Le 23 avril 2022, dans la lignée de la marche du 25 avril 2021 était organisée à Paris une marche lesbienne à l’occasion de la journée de la visibilité lesbienne, le 26 avril. Cette manifestation est décrite par beaucoup comme plus politique que les marches des fiertés LGBTQ+ organisées tous les ans à travers le monde au mois de juin. Les lesbiennes ne défilent pas pour faire la fête (bien qu’il ne s’agisse évidemment pas du but premier de la Pride), mais pour être vues, montrer qu’elles existent, et que les lesbiennes ne se ressemblent pas. Si les histoires et expériences lesbiennes sont aussi diverses qu’il existe d’être humains, il est cependant difficile de se retrouver dans le paysage des personnalités LGBT médiatisées. Dans ce deuxième volet sur les identités et luttes lesbiennes, tentative de dessiner une mosaïque lesbienne.
Article écrit par Caroline Dibobe
Avant de lire cet épisode, n’hésitez pas à lire l’épisode 1.
Les relations lesbiennes : plan cul sans amour ou chaste amitié
Pour de nombreuses lesbiennes de ma génération, La Vie d’Adèle a été la seule représentation lesbienne avec laquelle elles ont grandi. Pour Thy-Lan, voir ce film à 14 ans a été terrifiant. Et pour cause : commençons par la lesbophobie à l’encontre d’Adèle. Si dans la bande-dessinée de Jul’ Maroh, c’est bien l’amie d’Adèle qui lui assène des phrases assassines et lesbophobes, les insultes se résument à une bulle, alors que cet épisode donne lieu à une longue scène dans le film. Un épisode du genre est attendu dans un film qui traite d’homosexualité, sorti en 2012. Mais dans cette scène, ce n’est pas seulement à de la lesbophobie qu’est confrontée la spectatrice, mais aussi à une absence cruelle de sororité. Alors qu’autour, les garçons n’attaquent en rien l’ami avec lequel Adèle s’est rendue dans des bars gays, ils se réjouissent même de ce spectacle de jeunes filles qui se déchirent.
La principale critique faite et à faire au film de Kechiche cependant, par l’auteur de la BD originale également, c’est la place des scènes explicites et crues. Adèle et Emma ne se parlent pas, alors même que Clémentine et Emma dans l’œuvre de Maroh s’inondent de “je t’aime” la première fois qu’elles font l’amour. Les rapports montrés dans le film sont silencieux, crus, presque animaux, et sans aucune intimité. Pas un regard amoureux, pas un “comme tu es belle”, alors même qu’une internaute récolte des milliers de likes avec ce tweet: “Lesbian porn is unrealistic because they don’t say “you’re SO soft” every 5 seconds”. (Le porno lesbien c’est pas réaliste parce qu’elles ne se disent pas “Tu es TELLEMENT douce” toutes les 5 secondes). Non seulement elles sont constamment nues, mais leur relation est également constamment ramenée à leur sexualité : une nuit, après leur séparation, Adèle rêve d’Emma. Je rectifie : elle rêve de ses ébats avec Emma et est réveillée par ses propres gémissements. Après chaque scène de sexe, les corps sont entremêlés entre-eux de telle sorte à ce qu’on soit face à des membres épars, comme découpés. Nous pourrions continuer à énumérer les raison pour lesquelles ce film ne fait de bien en rien aux lesbiennes, mais nous nous contenterons de dire que les analogies entre les huîtres et le sexe féminin sont dépassées.
Autre film qui a fait bien des ravages, chez des lesbiennes un peu plus âgées : Gazon Maudit de Josiane Balasko. Josiane Balasko n’est pas lesbienne et cela se voit, rien qu’au fait que le mot “lesbienne” n’apparaisse pas une fois dans un film situé dans les années 90. Marie-Jo, la lesbienne butch incarnée par la réalisatrice, n’est désignée que par les termes de camionneuse, gouine, brouteuse de gazon… Alors que dans La Vie d’Adèle, les lesbiennes sont sexualisées au possible, ici, Balasko arrive à les désexualiser au maximum en faisant dire à son personnage, à presque 40 ans et toute une vie de relations sexuelles uniquement avec des femmes, qu’elle est vierge. Autrement dit, la lesbienne n’est allée au bout de sa sexualité que lorsqu’elle se soumet à l’acte du coït avec un homme cis.
