S’il suffisait qu’on s’aime, c’est l’histoire intime de deux femmes au milieu d’un grand combat, celui pour le droit à la PMA. Touchant et enrichissant à la fois, nous avons eu la chance de lire ce roman graphique à mettre entre toutes les mains.
Article écrit par Nina Lachery
S’il suffisait qu’on s’aime, Chronique intime des années « PMA pour toutes »
Lorsque les éditions Steinkis ont gentiment proposé aux rédacteurs et rédactrices de Mauvaise Graine Magazine de lire le roman graphique S’il suffisait qu’on s’aime, il était impossible de ne pas sauter sur l’occasion. Sortie fin octobre 2022 avec le soutien du fond de dotation féministe et lesbien, l’œuvre de Daphné Guillot (à l’écriture) et de Julie Guillot (à l’illustration) posait toutes les questions qui nous intéressent chez Mauvaise Graine.
Julie et Daphné se rencontrent en juin 2013, à Paris, alors que le mariage pour tous vient d’être voté. C’est une victoire pour la communauté LGBTQIA+ mais ce n’est pas réellement la fin du combat, ça, elles l’ignorent encore.
« C’était le début d’une histoire extraordinaire et banale, une histoire comme on en croise à tous les coins de rue. Mais l’amour ne nous attend pas à tous les coins de rue. » – Daphné et Julie Guillot, « S’il suffisait qu’on s’aime » (2022)
Le droit de s’aimer, sur le papier, elles l’ont, mais comme l’indique le titre du roman graphique, vivre cet amour n’est pas si simple. De 2013 à 2020, Daphné et Julie vont nous présenter leur histoire d’amour si commune et ses combats si extraordinaires. Les deux femmes reviennent sur leurs parcours, la découverte de l’homosexualité, la question du mariage, l’envie d’avoir un enfant à peine avouée, de fonder une famille, le regard des autres, les soutiens et les détracteurs, bref, la vie lorsqu’on fait partie de la communauté queer en France.
En effet, la force de ce roman graphique réside dans son choix de mêler des questionnements actuels, féministes et politiques à la vie personnelle. Julie et Daphné ont le courage de nous présenter leur intimité et leurs questionnements. Elles n’illustrent pas leur quête par un couple anonyme ou des personnages fictifs mais nous plongent dans leur propre vie. Tout devient plus frappant, lorsqu’on ressent la chair et la profondeur des personnages que l’on suit.
On découvre alors, si on ne le savait pas déjà, que vivre queer est synonyme de vivre politisé.e. Difficile de ne pas prendre les pancartes (ce que l’on encouragera toujours plus que de prendre les armes) lorsque la société elle-même nous empêche de vivre « comme tout le monde ». S’il suffisait qu’on s’aime évoque certes le combat pour la PMA mais également pour le mariage homosexuel, le droit de protection, le droit de reconnaître l’enfant de son partenaire, d’adopter, d’avoir des enfants ou de ne pas en avoir. Bref, le droit de choisir sa vie.
« Qu’est-ce qui était le plus toxique ? La minorité réac, hostile et bruyante ? Ou la majorité polie, sceptique et complaisante qui discutait de notre légitimité ? Leurs doutes devenaient les nôtres, comme un poison qu’on aurait ingéré. » – Daphné et Julie Guillot, « S’il suffisait qu’on s’aime » (2022)
Avec poésie, on se laisse happer par une histoire qui n’a pas seulement prévu d’enchanter mais veut aussi informer. Derrière ce roman graphique, il y a un travail de documentation énorme. On compte 237 notes de bas de page et une page entière de conseils (lectures, films, podcasts…) « pour aller plus loin. » L’histoire d’amour est une ligne que l’on suit tout en découvrant ou redécouvrant le combat pour la PMA. Les passages informatifs sont nombreux et peuvent paraître lourds pour un lecteur ou une lectrice qui lirait S’il suffisait qu’on s’aime par loisir. Nous recommandons malgré tout de tenter cette aventure car elle soulève des points passionnants qui méritent d’être mis en avant.
Plusieurs éléments nous ont particulièrement marqués dans ce récit.
Daphné et Julie nous font part de la crainte qu’elles ont ressenti lorsqu’elles ont pour la première fois envisagé d’avoir un enfant. Comment parler d’avoir un enfant avec son ou sa partenaire, lorsque l’on sait que les choses nécessiteront un combat à part entière ? Comment discuter, dans un couple lesbien, de qui portera l’enfant et de quel sera le statut de celle qui ne le portera pas ?
Ensuite, il y a la question du combat féministe lorsqu’on est une femme et que l’on se découvre un désir de maternité. Lorsqu’on passe après une génération de femmes qui se sont battues pour choisir quand elles tomberont enceintes et une autre qui a revendiqué le droit de ne pas vouloir d’enfants du tout, on se pose parfois des questions existentielles. Est-ce que je suis vraiment féministe si je veux être maman ?
Enfin, le roman graphique souligne également la difficulté à « réussir » une PMA. Les échecs sont nombreux, le processus coûte cher, il est usant physiquement et mentalement. Il ne représente pas non plus la « fin » de la lutte puisqu’il faut également envisager les difficultés de reconnaître l’enfant à naître pour « l’autre maman », celle qui ne le porte pas.
Aujourd’hui, si la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes et les femmes seules est désormais autorisée en France, elle est loin d’être une base équitable pour toutes et tous. Si vous désirez dépoussiérer vos connaissances sur ce sujet ou ouvrir les yeux de vos proches, S’il suffisait qu’on s’aime est un cadeau idéal. Poétique, politique, informatif, et intime à la fois, ce roman graphique vous plongera sans détours dans un combat actuel mené par et pour l’amour.
Vous pouvez en retrouver les autrices sur le blog http://toutva-mieux.blogspot.com/ et le roman graphique en librairie.