À l’approche du 8 mars, jour béni pour les luttes féministes – non –, occasion rêvée de rappeler les femmes à leur devoir de beauté et de désirabilité en leur offrant fleurs et parfums – non plus –, une réflexion sur les termes de misandrie et de misogynie semble opportune. Quasi intégrés dans le langage courant, ces termes souffrent d’abus de langage qui les éloignent de leur signification et les rendent peut-être moins impactant. En tous cas, un épisode récent m’a permis de requestionner ces mots et la réalité qu’ils recouvraient, et j’ai eu envie de partager cette réflexion avec vous.
Article écrit par Marie Greif
Quand un collier de perles « misandrie » engage une réflexion sur les termes.
L’autre jour, j’ai reçu ce message de ma meilleure amie : « la meuf en face de moi en cours a un collier de perles avec écrit ‘’misandre’’, je trouve ça choquant, ce serait pas ok de porter un collier ‘’misogyne’’. » Elle était sincèrement choquée par la violence du geste et du message. Moi pas du tout. Mieux, je trouvais ça cool et audacieux, et en quelque sorte, légitime. Mais j’étais incapable de lui expliquer pourquoi, alors j’y ai réfléchi.
Ma réponse immédiate a été que la misandrie et la misogynie ne faisaient pas les mêmes ravages, que l’une découlait de l’autre. Pour elle, ça restait une généralité abusive. Et elle n’a pas tort. Evidemment que la haine ne résout rien. Evidemment que not all men. Evidemment que sans les hommes, pas de monde absolument féministe. Mais.
Mais on vit dans un monde où la misogynie tue des femmes par milliers, dans un pays où des centaines de femmes sont tuées par leur conjoint chaque année (cf les chiffres de noustoutes.org), où celles-ci sont moins payées donc plus précaires, où il est encore dangereux de sortir dans la rue, où l’on croit les agresseurs plutôt que les victimes, où les hommes au pouvoir peuvent être ces mêmes agresseurs, en toute impunité, bref on vit dans un monde, un pays, une société où la misogynie est systémique.
Alors oui les choses bougent, les femmes prennent la parole, on les écoute davantage – comprendre : les femmes s’écoutent entre elles – le patriarcat est remis en cause, un peu ébranlé dans ses principes, démystifié, démontré absurde et profondément injuste et illégitime. Mais.
Mais pas assez, jamais assez. Jamais tant qu’on ne se sentira pas en sécurité, jamais tant qu’on aura davantage à prouver que les hommes pour une prise en considération tout juste égale, jamais tant que les impunis resteront protégés par les boys clubs tacites, jamais tant que le système ne sera pas déboulonné.
À l’assertion « 122 femmes tuées sous les coups de leur conjoint en 2021. » on s’attend toujours à la réponse « Oui mais 23 hommes tués par leur partenaire, donc les femmes aussi sont violentes. ». Certes. Sauf que dans la majorité des cas, ces femmes ont tué leur partenaire par nécessité d’autodéfense, en réaction à une énième crise de colère, de jalousie, de violence. (écoutez l’épisode « Des femmes violentes » de Un podcast à soi sur Arte radio)
On ne peut décemment pas considérer misandrie et misogynie sur le même plan. L’une. Découle. De l’autre. Devinez laquelle.
Je reviens à l’argument qu’il ne serait pas correct de porter un collier affichant « misogyne ». Cet argument est juste. Un tel geste serait d’une violence inouïe, une réelle agression, une menace même. Pourquoi ? parce que ce terme réfère directement à des actes bien réels d’une violence inouïe, à des agressions bien réelles et à une menace constante et bien réelle elle aussi. La misogynie n’a pas besoin d’un collier pour exister. La misogynie existe partout et tout le temps, elle s’insinue dans les discours publics, sexistes, racistes, dans les mesures législatives, dans le capitalisme, dans le consumérisme. Partout, tout le temps. La misogynie tue, ravage, gronde. La misogynie est systémique.
Si la misogynie est la haine ressentie et exprimée pour les femmes et tout ce qui touche au féminin (ou plutôt la peur du pouvoir des femmes déguisée en une haine jugée bien plus virile), la misandrie est la haine des hommes en tant qu’ils font système. La misandrie correspond donc davantage à la haine du patriarcat et de la misogynie elle-même. Elle est une réaction à la misogynie, un moyen de défense, une affirmation de soi en opposition à l’absolue violence qu’on permet aux hommes en les laissant impunis et libres de recommencer, encore et encore. La misandrie est une revendication de beaucoup de femmes aujourd’hui, et je les comprends.
En fait, la réaction de ma meilleure amie me fait prendre conscience que j’ai banalisé le terme. À force de voir et d’entendre des femmes qui osent prendre la parole et qui la donnent à leurs homologues en s’écoutant entre elles, à force de les voir se revendiquer misandre, à force de les entendre clamer haut et fort leur haine des hommes, leur refus de consommer des œuvres produites par des hommes, à force de tout cela, j’ai banalisé le terme. Il ne me choque pas, il me fait sourire. Parce qu’à travers lui je lis l’impuissance et la peur transformées en rage et en colère, mais aussi toute la sororité et l’amour de nous toutes qui en rejaillit.
Dans misandre, je lis le combat féministe et l’envie d’un monde différent. Evidemment que ce monde n’existera pas sans les hommes, évidemment qu’il ne s’agit pas de les éradiquer de la planète, mais si leur faire comprendre qu’ils ne nous dominent pas doit passer par l’ostentation de la haine du système qu’ils nous imposent, et bien pourquoi pas.
La misogynie n’a pas besoin d’un collier pour exister, la misandrie oui. La misandrie a besoin de se dire et de se clamer pour être prise au sérieux et équivaloir à un centième de la menace que la misogynie représente dans les consciences collectives. Mutique, la misogynie fait plus de ravages que la misandrie qui se dit.
Alors oui, dans ce monde-là, je crois intimement qu’un collier de perles « misandre », c’est mignon, et c’est ok. Clamons-nous misandre si bon nous semble.