Violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la musique : les choses ont-elles changé depuis MusicToo ?

Si, de prime abord, on fait rimer le milieu de la musique avec celui de la fête, il en porte aussi les tares et les déboires. Dans un milieu où “tout le monde se connaît”, difficile de séparer privé et professionnel. Difficile également d’échapper aux soirées alcoolisées, aux tumultes de la drogue mais surtout à la pénombre de la nuit qui protège certains actes infâmes et innommables.

Pourtant, certain.e.s ont nommé ces actes, ces violences sexistes et sexuelles longtemps restées dans l’ombre des craintes, de la honte et de l’intimidation. Puisque tout le monde se connaît, comment dénoncer celui ou celle qui pourrait mettre un terme à nos carrières, nos sorties, nos amitiés. Depuis #MeToo en 2017 et #MusicToo en 2019, la lumière se fait. La parole se fait plus consciente, engagée et forte. Les victimes se rendent compte qu’elles sont victimes, si ce n’est d’un agresseur, d’un système ayant permis une impunité à ceux ayant commis des crimes. La sororité grandit, les langues se délient et le milieu de la musique évolue vers une plus grande égalité.

Mais où en est-on aujourd’hui ? Le milieu a-t-il vraiment évolué ? Retour sur ces trois années qui ont remué le  milieu de la nuit.       

Article co-écrit par Eva Darré-Presa, Caroline Dibobe, Olympe Dupont & Michel Le Dentu

Comment tout a commencé ?

En 2017, la vague #MeToo résonne et des témoignages sont partagés, révélant de nombreuses violences sexistes et sexuelles, particulièrement dans le monde du cinéma. Le 12 novembre 2019, Emily Gonneau est la première femme de l’industrie musicale à témoigner en son nom à propos des violences sexistes et sexuelles exercées au sein de ce milieu. Elle lance le hashtag #Musictoo pour dénoncer des violences commises par un homme à un poste haut placé, dénonçant au passage son ancienne société qui l’avait dissuadée de porter plainte. 

En 2019, une enquète de La Guilde des Artistes de la Musique et du collectif CURA dévoile qu’une femme artiste sur trois a été agressée ou harcelée sexuellement dans l’industrie musicale en France.  En 2019 toujours, Télérama publie des témoignages dans un article intitulé Changez de disque les machos, provoquant une nouvelle vague d’espoir chez les victimes de VSS (Violences Sexistes et Sexuelles). En 2019 encore, 1 200 professionnelles du secteur signent un manifeste, le F.E.M.M (“Femmes Engagées des Métiers de la Musique”) qui appelle au changement des mentalités et des pratiques dans le milieu de la musique. Elles souhaitent : 

« Questionner la répartition du pouvoir, dépasser le seul sujet du harcèlement et des violences sexuelles pour définir, ensemble, les mesures concrètes et nécessaires qui nous permettront de garantir l’égalité et la diversité dans nos métiers, et ainsi favoriser en profondeur le renouvellement de la création. »

Le 17 juillet 2020, le collectif MusicToo reprend le hashtag créé par Emily Gonneau pour « donner un nouveau souffle à la libération de la parole dans l’industrie musicale ». S’en suit la collecte de nombreux témoignages et la publication de plusieurs enquêtes pour dénoncer des artistes, des labels et autres professionnels et organisations, grâce notamment au soutien de Néon et Médiapart. Au total, près de 18 enquêtes, plus de 150 articles et de nombreuses actions mises en place. Dans une tribune publiée sur le site Néon, Jean-Michel Journet, membre fondateur du collectif MusicToo lance un appel à l’action aux hommes du milieu. Il écrit : 

« En accord avec le collectif, je peux aujourd’hui me présenter à vous pour témoigner publiquement et porter ce besoin de transformation au-delà des réseaux sociaux. (…) Je le fais dans le confort et la conscience de ce privilège d’être un homme qu’on qualifiera peut-être de « bien », « woke » ou « déconstruit ». Un homme qui veut aussi attirer l’attention et initier l’action de mes confrères de l’industrie musicale. »

 

