Ces artistes queer qui bousculent les codes des genres

Les questionnements vis-à-vis des représentations traditionnelles du genre dans l’art sont de plus en plus courants. Dans la lignée de l’héritage d’artistes tels que Prince, Freddie Mercury et David Bowie, leurs contemporains utilisent leur pratique pour remettre en question les normes de genre. Elle reflète un changement sociétal plus large – de plus en plus, nous questionnons les idéaux traditionnellement binaires pour brouiller les frontières. Engagé à promouvoir les artistes qui bousculent les codes du genre, Mauvaise Graine magazine vous propose de découvrir cinq acteur.ices et musicien.nes émergent.es qui normalisent la fluidité des genres et la culture queer dans l’art.

Inktober 2022 – @holografigue

Article écrit par Cloé Garnier

Indya Moore 

Connue pour son rôle d’Angel Evangelista dans la série Pose de Ryan Murphy sortie en 2018, Indya y incarne une femme transgenre prostituée portoricaine qui s’éprend d’un golden-boy de Wall Street marié et père de famille. La série dramatique, récompensée aux Golden Globes, présente le casting avec le plus de personnes trans de l’histoire de la télévision. La série fait écho au passé de ses actrices. Elle révèle en effet les nombreux obstacles rencontrés par la communauté LGBTQ+ dans notre société. « Lorsque vous regardez la vie d’Angel, je veux que vous pensiez aux innombrables femmes noires et trans qui ont été détruites sans raison », déclare Indya sur son compte Twitter. Soucieuse de ce que les personnes transgenres endurent, l’actrice dédie sa performance dans Pose à Naomi Hersi, une femme transgenre somalienne assassinée dans un hôtel londonien en mars 2018. 

Dans les médias, elle apparaît comme la révélation artistique transgenre de l’année 2019. Elle devient aussi la première artiste transgenre à faire la couverture du magazine Elle américain, en juin 2019. Dans l’interview qui accompagne la couverture, Indya précise qu’elle se définit comme non binaire. Ainsi, elle préfère l’emploi du pronom personnel « they » (singulier) à son sujet. Même si la plupart des personnes de son entourage utilisent le pronom féminin « she ».

« Le choix que j’ai fait de m’identifier comme étant non binaire — même si je me genre habituellement de façon féminine — perturbe constamment la notion de genre. La binarité nous force à avoir des attentes performatives auxquelles aucun de nous n’est à la hauteur, et lorsque nous choisissons de vivre en dehors de ces attentes, nous subissons de la violence — les personnes trans et de genre différent vivent les pires types de violence. Les binaires sexospécifiques ne nuisent pas seulement aux personnes transgenres et queers, ils nous nuisent à tous. »

Égérie de Louis Vuitton, elle a aussi monté sa propre société de production : Bettlefruit Media Inc. Son but : créer de nouveaux rôles sur (et pour) les personnes marginalisées. « J’écris et j’ai envie de créer des projets pour les autres, pour leur offrir davantage d’opportunités, au-delà du genre. Je veux qu’on nous voie comme des êtres humains, explique-t-elle. Je n’oublie pas que des dizaines de militants trans sont morts pour voir des gens comme moi en arriver là. Pour créer du changement. Demander qu’on soit vus, entendus, en sécurité, qu’on puisse exister. »

La mannequin transgenre n’hésite jamais à prendre position et affirmer publiquement son avis. Elle a d’ailleurs été une personne importante lors de la signature historique en 2019 de la Gender Expression Non-Discrimination Act de New York (« Acte de non-discrimination sur l’identité de genre », en français). Elle défend l’intersectionnalité des luttes, l’écriture inclusive, les travailleuses du sexe et souhaite voir plus d’hommes trans représentés dans les films et publicités. Aujourd’hui, elle est reconnue comme une véritable porte-parole de la communauté LGBTQ+.

Steve Lacy 

En tant qu’artiste solo, Lacy a souvent été comparée aux prodiges noirs américains Stevie Wonder et Prince grâce à sa volonté de subvertir régulièrement la binarité de genre.  L’identité musicale de Steve Lacy peut être identifiée par son utilisation de textures de guitare et de basse imaginatives, qui, une fois réunies, produisent des projets comme Apollo XXI. Le genre du projet n’est pas tout à fait définissable car il est à la fois funky, indie, groovy et pop-y. Il sature ses chansons d’émotions alors qu’il tente de trouver une mesure de sa propre identité dans le sillage de ses troubles intérieurs. De la même manière, une grande partie d’Apollo XXI explore le thème de la libération sexuelle et de l’exploration du genre, alors que Lacy emmène ses auditeurs dans son voyage vers l’acceptation de sa sexualité et de son identité de genre.

Le projet Gemini Rights est également une invitation ouverte à se livrer à un été de sensations fortes en quête de plaisir mais, comme le perçoivent les auditeurs tout au long du dialogue musical, les highs enivrants de l’hédonisme ne sont que passagers et ne comblent jamais vraiment le vide. 

La relation de Lacy avec le genre et la sexualité – et l’interaction entre sa propre masculinité et sa féminité – est notable. Son expression de genre glisse entre les conventions, entre maillot de football et robes, jupes, sacs étincelants et bottes pailletées.

