FAN ! Entretien avec KimPetrasPaintings 

Décidément, art contemporain et pop culture font bon ménage ! KimPetrasPaintings a clos à la mi-octobre une résidence pointue et festive à Glassbox, artist-run space du 11ème arrondissement de Paris. KPP – pour les intimes – c’est aujourd’hui un collectif de huit artistes ayant vu le jour plus tôt en 2021 autour de Jimmy Beauquesne, Nelson Bourrec Carter et Paul Garcin, rejoints ensuite par Ugo Ballara, Aurore Le Duc, Youri Johnson, Camille Juthier et Louise Mervelet. Le collectif explore le travail créatif en groupe et s’intéresse à la pop culture contemporaine, au fandom et aux rapports ordinaires de fiction que cela génère. La figure de Kim Petras, réelle pop star in the making, lie leurs formes et leurs récits. Leur résidence les a amenés à montrer une exposition à Glassbox du 23 septembre au 14 octobre intitulée “Go Far, Go Hard”, en plus de l’organisation de trois évènements, dont un célébrant l’anniversaire de la star.

“In The Next Life”, 2021, bois, acrylique et tissus, vidéo, photographies bromure d’argent sur céramique et verre, flacons de parfum, fausses fleurs, béton, dague, KimPetrasPaintings ; “I was there”, 2021, vidéo, 2min, KimPetrasPaintings. Crédits : KPP

Propos recueillis par Théo Diers

En préparant le texte, je me suis confié à notre rédactrice-en-chef Eva en avouant que j’aurais sans doute bien plus de cinq cents mots contrairement à ce que je lui avais annoncé. Elle m’a répondu : « Fais-toi plaisir ! ». Et c’est effectivement de plaisir dont il s’agit ici. Rencontre avec Nelson, Jimmy et Ugo dans l’espace de Glassbox, à la veille du finissage de leur exposition. 

Comment KimPetrasPaintings a débuté ? 

Nelson : On a commencé à travailler ensemble à la Maison des arts de Malakoff, où Jimmy était en résidence en début d’année. Jimmy et moi nous connaissions du Prix Sciences Po pour l’art contemporain, et Paul et Jimmy par leur travail. Bosser côtes à côtes dans cet atelier nous a permis de voir les points de corrélations entre nos pratiques, qui utilisent toutes la pop culture dans un rapport de transformation, de réutilisation et de citation… Paul, ça passe par la performance, Jimmy par le dessin et moi par la vidéo et la photo. 

Au-delà de ces thèmes communs, j’ai l’impression qu’au sein du collectif et dans les évènements, il y avait aussi une volonté de se réunir et de créer quelque chose de « généreux », c’est un terme que j’ai entendu deux fois lors du vernissage. D’où est venue cette volonté de se réunir pour donner quelque chose ?  

N : Je pense qu’il y avait une notion importante de plaisir. On sortait du Covid où nos interactions étaient forcément limitées, et on était dans des phases de nos travaux respectifs qui étaient devenues très cérébrales. Tout à coup, c’était un moyen pour nous de produire quelque chose ensemble rapidement, dans un rapport d’immédiateté. Et la notion de générosité, en tout cas d’ouverture, est arrivée un petit peu après, au moment où l’on s’est rendu compte que la conjugaison de nos travaux donnait cette richesse et cette spontanéité. On a eu hâte de pouvoir partager ça avec d’autres artistes. Ce qui était très libérateur aussi dès le début, c’était de pouvoir signer en tant que collectif. 

Oui, à ce propos, comment la pratique du collectif complète ou dépasse quelque chose que vous ne pourriez pas faire seul ? 

N : Déjà, le fait de commencer avec la peinture alors qu’aucun de nous trois n’est peintre, on trouvait ça intéressant car on se déplaçait dans un espace que l’on ne connaissait pas.

Ugo : Surtout avec ces deux éléments que sont la peinture et Kim Petras et qui nous semblent constituer des entités très ouvertes, parce que ça n’implique ni une connaissance exhaustive de la pop star, ni une maîtrise académique du médium. 