Le 18 octobre 2021, le collectif annonce sa dissolution après plus d’un an de travail bénévole très prenant et bouleversant. « Depuis le départ, nous avions décidé que notre mission ne serait ni pédagogique, ni structurante. Il s’agissait de lancer le moteur, de mettre un coup de pied dans la fourmilière sans pour autant la détruire. »

La fin de MusicToo soulève un problème : celui de l’énergie mise dans une lutte à titre  bénévole. Lors d’un entretien, Emily Gonneau, qui a cofondé Change de Disque et qui met régulièrement en place des actions autour des violences sexistes et sexuelles dans l’industrie musicale, nous a parlé de ce problème. Un tel travail ne peut pas être bénévole tant il est énergivore. En s’engageant d’une telle façon dans cette lutte, les femmes se voient à nouveau reléguées à un travail non rémunérateur et ont moins de temps pour s’occuper de leur activité lucrative. MusicToo, dans son communiqué de dissolution, explique d’ailleurs que « cette responsabilité, cette mission, ne peut se poursuivre de façon bénévole et sans accompagnement structurel.  »

Le mouvement Music Too a permis des avancées notables. Dans notre entretien avec Emily Gonneau, cette dernière parle d’une prise de conscience généralisée, un relais institutionnel, mais aussi par les fédérations professionnelles. Depuis cette libération de la parole, les violences sexistes et sexuelles sont devenues un réel sujet, et ça le restera tant que les gens décideront que c’en est un. Maintenant, il reste à savoir comment articuler une pression médiatique à un engagement concret de la part des entités et comment assurer une part de suivi des avancées. Il y a donc du changement, mais il faut rester mobilisé.e.s, car on a tou.te.s à y gagner. Emily Gonneau a clôturé l’entretien avec deux points de vigilance. Le premier est qu’il ne faut pas se dire que, parce que les choses ont bien avancé, tout est bon et qu’il est possible de relâcher les luttes. Il faut du courage pour se déconstruire et confronter, et cela prendra du temps. Le deuxième point de vigilance est celui cité plus haut : les personnes qui ont fait beaucoup aujourd’hui sont fatiguées, militer demande du temps et de l’énergie. Le travail de militantisme a une valeur et ne peut pas être exigé ou attendu comme une évidence. Il faut remettre au cœur du débat la santé mentale des militant.e.s pour qu’iels ne se sacrifient pas.

 Retour de la fête = retour des problèmes ?

14 octobre 2021 : Instagram voit la création du compte @balance_ton_bar qui insufflera un vent de révolte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la nuit. Si l’initiative est belge, elle ne tardera pas à s’exporter en France. Le mouvement “Balance Ton Bar” arrive vite à Paris, Lille, Nantes, Nancy… et les témoignages se font de plus en plus nombreux. Des victimes témoignent anonymement des agressions qu’elles ont subies dans des lieux de fête clairement nommés, de sorte que des boycotts, des dépôts de plainte ou des prises de conscience au sein des équipes se fassent. Face à la violence de ces témoignages, bars et médias ne restent pas les bras croisés. Des journaux comme Libération ou le Monde mettent en avant le mouvement et permettent à la France entière de prendre connaissance de ces crimes qui paraissent excessivement communs. 

13 Mars 2020 : début du confinement. Deux mois de vie cloîtrés pour repenser un monde de la musique et de la fête déjà critiqué pour son insécurité à l’égard des femmes. Un article du magazine Trax datant de 2018 faisait déjà un état des lieux accablant: « une femme sur cinq est victime de harcèlement ou d’agression sexuelle en festival. » 

Sous cloche, l’heure est au rabattage de cartes : comment reprendre une fête plus juste, moins violente pour les femmes ? Une membre de l’association Consentis, association de prévention et de sensibilisation qui vise à développer une culture du consentement en milieu festif, nous a fait part des évolutions que le confinement avait permis : comme tout était fermé, les diverses associations militantes oeuvrant dans le milieu festivalier, festif et musical se sont rassemblées pour réfléchir à des initiatives permettant de mettre en place un milieu plus sain, plus juste, moins dangereux. Un pas a été fait dans cette direction grâce à une publication plus régulière des témoignages de violences dans ce genre d’évènements (en festival, en club, en concert…). 

