Le service civique semble séduire de plus en plus de jeunes Français. Rencontre avec d’anciens volontaires qui ont accepté de nous raconter leur expérience.
Article écrit par Danaé Piazza
Offrir à tout volontaire « l’opportunité de servir les valeurs de la République et de s’engager en faveur d’un projet collectif en effectuant une mission d’intérêt général ». C’est de cette manière qu’est définit le Service civique sur son site officiel.
Créé en 2010 par Martin Hirsch – alors Haut-commissaire à la Jeunesse dans le gouvernement Fillon -, le Service civique est un engagement ouvert aux jeunes âgés de 16 à 25 ans (30 ans pour les jeunes en situation de handicap), sans condition de diplôme. Les volontaires effectuent leur service civique dans des organismes à but non lucratif ou de droit public (associations, fondations, collectivités territoriales, établissements publics, etc).
Dix domaines d’action sont proposés : solidarité, santé, culture et loisirs, éducation pour tous, sport, environnement, mémoire et citoyenneté, développement international et action humanitaire, intervention d’urgence, citoyenneté européenne. Les missions durent de 6 à 12 mois, en temps partiel (24 heures) ou en temps plein (35 heures), sur le territoire national ou à l’étranger. Des indemnités, d’un montant de 580€, sont prévues le temps du volontariat (identique pour un temps plein ou un temps partiel).
Si sur le papier, le service civique semble être un dispositif aux nombreux bénéfices pour les jeunes, la réalité révèle aussi l’envers du décor. Pour aider les jeunes qui hésitent aujourd’hui à s’engager, d’anciens volontaires sont revenus sur ce moment qui a eu des bons comme des mauvais côtés.
Les bénéfices du Service civique : un intérêt mutuel, entre utilité publique et épanouissement personnel
- Gagner en expérience
Le Service civique permet d’acquérir une expérience. Même s’il est fondé sur du volontariat et des missions d’intérêt général, vous vous formerez ou serez formé pour répondre au mieux aux besoins de votre organisme. Peu à peu, vous allez développer des compétences qui pourront être mobilisées plus tard, dans vos études ou dans votre futur emploi, surtout si la mission est effectuée dans le domaine où vous envisagez de vous tourner professionnellement.
Dorian Schlosser, 25 ans, a effectué son service civique « d’un peu plus de six mois » dans une école élémentaire à Antibes. Il a vécu ce moment comme un « stage » : « cela m’a permis d’avoir une perspective différente, de me ‘tu pourrais faire telle chose, ou cela pourrait te plaire’ ».
Cécile Taillefesse a considéré ce moment comme une « première expérience pour enrichir [son] CV » alors qu’elle prenait une pause dans ses études. Cette étudiante de 22 ans, aujourd’hui en master à l’Université Jean Moulin III de Lyon a effectué un service civique de huit mois dans une association de droit de l’environnement à Saint-Etienne en 2021. « J’ai appris à être organisée dans mon travail et mes qualités rédactionnelles ont aussi beaucoup évolué » poursuit-elle. Ce qui lui a servi par la suite lorsqu’elle a repris ses études : « j’ai parlé de mon service civique dans mes lettres de candidatures en master, et je l’ai intégré dans mon CV. J’ai montré ce qu’il m’avait apporté et pourquoi mon idée de parcours professionnel s’était peaufinée grâce à lui. Et les résultats ont été là, j’ai été acceptée dans des masters qui m’avaient refusée l’année précédente ».
Maurine Lamotte, 23 ans, s’est retrouvée dans une situation quasi similaire. « Non motivée » au moment de la rentrée scolaire, elle s’ennuie en cours et décide d’arrêter sa licence pour une virée sur la capitale où elle tente un service civique. Elle l’effectue dans une agence d’art contemporain à Bordeaux, pendant huit mois entre 2019 et 2020. Aujourd’hui photographe indépendante à temps partiel, son service civique lui a permis d’acquérir de « nouvelles compétences en image ».
