4 romans d’Annie Ernaux, pour (re)découvrir le prix Nobel de littérature 2022

À l’occasion de la présentation du documentaire « Les années super 8 » au festival Hot docs de Toronto, qui revient sur la vie de l’écrivaine Annie Ernaux et de sa famille entre les années 1972 et 1981, nous avons eu envie de revenir sur les meilleurs ouvrages (selon nous) de l’autrice, prix Nobel de littérature 2022.

Article écrit par Emmanuelle Faguer

Mémoire de fille (2016)

Publié en 2016, ce récit autobiographique revient sur l’été de ses 18 ans. Annie Ernaux se replonge dans ses premières expériences sexuelles, en revivant notamment sa première fois. Elle analyse les répercussions, des années plus tard, sur la femme qu’elle est devenue. Un texte puissant où le mot « viol » ne figure jamais, même s’il est décrit comme tel.

Un roman difficile mais nécessaire, sur les non-dits d’une société qui ne mettait pas encore de mots sur l’indicible. Comme toujours, l’écrivaine utilise son expérience intime pour raconter un grand récit sur le viol et le consentement. 

« Ni soumission ni consentement, seulement l’effarement du réel qui fait tout juste se dire “qu’est-ce qui m’arrive” ou “c’est à moi que ça arrive” sauf qu’il n’y a plus de moi en cette circonstance, ou ce n’est plus le même déjà. Il n’y a plus que l’Autre, maître de la situation, des gestes, du moment qui suit, qu’il est seul à connaître. » (2016, Gallimard, page 11)

Les années (2008)

Ce roman a été couronné de nombreux prix et a reçu un très bel accueil critique à sa sortie. Elle retrace soixante-ans de vie française à travers des photographies commentées par l’écrivaine. Comme l’avait fait George Perec avec son livre Je me souviens (1978), Annie Ernaux fait de son histoire personnelle un récit universel. Elle se remémore des petits instants de vie, insignifiants en apparence, qui n’ont pas leur place dans les grands livres d’histoire. Mais c’est justement dans l’insignifiant que se construit une grande conscience collective. 

Tout s’effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s’éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire. De la bouche ouverte il ne sortira rien. Ni je ni moi. La langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d’une table de fête on ne sera qu’un prénom, de plus en plus sans visage, jusqu’à disparaître dans la masse anonyme d’une lointaine génération.” (Gallimard, 2008)

L’évènement (2000)

Ce roman, publié en 2000, retrace le parcours d’Annie Duchesne, étudiante de 23 ans en 1963 (soit quatre ans avant la loi Veil) qui cherche à avorter clandestinement par tous les moyens. Annie Ernaux retrace sa propre expérience à l’aide d’un journal qu’elle tenait à cette époque de sa vie. Dans le roman, on suit plusieurs personnages secondaires qui côtoient Annie. Ils ont tous un avis différent sur l’avortement : le petit-ami indifférent, la voisine bourgeoise, le médecin qui n’ose pas transgresser la loi… Un roman essentiel, sur une époque pas si lointaine… 

« … fait partie de ces femmes, jamais rencontrées, mortes ou vivantes, réelles ou non, avec qui, malgré toutes les différences, je me sens quelque chose de commun. Elles forment en moi une chaîne invisible où se côtoient des artistes, des écrivaines, des héroïnes de roman et des femmes de mon enfance. J’ai l’impression que mon histoire est en elles. » (Gallimard, P40, 2000)

L’événement a été adapté en 2021 par Audrey Diwan et a remporté le Lion D’or à la 78ème édition de la Mostra de Venise.

La place (1983)

La place a reçu le Prix Renaudot en 1984. C’est un roman qui démarre sur la mort de son père, ce qui permet à l’autrice de faire un récit rétrospectif qui s’étend de la vie de ce dernier, à la distance qui s’est installée entre eux, « une distance de classe » dit-elle. C’est surtout un texte fort qui réfléchit aux poids des origines et à la puissance de la honte qui en découle. Honte dont l’écrivaine de 82 ans parle encore de nos jours.

« Je voudrais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé. » (1984, Gallimard)

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