C’est une réflexion qu’on fait souvent : « Elle traine qu’avec des mecs. » Et pendant longtemps, j’ai pris cette affirmation comme un simple fait, sans questionnement ou remise en question : c’est vrai, une grande majorité de mes liens amicaux sont avec des personnes qui se genrent au masculin. Il a fallu plusieurs années pour qu’un jour j’ose me demander : « Mais pourquoi ? »
Article écrit par Fantine Dufour
Issue d’une famille recomposée, je me suis retrouvée avec trois frères à huit ans : on avait tous entre six et huit. Même dans la famille élargie aux cousins et cousins, on retrouve une majorité de garçons. J’étais le garçon manqué finalement ; la fille qui est née là et qui doit faire sa place dans ce milieu quasi exclusivement masculin. Je l’ai eu assez facilement cette place, à jongler entre les moments où j’accentuais mon appartenance de genre – surtout auprès des adultes pour arriver à mes fins en attisant leur pitié – et les moments où j’adoptais les codes de mes frères pour jouer avec eux. Mes principaux partenaires de jeux étaient des garçons et, même si j’avais bien quelques copines en primaire, je ne retrouvais pas la même chose.
Le collège a accentué l’opposition que j’ai formé inconsciemment : d’un côté, des garçons qui ne se cassent pas la tête et avec qui on peut rigoler facilement, de l’autre, des filles avec qui il fait bon de discuter et qui se chamaillent pour des broutilles. Ma mère a fortement participé à l’installation profonde de ce cliché : mes habitudes de garçon ne lui plaisaient que très peu et elle me poussait à être féminine en me comparant à mes amies. « T’as vu, Machine porte des robes, ça lui va bien, tu pourrais faire la même chose ? » Même genre de remarques sur le maquillage. La comparaison constante a installé une sorte de compétition implicite entre moi et les autres filles, toutes mieux que moi ; s’en est suivi un sentiment d’infériorité et une méfiance générale à lier des amitiés avec des filles.
Avec le recul, c’est surtout à partir de mes études supérieures que j’ai commencé à évoluer dans des groupes où j’étais l’une des seules femmes voire la seule. Il s’agit plus précisément de deux groupes, qui se sont suivi chronologiquement. Dans le premier, j’étais la seule personne identifiée au féminin, ce qui me donnait vraiment une place très particulière : je me faisais un plaisir d’exacerber les codes de la féminité lorsque je retrouvais ces cinq amis au cours de soirées partagées, d’autant plus que deux d’entre eux flirtaient avec moi. Les trois autres m’apportaient davantage un sentiment de protection, qui me ramenait lui aussi à ma place particulière de petite meuf du groupe. J’évoluais au centre de l’attention sans faire grand-chose, ça avait quelque chose de satisfaisant.
Dans le second, la donne n’est plus la même : une bonne année s’est écoulée, je ne veux plus adopter les codes de la féminité comme j’ai pu le faire, je ne m’y reconnais plus. Un ami m’incruste à plusieurs de ses soirées, avec son groupe composé à grande majorité d’hommes. Retour à la case départ : on cherche à adopter les codes de sociabilité masculine pour s’intégrer au mieux dans cet environnement majoritairement masculin. J’ai l’impression de retrouver mes frères, ces quatre amis sont mes nouveaux partenaires de bêtises, j’ai une nouvelle famille. Pas de jeux de rôle, chacun a une place particulière par son individualité – et non par son genre –, je m’y sens bien.
L’entrée dans ce dernier groupe coïncide à peu près au début de mes réflexions sur mes amitiés. Lorsque je vois les gens avec qui j’ai pu garder contact au fil des années, il s’agit beaucoup plus d’hommes que de femmes, alors même que les groupes amicaux de ces périodes étaient relativement mixtes. Je me suis demandé si ce n’était pas qu’une envie de faire partie du groupe dominant dans une société patriarcale. Je ne sais pas encore répondre à cette question avec certitude, même si je pense que le lien peut être plus que probable. Une meuf dans un groupe de mecs, vu par la société, soit c’est une pute, soit un garçon manqué – j’ai été les deux. Dans tous les cas, on la remarque car elle n’est pas là où on l’attend. Et une chose dont je suis absolument certaine, c’est de ma volonté d’effacer la différence entre mes frères et moi : rappelée depuis toujours à mon genre – « oh mais c’est pas trop difficile d’être la seule fille ? » –, je veux répondre à ces adultes que je suis un garçon comme les autres.
Autre certitude : la compétition féminine que ma mère a instaurée sans en avoir conscience n’a pas lieu d’être – et je n’ai pas besoin d’exister aux yeux d’hommes cis pour exister. Avec un peu de recul, mes amitiés avec des femmes ne sont pas complètement inexistantes : elles sont présentes dès la primaire, simplement elles sont isolées – je n’ai pas vraiment de groupes de copines – et représentent un engagement émotionnel qui rend plus compliqué pour moi de les multiplier. La compréhension jusque dans l’intime par le vécu de situations similaires me perturbait au départ, elle me rendait trop vulnérable à mon goût. Aujourd’hui, c’est cette possibilité de pouvoir parler de sujets sans avoir à tout expliquer qui me fait un bien fou. Mon éveil féministe et les lectures et discussions qui y sont associées m’ont fait découvrir l’adelphité et je veux y croire. Il faut « simplement » que je déconstruise cette idée que je n’ai rien en commun avec ces personnes sexisées qui m’impressionnent et devant lesquelles je reste sans voix.
Mot-clé : amitié, genre, patriarcat
Descriptif : C’est une réflexion qu’on fait souvent : « Elle traine qu’avec des mecs. » Et pendant longtemps, j’ai pris cette affirmation comme un simple fait, sans questionnement ou remise en question. Il a fallu plusieurs années pour qu’un jour j’ose me demander : « Mais pourquoi ? »