Consentis a également beaucoup communiqué pendant cette période, en lançant la boîte de témoignage anonyme “MeTooDancefloor”, qui permettait de recueillir la parole de victimes en milieu festif. Des livestreams de sensibilisation ont également été organisés durant cette période. Le changement, voire le progrès en matière de sécurité et d’égalité semblait prendre une ampleur grandissante au fur et à mesure que les semaines d’isolement passaient. Cependant, une fois le confinement terminé et les boîtes rouvertes, les problèmes persistent. Dans le même temps, une enquête de l’Ifop en partenariat avec la Fédération Nationale de la Solidarité Féminine voyait le jour en vue d’établir le lien entre violences conjugales, sexuelles et sexistes et confinement. Un an plus tard, le résultat tombe : pour une femme victime sur trois les violences conjugales démarrent pendant le confinement. De fait, la tentation du fatalisme est grande : la membre de Consentis interviewée reconnaît un léger sentiment d’avoir fait un travail dans le vide. Mais devait-on s’attendre à des résultats immédiats ? Et ces constats montrent-ils que les choses n’évoluent pas ? 

Pourtant, Consentis n’a jamais eu autant de demandes d’interventions qu’après le premier confinement : en boîte de nuit ou en festival, des affiches de sensibilisation sont collées au mur, des stands avec des bénévoles pour parler du consentement sont mis en place, des formations de sensibilisation au consentement avec des formatrices se multiplient. De même, un partenariat avec le magazine Trax a vu le jour il y a maintenant un an, où l’on peut retrouver régulièrement des posts de sensibilisation où des interviews explicatives de ses fondatrices sur une notion de sexologie ou de consentement. 

Sur la question des VSS au cœur des festivals, le dispositif Safer est mis en place. Le but ? Lutter contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles en milieux festifs grâce à trois outils : une application pour prévenir, une équipe pour intervenir et un stand pour répondre aux questions. Dans le milieu étudiant aussi les lignes bougent. Consentis intervient dans les BDE pour sensibiliser au plus tôt et effacer le flou qui entoure parfois la différence entre drague et agression. 

Dans le milieu professionnel aussi les choses évoluent. Le CNM (Centre National de la Musique) a mis en place des formations obligatoires au sein des structures pour favoriser une meilleure compréhension et donc une meilleure prévention des VSS. Des fiches pratiques ont également été coécrites par le CNM et le Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes pour identifier et prévenir les VSS.  

16 février 2022 : Après une troisième fermeture de longue durée, les boîtes de nuit rouvrent. Le journal Le Télégramme alerte déjà sur le retour des administrations chimiques ayant fait l’objet de trois plaintes par trois femmes à Nantes : cette fois-ci par le biais de piqûres. Une horrible solution pour contourner le plan anti-GHB mis en place par le Ministère de l’Intérieur, avec à la clé prélèvement toxicologique, assistance de secours en cas d’agression ou de violences sexuelles et formations à destination des personnes chargées de la sécurité du lieu. Il va sans dire que ce plan a vu le jour grâce aux centaines voire milliers de témoignages relayés par des associations comme Consentis, ainsi qu’aux multiples alertes lancées par celles-ci. Retenons pour conclure que le problème existe de manière permanente, et que s’ il touche en grande partie le monde de la fête, il est loin de ne faire des victimes uniquement dans ce milieu.

Une bataille loin d’être gagnée

La prise en compte de la parole des victimes a aidé à la création d’un cercle vertueux. Plus les victimes témoignent, plus d’autres osent raconter leur histoire. Le travail des différents collectifs a permis une prise de conscience générale sur les travers du milieu de la fête. Si les choses évoluent, elles sont encore loin d’être parfaites. La conscience de l’agression n’est pas toujours claire chez l’agresseur qui pense encore parfois qu’il ne s’agit que de drague, et non pas de violence ou de tentative d’abus et/ou d’emprise.