KimPetrasPaintings lors du vernissage le 23 septembre. De gauche à droite : Nelson Bourrec Carter, Camille Juthier, Aurore Le Duc, Jimmy Beauquesne, Youri Johnson, Paul Garcin, Ugo Ballara. Crédits : Tempe Cole

Comment avez-vous vécu ces évènements, l’exposition, la résidence… est-ce que ce qui a été créé ici est vraiment authentique, de l’ordre du fan event, ou bien est-ce qu’on est dans une parodie ? Où vous placez-vous dans cette hybridité-là ? 

N : Alors je ne dirais pas qu’il y ait de la parodie parce que dans la parodie il y a une forme de moquerie, et je ne pense pas qu’on se situe à cet endroit-là. On a un regard critique et analytique qui questionne ce rapport de fan, mais on est quand même plutôt dans un rapport d’amour.

U : J’ai l’impression qu’il y a quand même un trouble entre le fanatisme et la mise à distance analytique, qui est finalement assez classique pour une exposition.

Donc vous avez eu l’impression d’évoluer dans quelque chose de complètement authentique ? 

N : Oui. Surtout à partir du moment où on a commencé à redéfinir l’entité de Kim Petras. Tout à coup, dans ce rapport d’authenticité est née une bascule directe dans la fiction. Donc c’est devenu de plus en plus en vrai du moment…

U : …où on a créé un personnage qui nous correspondait et qui nous permettait de projeter nos désirs, et nos préoccupations. 

N : Oui… de créer un espace qui nous ressemble, dans lequel on se sent à l’aise d’évoluer, selon nos paramètres. C’est cela qui permet d’avoir ce rapport d’authenticité et d’excitation. 

Donc vous vous êtes amusés à reconstruire votre propre mythologie en adaptant les récits autour de Kim Petras… Et dans cette optique, je ne pouvais pas m’empêcher de penser au « paradigme PC music », du nom du label londonien, c’est-à-dire le fait de prendre des petits artistes et de les ériger en tant que stars via une esthétique particulière et en dévoilant au maximum les processus de création à l’œuvre. On y trouve aussi une fascination délibérée pour la célébrité. Les membres de ce label ont fini par créer un produit qui était conscient de lui-même, mais qui n’était pas non plus complètement libre du système dans lequel il évoluait. Comment vous placez-vous par rapport à ça ? N’êtes-vous pas en train de nous créer un PC music de l’art contemporain ? 

[rires]

U : Déjà, Kim Petras est difficilement complètement associable à PC music, d’où ce trouble qui intéresse le collectif. J’ai aussi l’impression que nous n’agissons pas dans le même contexte socio-économique, les enjeux de l’art contemporain ne sont pas les mêmes que dans l’industrie musicale, en ce qui nous concerne en tout cas. Il y a très clairement une différence d’échelle dans la production, la diffusion et la réception.

N : J’ajouterais à propos de la célébrité que l’on est au-delà du rapport de fascination et qu’on se pose plutôt la question de comment regarder la fascination d’une autre personne, à savoir Kim, pour la célébrité.

U : Ce qu’on essaye d’envisager également, c’est notre rapport de fan, plutôt que la célébrité en elle-même. C’est plutôt : qu’est-ce que ça veut dire “être fan” ? 

Jimmy : Je crois que ce qu’on a essayé de faire avec Kim, c’est de ramener une espèce d’horizontalité, c’est pour cela que les stars nous fascinent aussi je pense, c’est parce qu’elles ont le potentiel de redevenir humaines. 

Il y avait aussi un autre élément assez présent dans l’exposition, à savoir le personnage de Dr Luke, l’un des producteurs de Kim Petras, notamment accusé de viol par Kesha. À cet égard, j’aimerais bien parler avec vous de cancel culture. La cancel culture apporte une exigence de clarté, dans l’idée de trancher entre ce qui est valable et ce qui ne l’est pas, et ici vous avez travaillé à quelque chose de plutôt flou – comment concilie-t-on cela ? 

