Oete en ballade au Musée d’Art Moderne pour l’exposition Années 80.

C’est il y a un peu plus d’un an qu’on a rencontré Oete par hasard à la terrasse d’un café dans le 18e. À l’époque, il avait sorti trois chansons, dont une reprise de Niagara, Pendant que les champs brûlent. Des dizaines de concerts et un magnifique album plus tard, il était temps pour nous de l’accueillir pour une interview sur Mauvaise Graine magazine. Et il était plus qu’évident qu’il fallait emmener Oete au Musée d’Art Moderne pour l’exposition Années 80. Mode, design et graphisme en France. Et c’est loin d’être étonné ou déçu que l’on a retrouvé le jeune picard avec un total look black et de sublimes Tabi Margiela au pied. 

Crédits photo : Yann Orhan
Interview menée par Eva Darré-Presa
Oete : J’aime toujours lire le texte d’entrée d’une exposition, elle pose les bases. 
Eva : Avant de commencer l’exposition, qu’est ce que tu as en tête quand on te parle des années 80 ?
Oete : Je pense au clip de Niagara, Pendant que les champs brûlent. Des couleurs hyper-saturées, des look rocambolesques, des kaléidoscopes noirs et blancs comme dans le clip de J’ai vu. Pour moi c’est ça les années 80 en trois images.
Arrive une première salle, politique, le visage de Mitterrand un peu partout, des couvertures de Libération couvrant un mur entier.
Oete : On lui dit merci quand même, il a aboli la peine de mort. 
Eva : Pour toi la musique est politique ?
Oete : Évidemment. Tu viens toujours y amener quelque chose et surtout parce que tu es. Et quand tu es, surtout en tant qu’homosexuel en France dans la musique, ça devient politique. Ça commence à se démocratiser chez les femmes, mais chez les hommes c’est encore un peu compliqué. 
Eva : J’aimerais profiter d’une affiche de Libération assez virulente sur le mur pour revenir sur la première chanson que tu as sortie, HPV. Tu en parlais dans l’émission Basique mais pourquoi avoir choisi d’intégrer cette chanson à l’album ? 
Oete : Je l’ai faite en piano-voix dans ma chambre, j’en avais un peu honte au début comme j’avais honte du papillomavirus. Je pense que c’était une manière de me libérer et d’en sortir victorieux. On est en 2022 et il n’y a toujours pas de prévention chez les hommes. Donc je pense qu’il fallait en parler. 
Arrive ensuite une partie de l’exposition sur La Villette
Eva : Tu es arrivé quand à Paris ? 
Oete : En mai 2020, pendant le Covid. 
Eva : Qu’est-ce que tu es venu faire à Paris ? 
Oete : De la musique ! En vrai, pendant le Covid j’étais étudiant éduc’ spé’. On avait été réquisitionné pour la réserve sanitaire et sociale donc je me suis dit que j’avais deux semaines pour trouver un CDI et un appartement pour commencer ma vie à Paris et faire de la musique à côté. J’ai fait trois mois en tant qu’éducateur spécialisé, puis un burn out et j’ai arrêté. Je savais que la musique allait être la suite. Mais Paris ça fait peur.
Eva : C’est quoi les endroits à Paris où tu te sens bien ?  
Oete : Pigalle. Au fur et à mesure tu trouves tes petits repères à Paris, ça fait du bien.
Eva : C’est quoi ta salle de concert préférée ?
Oete : L’Olympia.
Eva : Pour jouer ou pour écouter ?
Oete : Pour jouer c’est le rêve et pour écouter, la musique n’a pas besoin d’avoir commencé que j’ai déjà des frissons. C’est mythique. 
La suite de l’exposition nous mène dans la nef principale, pleine de mode et de design. 
Eva : Est-ce qu’il y a des créateurs de mode qui t’inspirent ?
