont précédée, et que je me tiens sur leurs épaules. J’espère que cela va briser ce foutu plafond de verre à l’infini, que ce mouvement va continuer, et que nous verrons davantage de nos visages là-haut. »