Puisqu’il faut tout de même rendre à César ce qui appartient à César, je reconnaîtrais qu’une scène m’a touchée : celle pendant laquelle Loli, après son premier baiser avec Marie Jo, retourne au lit, sourire béat aux lèvres, sur fond de Dalida qui chante Love in Portofino. Mais le moment est terni par la présence du mari de Loli, qu’elle rejoint dans son lit. On ne peut pas tout avoir…
Dans l’imaginaire collectif, grâce à ce genre de productions, la lesbienne est bien souvent hyper sexualisée. Cette hyper sexualisation existe de pair avec une totale désexualisation des lesbiennes : il s’agit alors d’en faire tout simplement de très bonnes amies, pour ainsi minimiser leur liens. Tout le monde le sait, les lesbiennes ne sont pas vraiment amoureuses, ce n’est que de l’amitié très forte, qu’elles n’arrivent pas à différencier de l’amour, le vrai, qu’on porte à un homme. Ce déni nous mène tout de même à lire des choses assez lunaires, comme les articles décrivant la relation entre Marianne et Héloïse dans Portrait de la jeune fille en feu comme une “très belle amitié”. Si l’histoire invisibilise les homosexuelles femmes ou hommes (on se souvient toutes de nos cours de français sur Rimbaud et Verlaine, les meilleurs amis inséparables), les lesbiennes sont malheureusement beaucoup plus souvent victimes de ce sort. On les connaît peut-être, mais on ne sait pas qu’elles sont lesbiennes. Dans le premier épisode de la web-série Le cas Rosa Bonheur, des passants sont mis en difficulté lorsqu’on leur demande de citer 10 lesbiennes, mortes ou vivantes. L’expérience n’a pas été réalisée ici, mais les résultats auraient sûrement été légèrement plus glorieux si l’on avait demandé de citer des hommes homosexuels… Dans le même épisode, la propriétaire actuelle du château de Rosa Bonheur déclare que selon elle, Rosa Bonheur n’était pas lesbienne. (Oui, nous parlons bien de la peintresse qui a vécu toute sa vie avec sa compagne Nathalie Micas avec laquelle elle est enterrée…) Comme le dit la chanson, l’histoire déteste les amants, et peut-être encore plus les amantes. Les lesbiennes, s’il n’y aucun moyen de nier leur affection pour d’autres femmes, sont toujours cantonnées au rang d’amies, une affection d’un autre ordre est inimaginable et j’en prends pour témoin la réaction de ma propre mère quelques semaines après lui avoir dit pour la première fois qu’une fille me plaisait : “C’est une très bonne amie comme [insérer prénom de ma meilleure amie]?”. Oui maman, nous sommes amies, comme les amies de ces tableaux. Ces peintures, toutes peintes par des hommes, sont un véritable condensé de la vision qu’ont les hommes et donc la société patriarcale de manière plus générale sur les relations lesbiennes: des relations sexuelles, pour le regard des hommes, sans sentiment amoureux, seulement une amitié très forte.
On a évoqué ici la figure de la lesbienne au prisme de ses relations avec les autres femmes. Mais la lesbienne, existe aussi individuellement. Dans l’imaginaire collectif, la lesbienne est celle au look assez excentrique, la “meuf aux cheveux bleus”. La seule lesbienne que le regard patriarcal reconnaît, c’est la lesbienne visible. Dans le cas de la butch, cette lesbienne à l’allure masculine, il est clair qu’elle n’existe pas pour le regard masculin, pour les hommes c’est un ovni dont ils n’arrivent pas à se saisir. C’est la lesbienne visible mais aussi la lesbienne insaisissable, qui échappe.
Supposons alors qu’une femme cisgenre et hétérosexuelle se défasse de tous ces biais sexistes et lesbophobes, et qu’on lui demande de se représenter une lesbienne. Il est plus que probable que la personne qu’elle ait en-tête soit blanche, cisgenre, riche… Lorsque je demande à Lucie qui réalise un documentaire sur le rapport des lesbiennes aux vêtements et à la politique dans le cadre de ses études aux Beaux-Arts de Rouen ce qu’elle pense de la représentation des lesbiennes, le constat est bien triste, et elle énumère longuement les lesbiennes qu’on ne voit pas représentées. “On ne voit pas de lesbiennes pauvres, pas de lesbiennes handicapées, il n’y a quasiment que des lesbiennes blanches…” Et si la lesbienne non-blanche est aussi peu représentée, aussi peu visible, c’est peut-être aussi que, souvent, il y a l’idée que l’homosexualité, c’est “un truc de blancs”. En discutant avec Hawa, 20 ans, je me rends compte de l’importance de ces représentations, qui permettent de renouer avec une culture qu’on croyait totalement homophobe : “Le fait d’avoir eu plus de représentations LGBT noires dans ma vie m’a aidée car j’avais l’impression que les communautés noires étaient forcément homophobes et que l’homosexualité c’était un truc d’occidentaux, qu’ils étaient les seuls à pouvoir l’accepter parce qu’ils étaient “plus avancés”. En réalité, les sociétés africaines n’étaient pas forcément homophobes, elles ont appris à l’être : l’homophobie c’est une notion introduite par le colonialisme.”