Oete : Margiela m’inspire beaucoup. Jean-Paul Gaultier aussi, j’aime sa manière de questionner le genre. Il a été un des premiers à faire des pantalons-jupes pour hommes. Vivienne Westwood avec son style british ou Céline.
Eva : Pour toi, la musique et la mode sont liées ? Tu utilises la mode pour te réinventer ?
Oete : Je m’assume beaucoup à travers la mode. Quand je m’habille le matin, il y a des jours où je mets des vêtements pour le simple fait d’être habillé mais sinon j’aime créer une tenue pour me sentir puissant. C’est ce qu’on a essayé de faire sur scène avec une cape à paillettes, un peu super-héros.
EvaTu penses que les années 80 étaient là-dedans ? 
Oete : Il y avait beaucoup d’innovations dans ces années-là.
Eva : On est sur des vêtements avec des épaulettes, des coupes hyper-oversize, genderless.
Oete : J’ai beaucoup porté et vu ces années-là, dans le vintage. Je trouve qu’aujourd’hui il y a un côté un peu poussiéreux qui commence à m’ennuyer dans cette opulence. En ce moment je suis plutôt dans le minimalisme : si je mets du noir ça devrait aller, pour les couleurs je m’amuse d’avantage avec les coupes !
Eva : D’ailleurs, est-ce que tu peux nous parler de tes chaussures ?
Oete : On est sur les Tabi Margiela, une paire iconique que la maison a créée en 1989, avec une coupe un peu camel toe on pourrait dire ! C’est hyper réfléchi parce que la fente sur l’avant du pied vient toucher un point de réflexion plantaire qui vient détendre. C’est une paire qui interpelle et à la fois ça reste des bottines noires. 
Oete : Je m’inspire beaucoup des Six d’Anvers, c’était six créateurs qui étaient dans la même promo dans les années 1980 à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers (Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Van Saene, Dirk Bikkembergs et Marina Yee.) Ils ont amené énormément de choses dans la mode. 
Eva : Est-ce que le design t’intéresse ? 
Oete : Oui mais je suis moins connaisseur. J’aime beaucoup quand c’est très épuré, assez vide et très graphique. Je n’aime pas trop l’accumulation. J’accumulais un tas de trucs pendant mon adolescence, même les paquets de clopes parce que je croyais à la légende selon laquelle on pouvait ramener en pharmacie le papier à l’intérieur du paquet et qu’ils nous donnaient de l’argent. J’ai essayé et ce n’était pas vrai ! J’avais récolté 120 grammes, je te laisse imaginer le nombre de paquets ! 
Mais ces derniers temps j’ai viré beaucoup de choses chez moi, l’accumulation me stresse.
Eva : Et où est-ce que tu t’habilles ? 
Oete : En fripes, essentiellement. Que de la seconde main.
Eva : T’as des adresses ?
Oete : Je vais beaucoup chez (Bobby) parce que c’est beaucoup de vêtements de créateurs à des prix pas chers. Et j’ai une amie qui travaille dans  une friperie dans le 5e qui s’appelle La friperie du 5. Et sinon je fais tous les Guerrisol du 18e.
Changement de décors direction les salles adjacentes consacrées à la musique.
Eva : On retrouve les années 80 dans ta musique ?
Oete : Il y a du synthé, il y a de la paillettes, il y a tout ! Je reviens toujours sur les mêmes mais Niagara c’était assez fou. J’aurais tellement aimé que Murielle soit encore dans la musique aujourd’hui ! Après il y a tous ces artistes un peu années 80 kitsch, je pense à toutes ces chansons que t’entends aux mariages quand tu accompagnes tes parents, gamin. C’est les premières chansons sur lesquelles j’ai dansé. 
Eva : C’était quoi tes artistes phares quand t’étais ado ?
Oete : C’était Barbara et Brel, c’est là que j’ai découvert la musique française. 