Le problème restant qu’il y a une idée reçue chez certains agresseurs persuadés que ce n’est que de la drague, et non pas une tentative d’emprise ou d’abus de pouvoir. Camille* a reçu des messages sexuels de la part d’un musicien qui devait l’aider à réaliser un album. Ce dernier lui a fait comprendre que s’il ne se passait rien entre eux, il ne se passerait rien professionnellement car il souhaitait avoir avec elle une relation « comme Birkin et Gainsbourg”. Elle avait 36 ans au moment des faits, il avait l’âge d’être son père. Elle a refusé toute avance de sa part en posant des barrières professionnelles entre eux. « Pour lui, c’est de la drague qui n’a pas aboutie. » 

Christine* a vécu un harcèlement psychologique de la part de son supérieur hiérarchique quand elle était en stage à 24 ans. C’est lors d’un after dans un hôtel qu’un musicien profite de son alcoolémie pour avoir des rapports sexuels avec elle. Quand elle arrive au travail le lendemain matin, elle se rend compte qu’elle a oublié ses lunettes à l’hôtel. Elle envoie donc un message à son supérieur pour avoir un contact du groupe, ne précisant rien de plus qu’elle avait fait la fête avec l’équipe. Il lui répond : « Tu m’avais demandé un jour de te le dire si jamais tu faisais quelque chose qui me dérangeait, il faut savoir que là t’as fait la chose à ne pas faire, coucher avec un artiste. Viens pas bosser aujourd’hui, c’est inadmissible. »  Il lui propose de prendre un café le lendemain pour discuter de la situation. Il lui demandera alors de s’excuser de son comportement, qu’il ne s’attendait pas à ce qu’elle fasse ce genre de chose, ajoutant même « Comment tu veux que moi j’agisse derrière, je connais sa femme, je connais ses enfants. ». Quand elle lui rétorque qu’ils étaient deux dans l’histoire, il lui répond que lui est un artiste, et qu’il a carte blanche. « Il m’a ensuite dit de rester à ma place de stagiaire, que je prenais trop mes aises. Il m’écrira par la suite que ce qu’il a fait, il l’a fait pour moi. Que c’était dur pour lui de me dire ça mais qu’il n’aimait pas qu’on parle sur moi et que c’était toujours dévalorisant. » 

C’est ce même homme qui lui écrira avant, pendant et après son stage qu’elle « est bonne dans son short », qu’elle « a un plus beau cul que la fille de la billetterie » ou encore qu’il lui ferait de la place sur son bureau si elle voulait faire un concours de booty shake en réaction à une de ses stories Instagram. 

Comment réagir, quand on a 24 ans et qu’on est sur le marché de l’emploi, quand son supérieur hiérarchique se pense grand seigneur en lui faisant porter la responsabilité d’un viol, tout en tenant des propos déplacés pendant et en dehors des horaires de travail ? Comment faire quand le milieu de la musique est si petit et qu’il suffit d’un coup de téléphone pour briser une carrière qui vient de démarrer ? Comment dénoncer et s’exprimer quand la parole n’est pas entendue ou reçue de manière bienveillante ? 

Certaines personnes avec qui nous avons pu discuter ont pris la parole publiquement, dénonçant leurs agresseurs et les lieux dans lesquels s’étaient produits les événements. Marie*, victime d’attouchement dans une salle de concert et ayant pris la parole publiquement nous raconte :

« Sur les réseaux sociaux, ce petit monde musical que j’ai longtemps fréquenté continue d’aller dans cette salle, à poster des stories, à jouer là-bas. C’est des gens qui m’ont envoyé des messages de soutien après ma prise de parole, qui relaient Balance Ton Bar. Après ça, les gens m’ont regardé avec beaucoup de pitié, j’ai foutu le malaise. Il y a une hypocrisie du milieu musical qui sait, qui a parfois vécu, qui crie “more women on stage” mais qui ne soutient pas vraiment. Le soutien reçu après ces événements est retombé comme un soufflé. »

Quand Christine rapporte les paroles déplacées d’un technicien à une amie sur un festival où elles étaient bénévoles, cette dernière lui explique que sa manière de parler peut donner l’impression qu’elle drague. Comment oser prendre la parole si on sait qu’elle pourra être remise en question ? 