Voir des lesbiennes qui font chaud au coeur
Si La Vie d’Adèle et Gazon Maudit ont effrayé des générations de lesbiennes, persuadées que les relations entre femmes étaient dévastatrices et violentes, ou au mieux qu’un homme était toujours engagé dans l’histoire, d’autres représentations, plus fidèles, plus vraies, permettent aux lesbiennes de se retrouver, de se voir. Le succès du Portrait de la jeune fille en feu, réalisé par Céline Sciamma en 2019, parle pour lui-même, et je pense que nombre de critiques expliquent mieux que moi en quoi ce film est fantastique, et un souffle d’air frais pour les lesbiennes. La popularité du film, qui a su toucher un public international, est témoin également de la nécessité de bonnes représentations lesbiennes dans l’art et la pop culture. “Il y a pleins de films, séries françaises qui sont devenues hyper populaires à l’international en grande partie parce qu’il y a des lesbiennes dedans”, me dit Louise, étudiante en médecine, lors de notre entretien. “Quand je regarde les commentaires de SKAM France, ils sont vraiment dans toutes les langues, alors qu’il y a eu plein d’adaptations. Les lesbiennes ont envie de voir d’autres lesbiennes.”
Dans ces deux exemples, c’est de lesbiennes blanches cis, valides, non pauvres dont il s’agit. On peut alors essayer d’aller voir du côté de La Belle Saison, de Catherine Corsini, romance lesbienne entre Delphine (Izïa Higelin) qui a grandi à la campagne et agricultrice elle-même, et Carole (Cécile de France), enseignante à Paris et membre du MLF. Si les deux lesbiennes sont blanches, il nous est permis d’entrapercevoir les décalages dans l’expérience du lesbianisme dans un milieu rural assez conservateur et dans un milieu citadin, bourgeois, à gauche, et relativement progressiste. Dans notre pêche aux lesbiennes sur grand et petit écran, continuons de chercher plus de diversité encore : s’il n’est pas central dans le film, le personnage d’Erin interprété par DeWanda Wise dans Someone Great de Jennifer Kaytin Robinson (2019) nous offre non seulement une représentation de lesbienne noire, mais en plus dans une relation absolument non-blanche. Plus loin encore, nous avons le film coréen de Park Chan-Wook The Handmaiden. Adaptation du roman de l’autrice anglaise lesbienne Sarah Waters Fingersmith (Du bout des doigts) paru en 2002, l’intimité entre les deux personnages féminins est montré comme une alternative saine face aux relations avec les hommes, qui sont toujours dépeintes comme étant violentes et dénuées d’affection. Pendant presque 3 heures, l’affection naît, grandit et s’affirme entre Hideko et Sook-hee. La tension sexuelle présente dès le début du film ne réduit pas les deux femmes à des morceaux de chair dont les rapports seraient à destination du regard masculin : il s’agit véritablement de deux femmes qui s’aiment et font l’amour, se couvrent de mots doux et se délectent dans le plaisir qu’elles se donnent l’une à l’autre. L’intrigue est située dans la Corée occupée par le Japon, et l’Occident est ce monde lointain, dont on retrouve l’influence certes, mais toujours annexée aux cultures coréennes et japonaises comme conséquence du colonialisme. Dans The Handmaiden, il est plus qu’adéquat de voir des lesbiennes utiliser des boules de geisha entre elles.
Quid des lesbiennes qui ne sont pas de papier ?