Nous entrons dans une pièce sur les luttes sexuelles, avec notamment des affiches du mouvement Act Up.
 
Oete : 120 battements par minute m’a vraiment marqué au début de ma vie d’adulte. C’était à la fois très poétique et très militant.
Eva : Et puis cette BO !
Oete : Smalltown boy, on revient à une autre de mes influences (rires).

Nous sommes de retour dans une partie mode. Une pièce d’Alaïa retient notre attention et entraîne une discussion sur le noir dans la mode.
Oete : Ça m’intéresse beaucoup tout ça, on vient de m’offrir un livre de Soulages pour mon anniversaire. C’est plus qu’une couleur le noir, c’est vraiment un apaisement pour moi. 
Eva : Ça fait quoi d’avoir un an de plus ? 
Oete : Cette année je suis content car c’est un chiffre pair.
Eva : Il y a une décennie dans laquelle tu aurais aimé vivre ?
Oete : J’aime bien notre décennie actuelle, je trouve qu’on est une génération qui vient re-questionner beaucoup ce qui a été fait avant. Il y a de belles avancées sociales et environnementales qui ne sont que les prémisses de ce qui nous attend. La société actuelle est intéressante, je pense que j’aurais eu un peu de mal à vivre dans d’autres époques. Après, les années 80 avaient l’air bien sympa sur certains aspects. 
Une magnifique silhouette marine de Gaultier apparaît devant nous, Oete nous montre alors sa tenue d’anniversaire, bien inspirée des looks marins qui firent la renommée du créateur dans les années 80. Une robe nous fait penser aux robes de L’Hôtel Mahfouf et entraîne une discussion potins de stars.
Eva : C’est quoi ton moment iconique depuis ton arrivée à Paris ? 
Oete : Un truc où j’ai fait « waw » : j’ai été invité à une présentation de cinéma. Je m’assois derrière Catherine Deneuve et pendant les 2h17 du film, je sens son parfum. Voilà, c’est mon moment iconique depuis que je suis arrivé à Paris.
Soudain, des clips de Niagara sont projetés sur un écran devant nous. On perd Oete quelques instants, admiratif devant ces clips aux couleurs saturées. Des pochettes de vinyles accrochés au mur nous laissent voir des oeuvres de Pierre et Gilles.
Eva : Est-ce que tu vas un peu chercher les années 80 dans tes visuels ?
Oete : J’essaie toujours de rester intemporel, j’ai peur de comment vieillissent les images. Mais quand on voit l’impact des années 80 aujourd’hui on peut dire que c’est intemporel. Ça a quarante ans et c’est toujours là ! La pochette de Daho par Pierre et Gilles est incroyable. 
Une affiche des Bains-Douches attire notre attention.
Eva : Tu y es déjà allé ? 
Oete : Ouais, j’ai fait la release des Feu ! Chatterton là-bas. J’avais fait leur première partie dans un festival, ils sont vraiment très accueillants et encourageants ! 
Eva : Est-ce que depuis deux ans tu es heureux du milieu de la musique ?
Oete : Il y a du positif et du négatif. J’ai une facilité à comprendre les ficelles du milieu et à voir comment mener ma barque ! Donc je suis content de ce qu’il se passe sur mon projet aujourd’hui, maintenant je pense que ce milieu est loin d’être sain pour tou.te.s, qu’il faut gagner en représentativité et élargir la norme de la musique en France. Ou plutôt de ce qu’est un chanteur. Il y a beaucoup de discrimination, d’homophobie au sein même du milieu de la musique. J’ai pu recevoir des commentaires de professionnels que je n’aurais jamais dû entendre. C’est inadmissible car la santé mentale peut en prendre un sacré coup, on ne protège pas assez les artistes. 
Eva : Est-ce que parler de ton homosexualité en interview c’est quelque chose que tu as envie de mettre en avant ?
Oete : Pour moi c’est absolument normal et banal cette homosexualité, je n’ai pas forcément une forme de militantisme ancré. Je n’ai jamais fait de gay pride. J’ai les yeux bleus, je fais 1m72 et je suis homosexuel ! Mais quand je suis avec quelqu’un, je me balade dans la rue en lui tenant la main. Je vie mon homosexualité comme une personne hétérosexuelle vie la sienne. 
Je crois que j’ai pris une très grande claque quand j’ai vu Angèle sur scène, quand tu entends 36 000 personnes chanter Ta Reine c’est assez frappant. Même si ça devrait juste être banal. Mais quand tu sais qu’aujourd’hui  tu peux en mourir, je pense qu’il n’y a pas de choix que d’avoir un minimum d’engagement. 
Eva : C’est cette dualité qui est compliquée mais intéressante, à la fois tu vis comme tout le monde mais dans la société actuelle tu n’as pas d’autres choix que d’être militant. Parce qu’il y a encore des choses à dire et qu’il faut que des personnes portent ces voix.
Oete : Il y a encore un manque de représentativité.  Comme s’il ne pouvait y avoir qu’un nouveau chanteur « gay » tous les cinq ans. Je pense que les filles ont un peu plus réussi à se représenter, Pomme, Angèle, Suzanne, Aloïse Sauvage. Les mouvements féministes de ces dernières années ont fait bouger beaucoup de chose de ce côté, c’est génial ! Mais le travail sera fini quand on ne me parlera que de ma musique et de ce que j’y mets. Mais je sens que ça arrive, je suis très optimiste et j’ai une grande confiance en notre génération ! 
Eva : Dernière question sur un sujet plus léger, tu peux nous recommander des artistes que tu aimes ? 
Oete : Je pense à Chéri, Psycho Weazel un groupe d’électro suisse que j’adore. Ada Oda, un groupe de rock belge extraordinaire. Et on finira avec Nina parce qu’elle est extraordinaire !
Retrouvez Oete sur Instagram.

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