Mais où est la jeunesse dans les séries françaises ? Retour sur l’adolescence à la française sur petit écran

Depuis janvier 2022, la diffusion de la saison 2 d’Euphoria, série HBO suivant des adolescents tourmentés et en quête identitaire est un véritable succès, alimentant chaque semaine de nombreuses discussions. Le thème de la jeunesse, très présent dans les œuvres télévisuelles anglophones, est depuis très longtemps exploité et constitue même un genre à part entière : la série pour ado ( ou Teen Series). De Beverly Hills et Dawson, puis Les Frères Scott et Gossip Girl jusqu’à Sex Education et Euphoria, les séries tiennent en haleine une grande communauté et passionnent les foules. Et si nous avons grandi et continuons encore aujourd’hui à visionner ces productions étrangères, la jeunesse française, elle, est toujours très peu représentée sur les petits écrans. Mais où sont donc les adolescents dans la fiction française ?

Les Grands, de Benjamin Parent et Joris Morio (2016)

Article écrit par Manon Martin

Les années AB PRODUCTIONS, une jeunesse idéalisée et peu représentative des réalités

Quand on pense adolescence française à la télé, difficile de ne pas penser à Hélène et les garçons ou Premiers Baisers. Ces séries AB Productions apparues dans les années 90 qui ont grandement participé à l’éducation d’une génération. Si pour la première fois, des adolescents et jeunes adultes sont les personnages centraux d’une série française, le ton adopté, mièvre et sucré, ainsi que des intrigues répétitives et peu risquées ne permettent pas au thème adolescent d’être justement représenté.

Un des premiers constats est l’extrême pauvreté de diversité. Les personnages sont stéréotypés au possible, tous cisgenre et hétérosexuels. Les filles sont coquettes et intelligentes, les garçons sont virils et idiots. Dans le monde d’AB production, la sexualité est abordé de façon très scolaire et suggérée, plutôt loin de la vérité et même de ce qui est représenté dans les films de la même époque qui abordent de plus en plus le thème de la jeunesse et de cette quête identitaire et d’expériences, notamment avec le Péril Jeune de Cédric Klapisch en 94. Il est aussi important de notifier que les personnages sont tous caucasiens et viennent la plupart de « bonnes familles », excluant ainsi une représentation de toute une jeunesse française, et que leurs apparitions dans des rôles secondaires sont souvent suivis de remarques racistes.

Quelques sujets plus « difficiles » que de simples intrigues amoureuses sont tout de même abordés dans des épisodes, tels que les addictions ou la dépression. Malheureusement, ceux-ci ne sont pas développés et restent, en grande partie à cause du ton gentillet des sitcoms, survolés puisque toujours résolus au bout de deux ou trois épisodes grâce au grand pouvoir de l’amitié…

Finalement, le but de ces séries adolescentes n’est pas vraiment de dépeindre une réalité mais plutôt de présenter une image parfaite et édulcorée du « bel âge ». Les personnages sont gentillets, prônent de belles valeurs, sont intelligents, musiciens, drôles… Et pour garder cette vision du modèle parfait avec Hélène, personnage principal d’Hélène et les garçons, TF1 en viendra même à supprimer (ou censurer) deux épisodes présentant la jeune femme droguée ( à son insu). De plus, surfant sur le succès des Teen Séries américaines, notamment Beverly Hills 90210, les adolescents se retrouvent dans des Diners et font tous partis d’un groupe de rock, copiant un imaginaire américain, bien loin du quotidien d’un jeune français.

En 1993, une tentative de série abordant des sujets de société et avec des personnages moins stéréotypés et plus de diversité est tout de même à noter. France 2 lance ainsi la sitcom Seconde B qui a pour intrigue principale la vie quotidienne de lycéens banlieusards. Malheureusement, la série ne rencontre pas le même succès que les productions AB.

Le vide des années 2000/2010, une jeunesse peu existante

Les années 2000 marquent un véritable tournant pour les Teen Séries. La fin de Beverly Hills après dix ans d’intrigues laisse place à une nouvelle génération de se développer. Les séries américaines connaissent leurs heures de gloire et les Teen Séries ne cessent d’envahir les écrans, Newport Beach, Les frères Scott puis Gossip Girl, Degrassi ou encore Glee et Pretty Little Liars, il y en a pour tous les goûts.