N : La résidence est tombée à un moment assez clé dans le monde réel de Kim Petras, c’est-à-dire le moment où elle a signé sur un nouveau label associé à Dr Luke, avec qui elle avait déjà travaillé. Donc on était amenés à se positionner par rapport à ça. Ce qui est intéressant avec la cancel culture c’est que pour moi ça n’existe pas vraiment, personne ne se fait « cancel », les mecs qui ont du pouvoir continuent à bosser. Au contraire, je pense que c’est un narratif qui est poussé par les agresseurs, pour refuser de reconnaître leurs responsabilités… 

U : C’est sûr qu’il y a une exagération de ce côté-là et j’ai eu l’impression que l’idée pour l’exposition c’était aussi de trouver d’autres stratégies à la cancel culture, en essayant de produire de la fiction et en passant aussi par la distorsion de la figure de Kim Petras. Ça rejoint aussi toute cette actualité, avec Free Britney, où on se rend compte de l’exploitation de ces pop stars qui ne sont plus maîtresses de ce qu’elles ont produit. On pourrait presque analyser cette situation sous un angle marxiste, entre ceux qui ont les moyens de production et ceux qui ont juste leur force de travail. Du coup, il y avait aussi cette idée de donner au personnage de Kim Petras les moyens de reprendre en main quelque chose dont elle avait objectivement été dépossédée. 

N : Et c’est vrai que d’adresser ce problème-là par la fiction, c’était aussi un moyen de répondre à la virulence des débats par un côté très grandiloquent et épique – que l’on retrouve dans le poème présent dans l’exposition par exemple – et qui y répond avec le même niveau d’intensité. 

“La Ballade de Kim Petras”, 2021, dépliants, KimPetrasPaintings. Crédits : KPP

À propos de cette idée de la star exploitée et aliénée, certaines personnes parlent de « zombification ». J’aime bien aussi la notion d’effigie parce que tout ce qui est dans cette exposition est « à l’effigie de ». Dans la culture politique médiévale, l’effigie intervient lors des funérailles et assure la continuité de l’exclamation « le roi est mort, vive le roi », donc il y a dans tout ce qui est « à l’effigie » un rapport morbide, et vous l’avez exploité dans l’exposition avec la fresque, le récit, l’autel… Qu’est-ce que vous évoque ce rapport morbide aux choses ?

U : Dès le départ, il y a dans notre démarche une mise en parallèle des mécanismes du discours religieux et du discours de la pop music, la mort y est donc omniprésente…

J : Oui c’est ça, par rapport aux pop-stars, on vit tous avec cette possibilité qu’elles meurent. Britney, on a grandi avec elle, chaque jour on était un peu plus proches du moment où elle allait mourir. À ce propos, il y a cet épisode de South Park qui est absolument génial : c’est une sorte de Hunger Games géant où toute la population essaie de tuer Britney Spears. Ils y arrivent enfin et se rejoignent dans un bar. À la télé, Miley Cyrus est en train de twerker et ils trinquent l’air de dire « ce sera la prochaine ». Et je pense qu’il y a un truc comme ça, de sacrifice… 

N : Il y a aussi une envie de posséder par l’acte de tuer. Par rapport à la mort, on vit aussi dans une époque intéressante où on a en parallèle la carrière contemporaine de pop stars vivantes, et la carrière des pop stars mortes, qui restent. 

J : C’est eux les vrai mort-vivants.

U : Amy Winehouse, Whitney Houston…

N : Oui, il y a cette notion de la star qui continue de travailler après la mort. C’est omniprésent quand on parle de stan culture et de pop culture.

J : C’est un peu le stan ultime, celui qui tue sa star. Il y a eu trop de tentatives d’assassinat. C’est assez courant… 

C’est sûr. Bon, et la suite pour KPP, c’est quoi ?

J : La prochaine étape, ce serait de partir sur un format assez différent du format expo. On s’est dit qu’on irait plus vers le format mp3, donc en l’occurrence un album de reprises en invitant des artistes à faire des chansons ou des perfs… C’est un peu l’ouverture. 

N : C’est un moyen de tenter de nouvelles choses et de s’amuser différemment, d’être plus léger après une expo qui était beaucoup dans la matérialité… maintenant on est prêts à se laisser surprendre.

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