Bien que la parole soit bien plus entendue qu’avant #MeToo et #MusicToo, un climat d’impunité règne encore sur le milieu musical. Avoir une parole féministe qui dénonce les inégalités et qui lutte pour une réduction des violences n’est pas toujours bien vu dans un milieu où, parce que la fête, on préfère profiter du moment que de prendre soin des autres. Louisadonna, artiste mais aussi psychologue, a eu bien du mal à s’entourer pour sortir un premier EP engagé. « Quand tu fais des rendez-vous dans des labels, généralement tu fais face à des hommes. Avec un projet féministe, c’est plus compliqué. Je pars du principe que soit je vais être une sorte de caution féministe pour eux, soit je vais faire face à des gens qui ne comprennent rien à mon discours. Quand je cherchais un label, un homme m’a dit que c’était quand même marrant d’entendre ce que je disais, parce qu’avec mon physique on n’allait pas se douter que j’allais dire des choses intelligentes. » Si son EP a été difficile à défendre d’un point de vue marketing sur les réseaux sociaux pour la censure que l’on connaît, certains médias ont refusé d’en parler, prétextant qu’un message d’égalité homme/femme induisait un positionnement politique.

C’est pour toutes ces raisons et bien d’autres encore qu’il est difficile d’entendre que certain.e.s refusent les formations proposées par le CNM puisqu’ielles n’y voient pas d’intérêt. 

Vers un espoir ? 

Si la bataille contre les violences sexistes et sexuelles est bien loin d’être gagnée, un espoir reste permis. En 2021, certaines actions et prises de parole ont fait des vagues : citons le départ de Martin Gugger du groupe Salut C’est Cool, le licenciement du Directeur Général de Because suite à la transmission d’une quarantaine de témoignages à Emmanuel de Buretel, président de Because Music et Because Editions ou encore l’enquête de Mediapart publiée le 22 mai 2021 sur le milieu métal. 

Si même les Major sont capables d’ouvrir les yeux sur leur fonctionnement interne, il est temps de se déconstruire et d’admettre que ça sent le pourri dans le milieu de la musique. Car s’il est déjà difficile d’être une femme, ça l’est d’autant plus dans un milieu majoritairement masculin attaché à ses habitudes. 

Dans notre entretien avec Louisadonna, elle nous raconte son expérience au sein de Women Safe : « J’ai commencé à être psychologue avant #MeToo. On a vu, dans les endroits où je travaillais, une évolution assez incroyable. Quand j’ai commencé à faire ce métier, les femmes qui venaient me voir se sentaient beaucoup moins légitimes, avec une parole contenant beaucoup plus de doutes. Après #MeToo, les téléphones se sont mis bien plus à sonner qu’avant et il y a eu un phénomène de libération assez incroyable. On est passé à un niveau de saturation énorme. Maintenant quand les femmes arrivent, elles sont beaucoup plus revendicatrices. Il y a aussi eu un changement au sein de la police, même si tout est loin d’être parfait. Avant #MeToo, on avait plus de femmes qui revenaient vers nous en disant qu’elles avaient eu un refus de plainte. C’est un phénomène de plus en plus rare. » 

De plus en plus de collectifs, de labels, de mouvements et comptes Instagram naissent des cendres de #MusicToo pour introduire plus d’inclusivité et de sécurité dans le milieu musical. C’est le cas de Lola Levent, co-fondatrice avec Emily Gonneau de Change de Disque mais aussi fondatrice de DIVA, entreprise d’accompagnement d’artistes, conseil et création de contenus, avec qui nous nous sommes entretenus. En 2020, Lola Levent est en souffrance face à ce qu’elle a subi dans le milieu, elle ne se reconnaît plus nulle part et se sent seule. De son expérience est né le projet DIVA, projet hybride de sensibilisation aux violences et de mise en lumière des minorités de genre. Sa création a causé à Lola la perte de son activité lucrative : on lui demande alors de faire un choix car son nouveau projet n’est pas bien accueilli. Elle décide donc de mettre son énergie au service de DIVA et le management d’artiste prend de plus en plus de place. Aujourd’hui, Lola Levent met en lumière des artistes et sensibilise sur les sujets de discrimination au quotidien à travers ses activités mais aussi à travers des événements, comme le “dday” organisé le 8 mars 2022.  