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Lachlan Watson 

Depuis son coming-out non-binaire, Lachlan éprouvait des difficultés à décrocher des rôles, les directeurs de casting semblant confus quant à la place exacte de Lachlan dans un monde binaire. « Puisque les personnes queer ne peuvent pas jouer autre chose que des rôles queer – haha! » explique Watson.

Arrive le rôle de Théo Putnam, un personnage trans masc de la série phénomène Sabrina sur Netflix que Lachlan interprète dès la première saison. Lachlan Watson décrit la scène initiale de coming-out en tant qu’homme trans de Théo dans la saison 2 aussi bien écrite que irréaliste. Durant celle-ci, Théo fait son coming-out trans à son père, qui l’accepte inconditionnellement, sans poser de questions. Après avoir lu le brouillon final, Watson est descendu immédiatement sur le plateau pour supplier les scénaristes de modifier la scène.

« J’étais absolument terrifié.e, tellement inquièt.e que je dépassais mes limites. Mais j’étais tellement conscient.e des millions d’enfants trans qui pouvaient avoir les yeux rivés sur leur écran, sans jamais avoir vu leur histoire racontée avant. C’était trop important pour le faire de manière précipitée. Alors, j’ai utilisé ma voix. »

Avec MJ Kaufman, Watson a aidé à remodeler le scénario pour créer ce qui est finalement devenu le moment le plus humain de l’émission, dans le chapitre 14, « Lupercalia ». Au lieu d’une scène bien écrite dans laquelle le père de Théo embrasse son fils de tout son cœur, la version finale représente un manque de compréhension certes, mais finalement de l’acceptation — le père de Théo dit que sa petite fille lui manquera, mais il prend son fils dans ses bras. « J’ai reçu une avalanche de DMs de personnes queer disant ‘C’était beau’ ou ‘Merci pour cette scène, je n’ai jamais vu cela fait à l’écran‘ ».

Emma D’arcy 

Emma D’Arcy parle publiquement du fait que ce n’est qu’après avoir obtenu le rôle dans House of the Dragon, le prequel de Game of Thrones sorti cette année, qu’iel a discuté de son identité de genre, en partie parce que HBO lui avait spécifiquement demandé quels pronoms iel utilise. Voici ce qu’iel a dit à ce sujet.

« C’est le premier emploi où j’apporte mon identité non binaire au travail. Et c’est en partie parce que HBO m’a demandé quels pronoms j’utilisais. J’ai beaucoup réfléchi pour savoir si c’était le bon moment. Habituellement, dans les sites de casting, il y a deux colonnes, une pour les hommes et une pour les femmes. Je me demandais si j’allais devoir vivre mon identité pleinement uniquement dans le cadre privé, pour que je puisse avoir une carrière. »

Une nomination aux Emmy devrait être inévitable pour Emma et si cela se produit, D’Arcy serait reconnu.e avec le titre non genré d’interprète sur son certificat de nomination et son trophée. D’Arcy a déclaré avoir une « relation compliquée » à l’idée d’avoir « un profil public », à la suite du succès mondial de House of the Dragon. Mais iel ajoute « je suppose que le fait de pouvoir aider le large spectre des identités de genre semble être une bonne raison d’en avoir une. »

Emma D’Arcy a également expliqué que le fait d’être une personne non binaire l’a aussi aidé.e à mieux comprendre le personnage de Rhaenyra. Dans House of the Dragon, le premier-né du Roi affronte un monde qui juge les femmes inaptes à gouverner et qui place sur elles des attentes patriarcales, quelque chose avec laquelle iel s’identifie :

« Rhaenyra lutte constamment avec ce que signifie être une femme et elle est une étrangère fondamentale », explique-t-iel à propos de son caractère. « Elle est terrifiée à l’idée de devenir mère et elle sait que sa position pourrait être différente si elle était un homme. J’ai toujours été à la fois attiré et repoussé par les identités masculines et féminines, et je pense que cela est montré de façon authentique ici.»

Chella Man 

Chella Man est un artiste américain et un activiste célèbre pour avoir documenté sa transition sur YouTube. Son histoire a touché des millions de personnes et a attiré l’attention des médias. Chella a décroché le rôle du super-héros muet Jericho dans la deuxième saison de Titans. Son apparition à l’écran lui a donné plus d’exposition et l’a exposé à un public plus large.

Chella Man a fait tomber les barrières depuis qu’il a lancé sa chaîne YouTube en mai 2017, afin de partager avec le monde ses luttes contre la dysphorie de genre et de remettre en question les idées fausses que les gens peuvent avoir sur ce que cela signifie de transitionner. Jusqu’à présent, Chella a tout documenté, de son premier shoot de testostérone au changement progressif de sa voix et l’essor de ses muscles. Plus récemment, il a parlé des effets de sa top surgery, une procédure qui remodèle le haut du corps.

Se sentant isolé enfant à cause d’un manque de représentation de personnes sourdes, racisées et queers, Chella représente aujoud’hui tout ce qu’il n’a jamais eu en grandissant. Au-delà de remettre en question le statu quo rien qu’en existant, Chella utilise tous les moyens possibles – sa chaîne YouTube, son art, son Instagram, ses tatouages, une nouvelle chronique pour la plateforme LGBTQ de Condé Nast – pour éduquer le monde sur des choses comme la visibilité trans, la diversité, la culture queer et le fait de vivre avec un handicap, dans l’espoir qu’aucun enfant comme lui ne vivra ce qu’il a vécu en grandissant.

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