Dans Le Génie Lesbien (2020), Alice Coffin insiste sur la nécessité des coming out de personnalités publiques. Voir des lesbiennes dans des oeuvres de fiction, même bien représentées, ne suffit pas : il faut qu’à un moment, cette fiction devienne réalité. C’est là que le coming out devient un acte politique : il s’agit alors d’empêcher autrui de nier notre identité, comme essaie de le faire l’actuelle propriétaire du château de Rosa Bonheur. Se montrer en tant que lesbienne, c’est montrer aux autres la possibilité d’une existence en marge si ce n’est hors de l’heteropatriarcat. Grande fan d’Adèle Haenel, (je l’ai présentée à des amies italiennes comme la lesbienne nationale de France lorsque je leur ai fait voir Portrait de la jeune fille en feu) notamment du fait de ses prises de positions politiques, elle s’inscrit bien dans mon capital culturel, dans mon monde et mes références, même sans me ressembler. Mais combien d’autres lesbiennes se retrouvent en elles ? Combien ne la connaissent pas, n’ayant pas la possibilité de voir les films d’auteur dans lesquels elle apparaît ?
La question de l’accessibilité pour une population rurale à certaines ressources lesbiennes, qui restent cantonnées aux cercles métropolitains voire parisiens est complexe, bien qu’Internet ait aidé à réduire ces écarts entre gouines des villes et gouines des champs. Sans réellement trouver de réelle solution, faire entrer les lesbiennes dans la pop culture est certainement le moyen le plus aisé de lisser ces disparités. Le règne d’Ellen DeGeneres (dont l’identité lesbienne n’est d’ailleurs pas sa marque de fabrique) sur les lesbiennes pop est révolu, et l’évolution du “Vanity Fair du Gouinistan” qu’est la newsletter et compte Instagram Lesbien Raisonnable le montre bien. Nous reviendrons sur l’immense pierre à l’édifice de la culture lesbienne que représente “le monstre et le bébé” de Lauriane, mais en attendant, nous nous contenterons de la remercier de nous montrer dans les JT du Gouinistan des lesbiennes de la vraie vie. Grâce à elle, on voit autant des Kristen Stewart que des Roxane Gay, on nous incite autant à voir La Petite Dernière de Fatima Daas (2020) que Petite Maman de Sciamma (2021).
Ode aux lesbiennes que j’ai rencontrées
Lorsqu’on tombe sur une publication de lesbiennes sur Twitter qui nous met particulièrement en joie, l’usage est de réagir avec un “bravo les lesbiennes”. Sorte de cri de ralliement de la twittosphère gouine, il s’agit d’une manière de célébrer la lesbienne et les lesbiennes en tant que coéquipières/partenaires. Il était impensable pour moi de ne pas à mon tour dire bravo aux lesbiennes dans ces publications, voilà donc mon ode aux lesbiennes avec lesquelles j’ai échangé au cours des dernières semaines, que j’ai rencontrées via les réseaux sociaux, grâce à des amies, ou bien avec lesquelles je suis allée au lycée.
La première avec laquelle j’ai échangé, ce fut Makara. J’avais lancé un premier appel sur Instagram, qui n’avait malheureusement suscité que peu de réponses. Makara fait partie de celles qui m’ont répondu sur Twitter. Pendant quatre heures, nous avons discuté de sa vie, de nos expériences du lesbianisme, de nos expériences en tant que femmes racisées. Ce qui m’a le plus touché avec Makara, c’est son aisance lors de notre entretien, les questions qu’elle me posait à son tour, et surtout le fait de commencer cette série de discussions avec une femme noire, comme moi. Je pense avoir reconnu dans mon échange avec Makara cette éthique de la relation propre au lesbiennes dont m’a plus tard parlé Mathilde Le Bon. J’ai rencontré Mathilde pour la première fois à la marche lesbienne de 2021, elle brandissait une pancarte avec les mots “LESBIENNES REUNIONNAIS.ES NOU EXIST”. Sa pancarte a fait le tour des réseaux sociaux, dans les cercles féministes lesbiens et LGBTQ+, puis dans des cercles moins tolérants (pour utiliser un euphémisme). Victime de cyber-harcèlement notamment sur Facebook, une marche des visibilités LGBQT+ est organisée ensuite à La Réunion pour montrer du soutien à Mathilde et à d’autres victimes par l’association ReQueer. Pour localiser la lutte, slogans et chansons réunionnaises revisitées ont été préparés afin de réellement montrer l’expérience queer réunionnaise : “On utilise nos codes et notre culture réunionnaises et on les adapte aux questions queer que les réunionais connaissent”, me dit Mathilde lors de notre échange.
