Six ans se sont écoulés depuis la dernière œuvre de Park Chan-wook, Mademoiselle, saluée à la fois par le public et la critique. Le réalisateur sud-coréen revenait cette année avec Decision to Leave, présenté au Festival de Cannes, qui est reparti avec le Prix de la mise en scène. L’attente fut longue, mais valait-elle le coup ?
Article écrit par Anatole Caille
Dans ce film, on suit Hae-joon (Park Hae-il), détective émérite et tourmenté par diverses affaires non résolues. Un jour, il est appelé à enquêter sur une scène de crime dans les montagnes où un homme est retrouvé mort. Il fait ainsi la connaissance de Sore (Tang Wei), la femme du défunt. Alors qu’elle devient peu à peu la principale suspecte, Hae-joon développe une attirance pour la jeune femme. S’ensuit alors un jeu du chat et de la souris, aussi dangereux que voluptueux.
Park Chan-wook, l’art de conter et mettre en scène
Avec Decision to Leave, Park Chan-wook joue à nouveau avec les genres et nous propose une intrigue à la croisée du film policier, du drame et de la romance, donnant un mélange assez savoureux. Le film se compose d’ailleurs en plusieurs parties, amenant un genre à l’autre.
En termes de mise en scène, le réalisateur n’a absolument pas démérité son prix tant les plans sont d’une richesse visuelle prodigieuse, sublimant ses protagonistes et les décors dans lesquels ils évoluent. On pensera à la scène dans le temple, aux merveilleux plans aériens de la plage, ou encore l’intérieur de l’appartement de Sore avec sa sublime tapisserie murale. Outre son aspect visuel, le film regorge de trouvailles de mise en scène jouissives pour le spectateur dans ses mouvements de caméra ou dans ses transitions avivant le récit et les personnages.
Flirt avec le danger
Le film jouit d’une ambiance froide où la ville et la campagne sont mis en avant. On sent ainsi dans le choix des décors, mais aussi des thématiques abordées des influences à la filmographie d’Alfred Hitchcock.
On pensera en premier lieu au brillant Sueurs Froides (Vertigo). En dehors de l’utilisation des hauteurs visant à provoquer un certain vertige chez le spectateur, Decision to Leave trouve des similitudes au niveau de son intrigue et de son rapport enquêteur-suspecte perturbé par l’apparition d’une attirance incontrôlée. Une attirance qui écartera Hae-joon de son professionnalisme reconnu en entamant un jeu assez malsain d’espionnage de la jeune femme, s’apparentant plus à du voyeurisme qu’à une surveillance nécessaire à l’avancée de son enquête. Dès lors, on pense instantanément à Fenêtre sur Cour avec ce jeu dangereux d’épiement.
« Il est plus dangereux de tomber en amour que de tomber du haut d’une falaise. »
La force de Decision to Leave réside également dans son duo d’acteurs bluffant. La rencontre de Park Hae-il et de Tang Wei provoque instantanément une puissante alchimie rendant leur relation hypnotique. L’écriture fine et méticuleuse de personnages complexes est une des forces du réalisateur qui sait à nouveau retranscrire l’attirance et la tension amoureuse flirtant parfois avec le danger, qu’on peut par ailleurs retrouver dans ses précédents films comme Mademoiselle, Thirst ou Stoker. Le personnage de Sore rejoint ainsi le panthéon des emblématiques femmes fatales du cinéma de Park Chan-wook, à la fois forte et énigmatique comme l’étaient Hideko dans Mademoiselle, Lee Geum-ja dans Lady Vengeance ou encore India dans Stoker.
Les spectateurs familiers de la filmographie du réalisateur risquent cependant de découvrir dans Decision to Leave, une autre façon d’exposer son intrigue. Ici, plus calme, plus froid, Park Chan-wook décide de prendre son temps, ce qui pourra faire ressentir, pour certains, quelques longueurs. Il n’est d’ailleurs pas question ici de mettre en avant la violence et de choquer le spectateur (Old Boy) malgré quelques images sordides. On sera, par exemple, surpris de voir une scène de mort suggérée, explicitée uniquement par le son.
Ainsi, Decision to Leave est un retour gagnant pour le réalisateur sud-coréen. N’atteignant, malgré tout, pas le niveau de ses œuvres les plus marquantes comme Old Boy ou son dernier Mademoiselle qui nous plongeaient dans des thrillers effrénés rythmés par des ressorts scénaristiques sensationnels, le film a le mérite d’aborder une nouvelle approche de « l’attirance dangereuse » et c’est réussi. Park Chan-wook signe un film d’une grande sensibilité, aidé par une mise en scène particulièrement ingénieuse, et continue de prouver son talent de conteur et de metteur en scène tout en sachant se réinventer.