Alexis Tillieu est âgé de 24 ans. Il a effectué son service civique dans un théâtre public subventionné à Lille pendant huit mois en 2020-2021. L’occasion pour lui de se professionnaliser, le service civique lui a permis de « développer un réseau, d’apprendre le savoir-faire du métier – ses techniques, son vocabulaire -, d’apprendre le savoir-être dans une entreprise – se situer dans une équipe, les compétences relationnelles, le comportement en entreprise ». Un avis que partage Sophie Alasia, 23 ans, qui effectué son service civique à la Préfecture de Paris pendant six mois l’année dernière.
- Connais-toi toi-même
Faire un service civique aide également à gagner en maturité, en autonomie et à mieux se connaître. Parfois période d’introspection, le service civique permet de prendre du temps pour soi. Il permet ainsi de mieux cerner qui l’on est, de définir vers quoi nous aimerions nous diriger, de comprendre un peu mieux ce qui nous attire et de en nous. Pour beaucoup, le service civique a été un moyen de gagner en assurance et de pouvoir affirmer ses désirs et ses choix.
Saypour Nasiri est afghan. À 22 ans, il a effectué l’année dernière son service civique à la Préfecture de Paris. Pendant six mois, il a aidé l’association Aurore qui œuvre en faveur des demandeurs d’asile et des réfugiés. Le service civique l’a « aidé à mieux [s’]orienter ». Dorian, lui, estime que le service civique lui a permis de « diriger [ses] perspectives ».
Si Sophie est aujourd’hui assistante sociale en CDD au sein de l’association Coalllia, elle souhaite tout de même reprendre ses études à la rentrée prochaine. Une décision que le service civique l’a encouragée à prendre : « je souhaitais prendre une année de césure dans mes études et m’assurer de vouloir me diriger vers le social. Le service civique m’a permis de trouver ma voie et de prendre confiance en moi ».
Pour Maëlys Piazza, 26 ans, l’idée était un peu la même que celle de Sophie. Son service civique s’est déroulé dans une école élémentaire à Nice en 2015, pendant neuf mois. C’est cela qui l’a guidée vers sa profession actuelle. « Après mon bac je me suis orienté dans un BTS que je n’aimais pas, j’ai arrêté au bout de quelques mois. Je ne savais pas ou me réorienter, donc j’ai cherché une mission qui pourrait me plaire. J’ai appris beaucoup sur moi, je me suis rendue compte que je voulais travailler avec les enfants et accompagner les personnes ».
Maurine affirme dans son cas que le service civique a été un déclencheur. « Donner mon avis sur des expositions futures m’a permis de gagner en assurance. J’ai su que je voulais créer avec des artistes qui appartiennent à des univers différents du mien pour un art universel. Depuis mon service civique, je me pose beaucoup de questions sur la perception du milieu artistique ».
- Tout travail mérite salaire
Dans le cas du service civique, ce n’est pas un salaire qui est versé, mais des indemnités. Malgré tout, l’aspect financier est à prendre en compte.
Axel Duret a 19 ans. Après un DUT en génie biologique, il termine son service civique de neuf mois dans une association dont il gère la communication et l’évènementiel. À la fin de sa mission, il en deviendra d’ailleurs le community manager après reconduction de son contrat en CDD. Il l’avoue, il n’avait « pas une envie particulière de travailler » durant ses études, surtout sans diplôme en communication. Mais la Convention citoyenne pour le climat l’a appelé, lui proposant un service civique dans l’association. Une offre qu’il a perçu comme une possibilité de travailler tout en étant rémunéré, et qui se solde aujourd’hui par un job à la clé.
Atout majeur, le service civique permet souvent de travailler dans un domaine qui nous plait. Maurine juge qu’elle a eu « la chance de travailler pour une structure d’art contemporain », un milieu « assez fermé et élitiste ».
Alexis, quant à lui, était persuadé qu’il n’allait pas trouver de travail à la sortie son master. En pleine pandémie, le service civique est apparu comme une solution de sécurité alors qu’il n’avait « pas pu mener [son] stage à terme ». Selon lui, le service civique lui a permis d’acquérir une « expérience significative » pour trouver un travail après la crise. Il est actuellement attaché de relations avec les publics dans un théâtre.
Saypour aussi a pu être reconduit : « j’ai pu trouver un poste dans la même association où j’effectuais mes missions ».