Nos voisins anglais révolutionnent le genre en 2007 avec SKINS, une série plus trash et aux personnages complexes et des intrigues plus sombres que ce qui avait pu être fait auparavant. Les créateurs font appel à des acteurs inexpérimentés et tournent dans la ville de Bristol, loin des paysages idylliques de Los Angeles. Devenant un véritable phénomène de société, la série a le mérite d’aborder au premier plan des sujets encore tabous dans les années 2000 et sans véritable jugement ou morale conservatrice derrière.

En France, on est encore très loin d’une représentation variée et intéressante de la jeunesse. Les séries AB déclinent et les productions se concentrant sur le quotidien d’une génération 15-25 ans se font plus rares. France 2 avec son émission K2DA, lance des séries à petit budget tel que Foudre ou Chante !, qui rencontrent des succès très moyens. C’est le cinéma qui prend en charge le thème adolescent avec LOL de Lisa Azuelos en 2008, ou encore Nos 18 ans de Frederic Berthe, sorti la même année.

En 2011, débarque SODA composé de mini-épisodes mettant en scène Adam, un lycéen de 18 ans (joué par Kev Adams) et de ses deux meilleurs amis, un peu paumés. Si la série, shortcom comique, ne manque pas d’accentuer le cliché de l’adolescent idiot, elle s’impose comme une référence phare d’une génération, qui parvient à s’identifier à ces jeunes lycéens, en y voyant notamment une chance de s’exprimer et d’exister dans les productions télévisuelles françaises.

Contrairement à ce qui peut être fait à l’étranger, la France a toujours du mal à mettre en avant et à traiter correctement le thème de la jeunesse. En 2010, TF1 lance CLEM, où le personnage principal est une jeune fille de 16 ans qui tombe accidentellement enceinte. Si l’idée est intéressante, les acteurs choisis sont beaucoup plus âgés, ce qui se remarque directement à l’écran et l’intrigue repose finalement plus sur les parents que sur la jeune maman.

France 2 et Arte essaient tout de même, à partir de 2012, de donner une place dans la fiction aux jeunes mais cela reste très limité, on peut alors citer Clash diffusé en prime time et 3xManon, qui viennent moderniser la représentation des ados, qui rencontrent un succès moindre, n’ayant pas la même liberté que Skins.

Aujourd’hui, enfin de la modernité et une vraie place accordée à la jeunesse.

Aujourd’hui, la France rattrape de plus en plus son retard en matière de production de séries, notamment grâce aux plateformes (Netflix, Prime Video…) mais aussi à des chaînes tel qu’OCS qui offrent plus de liberté créatives aux auteurs. Une nouvelle génération de scénaristes, plus jeunes et influencés par ce qui a été fait à l’étranger, bouge les codes et aborde de plus en plus de sujets majeurs et attendus.

En 2016, Les Grands débarque sur OCS. Pour la première fois, la série se rapproche de la réalité adolescente, suivant le quotidien d’une bande d’amis de la troisième à leur année de terminale. S’inspirant de Skins et du cinéma indépendant américain, la série arrive à décrire les premières expériences et drames de jeunes adolescents sans tomber dans une niaiserie et un discours moraliste omniprésent auparavant. Pour une fois, elle n’est pas seulement destinée aux jeunes et devient alors une œuvre audiovisuelle qui vaut le détour d’un point de vue artistique et scénaristique. Les sujets abordés sont nombreux et explorés de façons frontales, directes et non laissés dans l’ombre.

La nécessité d’approfondir le regard adolescent de façon plus sérieuse se ressent dans les moyens mis en œuvres par les chaînes, en plus des plateformes, France Tv a lancé en 2018, sa chaine entièrement numérique, France.tv Slash, destiné principalement à la génération 15-25 ans, produisant des séries et émissions sur les thèmes de la quête identitaire, la sexualité ou encore la consommation et l’engagement. Elle lance notamment SKAM FRANCE, en 2018, remake de la série du même nom norvégienne, véritable carton 

modernisant le genre du Teen Series. SKAM France apporte une nouvelle représentation et une diversité importante pour la jeunesse française, traitant de thèmes variés comme l’homosexualité, la dépression, la bipolarité, les TCA, la religion.

Le thème de l’adolescence, autrefois évité à tout prix ou traité de façon comique par les productions télévisuelles françaises, est aujourd’hui un tremplin pour aborder des sujets de sociétés et permettre une plus grande diversité sur les écrans. Il se décline même pour des séries abordant une autre époque, comme Mixte, disponible sur Prime Vidéo, suivant des jeunes lycéens dans les années 60.

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