L’essor de la pratique de l’upcycling au sein du mouvement florissant de la slow-fashion, entre amour du vintage et création éthique, supporte un engagement écologique et politique fort. En choisissant de récupérer et de revaloriser des matériaux anciens plutôt que de produire encore davantage, l’upcycling cultive chez ses adeptes des pratiques de résistance et de résilience, en plus de réveiller une créativité pleine de sens.
Tribune écrite par Clara Soudan alias Gigi Antoinette
Créer du beau à partir des reliques d’autrefois suggère avant tout de suspendre les rythmes de production et de consommation effrénés propres au capitalisme tardif. Le défi d’un travail artisanal résilient, éthique et mesuré nécessite d’observer une pause créatrice, de s’inspirer de ce qui est déjà, ce qui nous entoure et ce qui nous précède. Il nous invite par là-même à réfléchir à ce que nous mettons au monde ainsi qu’au monde que nos pratiques créatrices contribuent à tisser. L’upcycling incarne donc un temps de repos qui puisse permettre à la terre et aux vivants de se restaurer, une trêve dans le productivisme industriel, un instant lors duquel il est enfin permis de penser l’impensé et panser le meurtri. Dans le processus créatif qui imagine de nouveaux objets à partir d’anciens se voit également restauré un sens esthétique sensible à nos trajectoires terrestres enchevêtrées, nos appartenances et nos enracinements multiples. Lorsque je porte un bijou upcyclé, je porte avec moi plusieurs vies, beaucoup de jours déjà vécus, des aventures quelque part, de l’amour même peut-être. Et voilà que je permets à ces objets de vivre encore quelques histoires, et qu’il est rendu grâce à toutes les vies que l’on peut vivre et aux objets qui nous accompagnent à travers elles.
À l’instar de la marque de couture Maison Cleo, l’engagement contre la fast-fashion s’indigne de l’asservissement des corps d’ici ou d’ailleurs, il dénonce l’esclavagisme moderne sur lequel repose l’industrie du textile et résiste à une posture prédatrice qui s’accapare les ressources terrestres et les savoir-faire artisanaux et locaux. Ce faisant, la slow-fashion restitue ses titres de noblesse à la mode appréhendée comme un art à part entière, un moyen d’expression et une manière d’habiter le monde.
Renouant avec des pratiques ancestrales (et largement féminines) de transmission, de réparation, de transformation et d’imagination, l’upcycling s’inscrit dans la temporalité de ce qui dure et de ce qui renaît. Réparer d’anciens habits dans un contexte d’effondrement écologique revêt en effet une dimension éminemment politique et s’apparente à une forme très concrète de résistance. Alors que l’imaginaire politique semble nous contraindre à une résignation passive, une obéissance désolée, l’upcycling nous permet de recouvrer une puissance d’agir depuis notre appartenance à un système consumériste et productiviste écocidaire (c’est-à-dire contribuant à la destruction ou la perte substantielle d’un ou plusieurs écosystèmes, entamant ainsi la capacité des vivants à habiter leur environnement). Artisan.es de l’upcycling, nous qui chinons et restaurons, nous tissons de la beauté dans les débris du capitalisme. Plein.es d’idées, de projets, de ressources, de choses auxquelles nous tenons férocement, nous répandons l’espoir du possible et nos initiatives bourgeonnantes essaiment des mondes résilients. Nous sommes puissant.es, créatif.ve.s et ensemble nous réparons le monde et lui permettons d’advenir.
Suggestions de lecture :
-Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes.
-Emilie Hache (dir.), Reclaim. Recueil de textes écoféministes
-Emilie Hache, Ce à quoi nous tenons. Propositions pour une écologie pragmatique.
-Silvia Federici, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive.