5 livres sur la montagne

La rencontre d’une anthropologue avec un ours dans les montagnes de l’Extrême-Orient Russe, un frère et une sœur qui regardent le monde changer dans les montagnes d’Auvergne, ou encore, des couples qui se forment et se désagrègent, isolés là-haut. La rédaction a sélectionné cinq livres dont l’action se déroule dans les montagnes et où, aussi, la montagne est un sujet à part entière du récit.

Par Victor Poilliot

Croire aux fauves, Nastassja Martin (2019)

 

En août 2015, dans l’Extrême-Orient russe, un ours mord au visage et à la jambe une femme. Il lui fend pratiquement le crâne, la mâchoire n’est plus complète, il ne la tue pas mais la laisse là, seule au milieu des étendues gelées des montagnes du Kamtchatka. Elle survit, des compagnons de voyage ont appelé les secours. Elle est venue ici pour ses recherches, elle est anthropologue et vit dans la région, avec les Evènes. Ce jour-là ressemble au début d’une nouvelle ère, c’est le choc des univers, la rencontre des mondes, le lien intime qui se tisse entre humains et non-humains.

Dans ce récit, l’anthropologue Nastassja Martin revient sur cet événement et sur la manière dont elle l’a vécu. Elle raconte les multiples prises en charge médicales, d’une clinique qui sent l’URSS aux dédales aseptisés de la Salpêtrière. L’autrice signe ici un grand livre pour comprendre combien l’anthropologie est une pratique de la vie et une pratique transformatrice où les mondes peuvent se croiser, échanger, se déchirer, s’embrasser.

 

Les Derniers Indiens, Marie-Hélène Lafon (2008)

 

La mère est morte, le frère et la soeur, sans descendance, continuent à vivre dans la ferme familiale. Ils ne changent rien, ne pensent pas à comment modifier la maison pour la rendre plus confortable, ils sont incapables de l’imaginer autrement que comme leurs parents l’ont façonné. Les meubles, le linge de maison, les magazines de vente par correspondance, la maison est emplie d’objets qui rappellent le passé et camouflent le présent. Et pourtant, le temps passe – dans la ferme d’en face les voisins ont des enfants, ils agrandissent leur installation agricole, le frère et la soeur assistent de leur salon à ce monde en mouvement.

Le roman prend place dans les monts du Cantal, département où est née l’autrice Marie-Hélène Lafon avant de partir à Paris pour ses études. Depuis la capitale, où elle vit et enseigne, elle décrit le monde paysan, les travaux des champs, les relations sociales entre les familles locales, qu’elle a observé durant ses jeunes années. Les lieux, habitations, lieux de travail, champs, paysages, font l’objet d’une description dense, chaque objet, chaque recoin tout passe sous le regard du lecteur l’entraînant dans une immersion au plus intime de ce que vivent les personnages.

 

Le fils de l’homme, Jean-Baptiste Del Amo (2021)

 

Une mère et son jeune fils vivent ensemble dans une modeste maison. Un jour, après une longue absence, le père du fils réapparaît. La mère le laisse réintégrer la sphère familiale mais très rapidement il lui expose son projet : quitter cette ville et aller habiter aux Roches. Les Roches c’est sa maison d’enfance, celle dans laquelle il a lui-même grandi seul, avec un père violent. Le père réussit à convaincre la mère et les trois partent dans ce lieu isolé, une ferme presque en ruine loin de tout, dans les montagnes. Ce que le père ne sait pas, c’est qu’elle lui cache quelque chose.

Jean-Baptiste Del Amo continue d’explorer les formes et les expressions de la violence humaine qui animaient déjà son roman précédent, Règne Animal, qui suit une famille d’éleveurs porcins sur plusieurs générations. Dans Le fils de l’homme, il décrit les états intérieurs des personnages à travers un travail de description approfondie de l’environnement qui les entoure (la forêt épaisse comme une muraille, les montagnes inquiétantes, la ferme qui lutte contre la décrépitude). Bousculé par la description d’un enfer en marche, le lecteur ressentira au plus profond de lui-même la peur, le dégoût, l’angoisse qui habitent ce roman.

 

Tabor, Phoebe Hadjimarkos Clarke (2021)

 

Des pluies diluviennes ont englouti la ville, les inondations ont créé un paysage de catastrophe. Le roman suit la vie de Mona et Pauli et les évolutions de leur relation sentimentale dans ce monde d’après la catastrophe. Elles se sont réfugiées à Tabor, sorte de hameau perché à flanc de montagne où sont réuni.es des survivant.es qui tentent malgré tout de maintenir une vie quotidienne. Sans électricité, sans eau courante, sans appareils numériques, toutes et tous tentent de s’accommoder à ce monde low-tech. Mais un jour, un inconnu arrive à Tabor, à partir de là, des événements viennent bouleverser le fragile équilibre de Tabor. 

Science-Fiction ou réalité ? Les récits post-catastrophes semblent appartenir au registre de la science-fiction, mais c’est trop vite oublier que certains événements contemporains peuvent, une fois mis en récits, sembler appartenir au futur alors qu’ils sont bel et bien ancrés dans le présent. Dans une interview pour Socialter, l’autrice déclare : « dès lors que l’on traite de la question climatique, ça ne semble pouvoir se faire que sous l’angle de la science-fiction. On ne peut pas envisager que cela relève du « réel », alors même que tous les phénomènes que je décris dans le livre sont des choses qui existent déjà ou vont exister, et ne relèvent pas de la spéculation ». 

 

Arpenter le paysage. Poètes, géographes et montagnards, Martin de la Soudière (2019)

 

La montagne est au centre de tout, elle est partout dans ce livre, chaque scène ou chaque citation se construit autour d’elle et grâce à elle. Elle est lieu de vacances, de création artistiques, d’études de l’espace, de balades, de randonnées. Dans ce livre qui mêle récits personnels et commentaires d’œuvres sur la montagne, l’auteur se replonge dans ses souvenirs. Il partage avec nous les images et les moments de son enfance, son amour pour les Pyrénées.

En choisissant la notion de paysage, Martin de la Soudière s’intéresse aux ressentis, à la création des souvenirs, à la manière dont l’humain réagit à cette entité qu’est la montagne. Réelle plongée sensible, l’auteur s’intéresse à toutes les manières d’entrer dans le paysage, de l’aborder : la peinture, la poésie, la géographie, la climatologie, la photographie. Cette œuvre touchante est également très instructive puisque l’auteur s’attarde sur les travaux de plusieurs écrivains dont les œuvres sont pleines de ces paysages des reliefs : André Dhôtel, Julien Gracq, Philippe Jaccottet. Bien que ce livre ait beaucoup de qualités, il est regrettable de constater que tous les chapitres consacrés à une œuvre sont concentrés autour d’écrits rédigés par des écrivains, aucune écrivaine n’apparaît au sommaire du livre…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *