À travers des livres et une série de podcasts, cet article en deux parties plonge dans un univers dangereux, celui du nucléaire. Avant d’entrer dans le coeur du sujet, commençons par découvrir les dysfonctionnements du système nucléaire français et comment le parc nucléaire français se détériore du fait d’une gestion qui se caractérise par le déni du risque réel. Une enquête publiée par Radio Parleur et Basta! révèle cette perte de sûreté d’une industrie dont les pratiques deviennent de plus en plus dangereuses.
Ces témoignages sont indispensables pour en comprendre les risques. Ne laissons pas la peur nous paralyser et informons-nous !
Article écrit par Victor Poilliot
La France est le pays au monde qui proportionnellement à l’étendue du territoire a la plus grande concentration de centrales nucléaires. C’est aussi le deuxième pays mondial en termes de puissance de production, derrière les Etats-Unis. Pourtant de nombreux réacteurs sont aujourd’hui à l’arrêt, 24 sur 56, et ce à cause de dysfonctionnements techniques multiples et récurrents.
Le 13 juillet 2022 Basta! et Radio Parleur ont publié la série de podcasts Surchauffe au cœur de la machine nucléaire, réalisée par Adel Ittel El Madani, qui compile des entretiens avec des travailleur.ses du nucléaire où l’on découvre l’inquiétude quotidienne face à la gestion du risque. Les personnes interviewées partagent le même constat : la pensée gestionnaire dégrade les conditions de travail dans les centrales (baisse des effectifs, augmentation des procédures au détriment des opérations de maintenance et de surveillance, négligence de la part de la direction). L’inquiétude est forte autour de la vétusté programmée des installations et du manque de réactivité d’EDF qui préfère ignorer les problèmes et se concentrer sur les méthodes d’optimisation des profits. Un salarié de la sous-traitance du nucléaire qui a travaillé entre 1985 et 2006 à la centrale de Paluel (Seine-Maritime) déclare : « Quand je suis arrivé en 85 les arrêts de tranche durait en moyenne, pour les plus courts on avait 40 à 50 jours d’arrêt, pour aller plus long c’était 90 jours. Ils sont descendus à moins de 30 jours maintenant. Un arrêt de tranche à l’époque où je travaillais on disait que ça coûtait un million d’euros par jour. On voit bien que si on baisse l’arrêt de 60 jours à 30, on a gagné 30 millions d’euros. C’est l’intérêt de la finance. On est plus dans l’intérêt de la population et dans l’intérêt de l’environnement. Ils s’en foutent, le risque ils le prennent » (Surchauffe au cœur de la machine nucléaire, épisode 3 « La course à la productivité »). Jérôme, opérateur chargé de consignation, prévient sur les risques de la réduction des arrêts de tranche qui permettent la révision de l’installation : leur réduction implique donc une baisse des opérations de maintenance.
Début septembre 2022, le PDG d’EDF affirme que l’ensemble des centrales nucléaires seraient remises en marche au cours de l’hiver pour assurer une sécurité d’approvisionnement au réseau électrique. Cette déclaration est étonnante : comment envisager un redémarrage de tous les réacteurs au regard des très nombreux dysfonctionnements techniques et humains au sein des centrales ?
Les agent.es EDF ou les salarié.es sous-traitant.es interrogées dans Surchauffe au cœur de la machine nucléaire font état de nombreux problèmes :
- une négligence avérée des responsables : « En cas de souci, même s’il y a des interlocuteurs officiels (la ligne hiérarchique, un service qualité), il est très difficile de mettre en branle l’évidence d’un souci. Moi je me souviens, c’était un problème de soupape, comme ma hiérarchie ne me répondait pas favorablement à la situation que j’exposais je suis allé voir le service sûreté-qualité. La première chose qu’il m’a dite après que je lui ai exposé le problème : “Ah mais merde, maintenant que tu m’en as parlé je vais être obligé de m’en occuper”. C’est grave quoi » (Surchauffe au cœur de la machine nucléaire, épisode 4 « Le déni du risque »).
- une détérioration des installations qui met en danger le fonctionnement des sites et la sécurité des lieux : « Aujourd’hui quand je me balade dans la salle des machines et que je vois l’état de l’installation avec des fuites vapeur, il y a des tuyaux où on passe vite à côté parce qu’on se dit que l’on est pas à l’abri que le truc nous pète à la gueule et qu’on rentre pas chez nous ce soir » (Surchauffe au cœur de la machine nucléaire, épisode 1 « Une machine et des hommes »)
- une baisse du niveau de formation des travailleur.ses du nucléaire : La méconnaissance du fonctionnement de la centrale est couplée, en toute logique et raison tayloriennes, à la fragmentation des postes de travail.
Dans son roman publié en 1978 Les Bergères de l’Apocalypse, Françoise d’Eaubonne, créatrice du concept d’écoféminisme, décrit un territoire français désolé où le réchauffement climatique, la pollution atmosphérique, la famine et les autres catastrophes ont décimé une grande partie de la population. Les accidents nucléaires ont rendu de nombreux territoires invivables. Dans l’histoire créée par Françoise d’Eaubonne elle évoque « l’explosion de la Centrale Nucléaire de Bugey qui fit quatre cent mille morts et le double de contaminés, puis désertifia le cinquième de la France ». La centrale du Bugey (Ain), aujourd’hui plus ancienne centrale encore en activité du parc nucléaire français, a montré durant ces dernières années des épisodes de pannes et d’incidents qui questionnent la sûreté et la pérennité du site.
Jusqu’ici le parc nucléaire français a réussi à échapper à la catastrophe. Mais jusqu’à quand ? Rendez-vous le 14 janvier pour découvrir la suite de cet article.
Pour aller plus loin :
Accident majeur d’Alizée de Pin et Jean-François Julliard (2021)
Le féminisme ou la mort. Françoise d’Eaubonne (2020)
L’industrie nucléaire. Sous-traitance et servitude. Annie Thébaud-Mony (2000)
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