- « Une expérience humaine unique »
Faire un service civique, c’est une opportunité pour faire des rencontres et créer du lien humain, tant sur le plan professionnel qu’amical. Un point important dans une période marquée par le Covid et les confinements qui ont mis la vie sociale des jeunes à rude épreuve.
Axel, par exemple, voyage beaucoup grâce à ses missions. Mais il est également « entouré de personnes qui ont de l’expérience, et qui répondent à [ses] questions ».
Dorian, lui, retient que tout le monde « apprenait mutuellement les uns des autres ». « C’est une bonne expérience sociale, très enrichissante », poursuit-il. Enrichissante, c’est le terme qu’utilise aussi Cécile.
Pour Maëlys, c’était le moment de repartir de zéro : « cela m’a permis de découvrir une nouvelle expérience, de nouvelles personnes, et de ne pas perdre une année à ne rien faire ». Saypour, pour sa part, note qu’il a pu « rencontrer beaucoup d’interlocuteurs et d’associations ».
Mais le service civique c’est aussi le moyen de se rendre utile à la société et de mener une mission d’utilité publique. Un service rendu à la nation en quelques sortes.
C’est ce qui a motivé Maurine : « ce qui m’a plu c’est que ce soit basé sur le volontariat et la motivation. Engagée très jeune, j’avais envie de donner de mon temps pour l’art et pour les autres – l’art est d’autant plus stimulant avec l’autre l’aider et éveiller sa curiosité. C’est un vrai engagement que l’on porte pour un organisme. Il faut choisir son service civique comme on veut sélectionner son métier ».
Alexis juge que le service civique, en tant que « service à la société », devrait « être obligatoire ».
Les désagréments du Service civique : un dispositif mal encadré et encore empreint de préjugés
- Une rémunération qui pose question
Beaucoup de volontaires jugent que les indemnités du Service civique ne sont pas assez élevées. À tel point que certains estiment que le service civique n’aide pas vraiment les jeunes, du moins sur le plan financier.
Pour Axel, il y a ainsi un « vrai problème de rémunération ». « Le fait d’avoir le même tarif pour 24 ou 35 heures, j’ai vécu ça comme une dévalorisation de mon travail », explique-t-il. Cécile partage le même avis : « je pense que les indemnités sont un frein à l’indépendance. Le service civique devrait permettre de mettre un minimum d’argent de côté pour assurer l’avenir après et pouvoir monter des projets ».
Maëlys est plus nuancée : « l’indemnité devrait être fixée en fonction de l’âge ou de la situation de la personne. C’est impossible d’être indépendant avec cette indemnité ».
Une idée à laquelle Maurine adhère : « les indemnités devraient être ajustées en fonction des heures que l’on exécute ». Mais elle considère également que cela peut-être une motivation supplémentaire : « Je ne pense pas que le service civique doive être augmenté. Il faut rappeler que c’est un contrat de volontariat. Cela m’a poussée à chercher un travail à côté et à me démener pour mon indépendance ».
Une solution qui n’est pas toujours possible. « Un service civique à 24 heures par semaine, ça ne te permet pas de trouver un bon travail à côté. Ça discrimine les personnes qui n’ont pas la possibilité d’avoir l’aide financière de ses parents », juge Saypour.
Même son de cloche du côté de Dorian : « si j’avais été étudiant à ce moment-là, ça n’aurait pas fonctionné ; tu ne peux pas gérer à la fois tes études et le service civique ».
- Un vide législatif
La manière dont les missions sont définies – ou non définies en l’occurrence – en dérange aussi plus d’un.
Axel par exemple relève que les missions du volontaire ne sont pas mentionnées dans le contrat de travail. En outre, un volontaire ne peut pas être mis sur des postes indispensables ou encore il ne peut pas avoir de note de frais. Il estime qu’il faudrait que le service civique soit « plus légiféré » pour éviter les abus et le « salariat déguisé ».
Dorian pour sa part était « mi animateur, mi professeur ». Une double casquette, qui peut parfois être gênante.
Le manque de formation est un autre point qui pose problème. Axel a la chance d’être autodidacte, mais pour effectuer sa mission de communicant, il n’a reçu aucune formation.