Dans un milieu si masculin les femmes se regroupent dans des safe space portant un objectif commun : donner plus de visibilité aux femmes dans la musique et leur permettre d’évoluer dans un milieu plus serein et sécurisé. Dans une industrie avec des métiers fortement masculinisés, il devient alors indispensable de trouver ces oasis de paix entièrement féminins, où règne un concept : la sororité. De labels entièrement féminins comme DIVA aux évènements artistiques mettant en avant uniquement des talents d’artistes femmes, une réorganisation de l’industrie musicale afin de trouver une nouvelle manière de travailler se dessine. Parlons également du collectif de chanteuses Les Sulfureuses, fondé en 2019 par Club Célest et Amaurie, qui promeut des valeurs de sororité en accompagnant huit artistes sur plusieurs aspects de leurs carrières. Aussi, on pense au super compte Instagram Go Girls qui donne la parole à des femmes du milieu, en leur demandant à la fois les obstacles qu’elles ont pu rencontrer, mais aussi ce qui les a aidé à avancer.  

Marie de Lerena, autrice-compositrice au sein du duo électro Sisterhood Project, co-fondatrice de la société de production Beautiful Accident et de l’association Burning Wxman nous raconte sa vision de la sororité. Pour elle, la sororité est indispensable pour mettre en place le féminisme, et engendre bienveillance et une manière de travailler tout à fait différente, loin de nos modèles productivistes qui sont la porte ouverte à tous les abus. Il s’agit non seulement de créer des espaces safes pour les femmes mais aussi montrer une nouvelle manière de travailler et d’aborder la vie. Le recours au féminisme devenant alors passage obligé, impossible d’envisager un projet artistique sans le rendre politique. «Avec Sisterhood Project, on ne sait pas trop si on prend la musique comme prétexte pour le féminisme ou si le féminisme est le prétexte du projet artistique», nous disait Marie. Un besoin de bienveillance qui se rend donc politique par son exclusion des agresseurs, car comme l’affirmait Rebeka Warrior à Néon : « Il faut que l’agresseur soit celui qui s’en aille.»

Face aux nombreux témoignages, il est temps d’arrêter de remettre en question la parole des victimes. Sous couvert d’humour, de drague, de familiarité dûe au milieu si particulier de la musique, les violences sexistes et sexuelles ne peuvent plus être excusées.  C’est à nous de jouer aujourd’hui. À nous d’aider les victimes qui le souhaitent à parler. À nous de leur dire “je te crois”. À nous de donner de la force aux femmes qui créent, qui inventent, qui produisent et qui s’unissent. À nous de faire du milieu de la musique un endroit safe dont on pourrait être fier.e.s. Plus que de faire cesser le harcèlement, les violences et les agressions, il faut remettre en question un dysfonctionnement systémique qui porte préjudice aux femmes et minorités de genre. Donnons plus de pouvoir aux femmes. Permettons à leurs voix de résonner, de s’étendre et de s’épanouir dans un milieu profondément masculin. 

Sororité et engagement féministe sont les principaux recours d’une nouvelle organisation d’une industrie musicale qui veut prévenir les violences auxquelles a longtemps exposé le boys’ club des labels. Et pour changer radicalement le système, et avoir un véritable impact, c’est une puissance forte et médiatisée qui doit être apportée. Si l’impunité est due en grande partie à la complicité des détenteurs du pouvoir décisionnel, la voix des artistes qui refusent de se taire doit aussi être accompagnée et portée par les médias. Si la dénonciation est un privilège, comme l’affirmait en 2020 Lola Levent lors d’une interview pour Manifesto XXI, elle est aussi le devoir de ces personnes privilégiées, qui détiennent le pouvoir médiatique. 

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* Les témoignages ont tous été anonymisés. 

Merci à toutes les personnes ayant bien voulu témoigner pour cet article. Merci également aux associations et collectifs avec qui nous avons pu discuter des mesures réellement mises en place. 

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