Dans l’ombre du gaslighting ou les hantises de la manipulation mentale

« Mais non, tu n’es pas vraiment malade, tu inventes. » Cette phrase me poursuit depuis mes huit ans, si bien ancrée en moi que, dix-huit années plus tard, lorsqu’un mal de tête me frappe en pleine période de grippe, je me demande : est-ce que c’est vraiment vrai ou est-ce que je l’imagine ? Est-ce que je n’aurais pas une raison, sans m’en rendre compte, de m’inventer des symptômes ?

Gaslight – George Cukor (1947)

Article écrit par Nina Lachery

Cette phrase, c’est un membre de ma famille qui me l’a dite, plusieurs fois, quand j’étais petite. Une personne persuadée qu’en tant que fille de parents séparés, je ne pouvais vivre que dans le stress et le traumatisme.

Des années plus tard, quand j’ai expliqué à ce proche que je me posais toujours cette question, à chaque rhume, à chaque coup de mou, j’ai reçu pour réponse : « Je ne vois pas le problème, moi je disais ça comme ça, si tu es vraiment malade, tu le sais quand même. »  Et cette fois, au lieu d’être une menteuse, je devenais fautive de ne pas comprendre mon corps, fautive d’un doute semé en moi des années plus tôt. Un doute si bien implanté que je me perds parfois, en me demandant si mon corps n’est pas capable lui-même de me créer de la fièvre, par le simple pouvoir de mon inconscient.

Cette emprise, sorte de poison insidieux, je n’ai appris que des années plus tard qu’elle appartenait au gaslighting, et j’ai aussi compris alors qu’il pouvait aller bien plus loin que les petites remarques de mon enfance.

Le gaslighting, c’est une forme de manipulation mentale qu’une personne exerce sur une autre et qui entraîne une inexorable perte de confiance en soi ou en ses sens de la personne visée. Grâce au gaslighting, le manipulateur devient nécessaire à sa victime car c’est lui qui, dans l’histoire qu’il invente, détient le savoir de ce qui est vrai ou non. Dans mon cas, mon proche était donc la seule personne à pouvoir déceler une de mes “fausses” d’une de mes “vraies” maladies et à s’occuper de moi quoi qu’il en soit.

L’appellation en elle-même provient en réalité non pas d’un colloque de psychologues mais d’une pièce de théâtre : Gaslight, adaptée au cinéma notamment par George Cukor. Réalisé en 1944, le film Hantise relate l’histoire d’une femme (Ingrid Bergman) poussée lentement vers la folie par son mari (Charles Boyer). Il commence à lui faire douter de ce qu’elle a dit, entendu ou vu, et la conduit, étape par étape, à une perte de confiance en sa propre mémoire, allant jusqu’à lui donner l’impression qu’elle a des hallucinations.

Comme c’est le cas dans ce film, dans la réalité on dénombre de nombreux cas de gaslighting au sein de couples. Cette manipulation peut aussi s’épanouir dans une relation familiale, la seule variable étant qu’il s’agisse d’une relation initialement basée sur la confiance. Petit à petit, le manipulateur prend la main sur sa victime, déséquilibrant la relation. Il me semble, depuis que je connais l’existence du Gaslighting (aussi appelé « détournement cognitif » au Québec) que j’esquive mieux les relations où il pourrait se glisser.

Il est parfois difficile de savoir si on a été ou non victime de gaslighting, si tout n’est pas dans le souvenir flou que l’on a des choses. Lors de la rédaction de mes premiers brouillons pour cet article je pensais parler de ce copain qui niait toujours ses paroles envers moi, jurant ne jamais les avoir dites. En cherchant à exprimer ce qu’il avait tenté de faire, mettant en doute mes paroles, mes souvenirs, m’affublant du rôle de la « méchante » quand je ne cherchais qu’à discuter, je me suis rendue compte qu’il avait été suffisamment efficace pour me glisser entre les mains. Comme rien n’est frontal dans le gaslighting et que tout porte sur l’idée que notre imagination nous joue des tours, comment être totalement sûrs que ces choses se sont bien passées comme ça ? Aujourd’hui encore, suis-je seulement capable d’assurer qu’à huit ans j’étais bien malade ?

Si les marques des manipulations passées existent et qu’on a souvent du mal à s’en défaire, il est important de réussir à en parler. Si j’essaye de mettre en garde le plus de monde et que je signale les grands traits du gaslighting dans cet article, c’est aussi pour qu’on puisse le reconnaître quand il survient, et le déjouer avant qu’il ne laisse des traces. On applaudira encore et toujours les bienfaits de la communication.

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