Idem pour Sophie : « nous avons majoritairement appris sur le terrain et nous avons et très peu de formations organisées par la préfecture ».
Dorian estime qu’il faut être « capable de s’adapter très rapidement, être préparé à l’imprévu et motivé ».
- Le manque de reconnaissance
Il faut être d’autant plus motivé qu’en sortant d’un service civique il faut parfois faire face au manque de reconnaissance du statut et de l’expérience du volontaire. La raison : les préjugés tenaces.
« Le statut est attribué à une certaine catégorie de personnes qui cherchent à s’intégrer, une solution de repli sur le chemin du déscolarisé. Ce n’est pas très bien vu parce que ça n’apporte pas une réelle expérience », analyse Axel.
Pour Dorian, l’expérience du service civique, en plus de pâtir d’une mauvaise réputation, est aussi dévalorisée à la sortie de l’engagement. « Tu ne peux pas le faire pourvoir à Pôle emploi alors que c’est un travail en soi, ce n’est pas du bénévolat. Et on n’a pas de chômage, rien après. Ça pourrait aider les étudiants. Ça devrait être plus valorisé, reconnu comme un CDD. T’as un certain goût amer à la fin », développe-t-il. Maelys et Alexis sont du même avis.
Cécile, quant à elle, pense que le service civique n’est pas assez mis en avant auprès des jeunes : « on n’insiste pas assez auprès des jeunes sur le fait de pouvoir faire une pause dans les études ; le service civique est un bon compromis ».
L’heure du bilan
Finalement, est-ce qu’ils recommandent le service civique ?
Pour la majorité, c’est un oui franc. « Il ne faut pas avoir peur : si l’occasion se présente, il faut y aller. Ce n’était pas forcément pour moi, je voulais passer une année tranquille, mais c’était une bonne expérience à prendre ».
Pour Sophie, « mettre son énergie à disposition de l’Etat est une opportunité pour découvrir quelques petits secrets du monde du travail avant de s’y engager pleinement ».
Maurine, dans son cas, « le recommande les yeux fermés ». Et de continuer : « cela a été une source d’une motivation constante ».
Maelys et Saypour sont plus nuancés. La première « recommande de faire un service civique si on ne sait pas trop où s’orienter » ; pour le second : « si tu n’as pas de travail et que tu ne sais pas où te diriger plus tard, ça peut aider à trouver sa voie ».
Alexis, enfin, le recommande « mais dans la structure où [il] l’[a] fait ». De manière générale, il déconseille le service civique.
EN SAVOIR + : conseils et anecdotes
« Il faut faire attention de ne pas se faire arnaquer, et s’imposer face aux organismes même si on sait que ce n’est pas facile. Le service civique est créé pour vivre une première expérience dans le travail d’équipe, pour découvrir, se former. Il faut se faire confiance, ne pas se dévaloriser et être conscient qu’on produit du travail, mais aussi prendre des initiatives et être fort de propositions », juge Axel.
« Je pense qu’il faut d’abord bien s’écouter, prendre le temps de trouver un service qui nous plaît et essayer de trouver une bonne structure d’accueil. Durant les formations obligatoires, j’ai rencontré d’autres jeunes qui se sentaient – à juste titre ou non – “exploités” par l’organisme d’accueil. Alors je recommande de bien se renseigner, en prenant par exemple le temps d’aller à des forums de service civique », conseille Cécile.
Maurine est du même avis : « il faut faire attention à l’organisme que l’on choisit. Il faut aussi savoir que l’on peut demander des aides financières durant notre service civique. On a le droit au tarif étudiant ou à la gratuité pour les sorties type cinéma, musées, etc. ».
Sophie préconise : « vivez pleinement votre service civique mais surtout sachez que c’est votre droit de demander une prolongation de ce dernier jusqu’à une durée d’un an. Si vous ne le faites pas, personne ne vous le proposera ».
Les mots de la fin, je les laisse à Saypour et Maurine. « Grâce à mon service civique je n’ai pas seulement trouvé un travail, mais également l’amour », note le jeune Afghan. Maurine est reconnaissante envers ceux qui « donnent la chance à l’autre de prouver sa motivation ». « Je les remercie encore d’avoir cru en moi », conclut-elle.