Quand je discute avec Louise, je renoue avec une amie de lycée. Nous nous voyons rarement, et suivons nos vies respectives sur Instagram. Louise est la première à avoir répondu à mon appel sur les réseaux sociaux. Nous nous retrouvons en visio en petit-déjeunant, avec son chat. Moi qui l’avais toujours vue comme une personne absolument certaine de son orientation sexuelle, je découvre une lesbienne non pas fragile, mais qui s’est interrogée beaucoup plus que je ne le pensais alors. “Je veux être la médecin hyper douée, qui est lesbienne et qui s’affirme et en impose.” Louise se projette ainsi, en lesbienne adulte et sûre d’elle. Pas un modèle qui court les rues…
J’ai eu la chance pendant ces quelques semaines, également d’échanger avec des lesbiennes plus âgées, qui représentent sinon des modèles pour toutes, du moins des horizons d’atteinte. Le message qu’apporte le partage de mon entretien avec Leïla*, c’est que fonder une famille en tant que lesbienne, c’est possible. Si la loi sur la PMA est encore insuffisante, la loi sur le mariage pour tous de 2012, dite loi Taubira, a été vécue comme une ouverture des possibles pour les lesbiennes, m’expliquait Makara. Est-ce que l’évolution de la loi sur la PMA sera l’objet des mêmes effusions de joie qu’en 2012 ? Pas sûr… De toute façon, les lesbiennes ont toujours su comment avoir des enfants. Leïla* et sa compagne ont eu leurs 2 enfants par une insémination “maison”. Pas besoin de payer des sommes faramineuses, ni de se déplacer en Espagne ou en Belgique, mais le couple passe par des démarches administratives longues et coûteuses afin d’être toutes deux reconnues comme mères de l’enfant. À seulement 34 ans cependant, leur expérience sera peut-être similaire à la nôtre, bien que tout semble aller grandissant. Comme la démographie lesbienne ne s’arrête pas à 35 ans, j’ai aussi échangé avec Catherine et Maryse, respectivement 59 et 69 ans. Elles vivent ensemble depuis 10 ans. Si elles sont éloignées des préoccupations militantes des jeunes lesbiennes parisiennes, elles vivent la vie que beaucoup d’entre nous rêvent : Proches de la mer, dans une grande maison surplombant un jardin magnifiquement fleuri, être lesbienne c’est être amoureuse l’une de l’autre en somme. Mathilde notait pendant notre échange que la figure de la lesbienne qui a toujours su qu’elle était lesbienne, ou du moins qu’elle aimait les femmes, est loin d’être universelle ; Louise me disait avoir l’impression de réellement être consciente de son homosexualité assez tard, mais que d’autres en font la réalisation alors qu’elles ont deux fois son âge. Catherine a toujours su qu’elle aimait les femmes – son premier râteau, à 14 ans, c’est une fille qui le lui a mis – et a été la révélation de Maryse à plus de 50 ans.
Si notre longue discussion sera l’occasion de plus longs développements, je pense qu’il m’est indispensable de remercier Naël et Linh. Ensemble depuis presque un an, les deux lesbiennes m’ont fait rire et réfléchir pendant presque trois heures. C’est grâce à Naël que j’ai pu notamment m’interroger sur les limites que peut représenter la seule lecture d’une talentueuse certes mais blanche Monique Wittig, et que je m’apprête à lire La Petite Dernière de Fatima Daas. C’est grâce Linh que j’ai appris l’existence de l’identité stud, qui désigne (la définition est plus complexe) la masculinité lesbienne des personnes noires afro-américaines et afro-descendantes notamment. De la même manière que la communauté trans lesbienne fera l’objet d’un paragraphe plus long la semaine prochaine, je tenais à remercier Lysis également. Si la non-binarité et la question de genre ont été des sujets abordés dans chaque entretien, il a été central dans ma discussion avec Lysis, dont le lesbianisme a contribué à affirmer son expression de genre.
Enfin, si toutes les lesbiennes que j’ai interrogées avaient au minimum 18 ans, toutes un pied au moins un pied dans la vie active ou les études supérieures, une d’entre elles a été l’exception : la jeune Margot*, encore au lycée, la tête dans les épreuves anticipées du bac, est l’exemple même que les combats menés depuis des années pour la visibilité des lesbiennes portent leurs fruits. Dans le groupe d’amies de Margot, uniquement des personnes LGBT. Combien parmi les lesbiennes que je connais peuvent se vanter d’avoir eu un groupe d’amies pareil au lycée ? Sans avoir eu à faire face à de la constante homophobie ? Si son expérience se cantonne pour l’instant à ses relations faites au lycée, cette baby gay est un peu un souffle d’air frais, un espoir pour la nouvelle génération.
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