Fogo Fatuo de João Pedro Rodrigues, là où les forêts brûlent

Alfredo, un roi sans couronne sur son lit de mort, est ramené à de lointains souvenirs de jeunesse et se rappelle de l’époque où il rêvait de devenir pompier. La rencontre avec l’instructeur Afonso, du corps des pompiers, ouvre un nouveau chapitre dans la vie des deux jeunes hommes plongés dans l’amour et le désir, et à la volonté de changer le statu quo.

Fogo Fatuo, de João Pedro Rodrigues

Article écrit par Alma-Lïa Masson-Lacroix

Le sixième film du réalisateur portugais a marqué les esprits lors de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, à raison, et nous a donné envie de vous en parler et de vous inviter à vous (re)plonger dans la totalité de son œuvre.

Un roi portugais adolescent passionné des forêts ; le déclin d’une monarchie face à la société contemporaine qu’elle ne parvient pas à comprendre ; un monde en proie aux désastres écologiques ; une histoire d’amour et d’érotisme dans une caserne de pompiers ; Fogo Fatuo s’annonce comme un film à la fois satirique, politique et provocateur, bercé de poésie et de beaucoup d’humour. Circulant librement entre le cinéma, le théâtre et l’opéra, jouant de formats et genres multiples, s’amusant de saynètes, sautant les époques et alternant entre tirades politiques empruntées et histoires inventées, le film marque les esprits par son inventivité formelle et ses prises de risque (réussies).

Dans un premier temps, le film se présente comme une satyre sociale profondément ancrée dans le contemporain et ses enjeux, malgré son décalage stylistique presque dystopique. Deux pleureuses qui ne pleurent pas s’invitent aux funérailles d’un roi pour commenter la bienséance et la bonne société des invités – ces personnages absurdes, presque Becketiens, donnent le ton pour le reste du film. Les incendies ravagent les forets royales aux arbres phalliques, tandis que les monarques discutent de la menace démocratique en maniant l’argenterie pour dévorer leur repas, devant les yeux de leurs deux chiens envieux et de leur fils ahurit, figure de prince communiste et incompris. Ce dernier, regard caméra, nous cite parfois Greta Thunberg ou simplement les tristes nouvelles du monde, au grand désespoirs de ses parents. Il finira par trouver la solution à ses ambitions, et se fera prince pompier, puis amoureux. Les classes sociales se mélangent, les virilités se confrontent. Le film ne laisse de côté aucun sujet, proposant pour chacun de ces thèmes aussi nécessaires que sensibles des réponses toujours justes (et souvent drôles). Ainsi, la satyre politique se mélange à l’absurde d’un monde vide de sens, et dans lequel l’amour vient peut-être tout sauver, tout surmonter. C’est cliché, c’est ringard, peut-être même niais, mais c’est assumé comme tel, et c’est pour cela que c’est touchant. Aussi flamboyant et extravagant soit-il, c’est un film profondément subtil.

Egalement, si le film est annoncé comme une comédie musicale, difficile d’y trouver quelque ressemblance aux classiques hollywoodiens où le genre à fait ses lettres de noblesse, et tant mieux. Chansonnettes enfantines au milieu des forêts, élégie funèbre lubrique à un enterrement, le chant y trouve une belle place, mais toujours dans l’anti-spectaculaire et l’humour. La danse, quant à elle, rythme le film ; et les chorégraphies de ces pompiers qui ne savent pas danser n’ont rien à envier à Claire Denis et son Beau Travail aux chorégraphies militaires toutes en sensualité. 

Le film célèbre des corps sensuels et pops, disons même kitchs. Des corps qui deviennent alors la porte ouverte vers toute une histoire de l’art queer et au delà. Le corps est martyr, il est musclé et rendu fétiche, c’est un corps érotique voire parfois pornographique. Ouvertement, ils imitent des tableaux de toutes époques en musique (une séquence parmi les plus ahurissantes et drôles du film d’ailleurs), et plus subtilement, c’est Pierre et Gilles, Kenneth Anger ou encore Jean Genet qui apparaissent en filigranes. Réalisateur dont la filmographie est traversée de façon récurrente par le thème de l’homosexualité, Joao Pedro Rodriguez offre ici un film à la fois novateur et contemporain, tout en s’inscrivant subtilement dans la lignée d’une histoire de l’art et d’un cinéma underground queer.

En bref, ce film pop et musical au format hybride entre film et opéra, provocateur, engagé et absurde, nous offre l’espoir d’un cinéma qui réconcilie les enjeux politiques, sociaux et écologiques contemporains au besoin aujourd’hui devenu vital d’une évasion poétique. 

Fogo Fatuo, de João Pedro Rodrigues. Sortie le 14 septembre au cinéma.

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