Il ne vous aura sans doute pas échappé la montée en puissance de la jeune application TikTok. Très plébiscitée par la Gen Z dans un premier temps, elle compte aujourd’hui pas moins de 800 millions d’utilisateurs mensuels actifs. Remède pour les nostalgiques de Vine, TikTok permet à ses utilisateurs de créer de courtes vidéos créatives. En termes de contenu, on y trouve de tout : des chorégraphies, des lip sync, des fanarts issus de séries ou films populaires, du contenu humoristique et bien plus encore. La musique y tient une place prépondérante puisque la majeure partie des vidéos utilise des morceaux d’hier, d’aujourd’hui, et même de demain. On tente de décortiquer ce phénomène et son rapport à l’industrie musicale. 

Article co-écrit par Justine Bouchon et Anna Le Gallou 

Comment l’appli ne cesse-t-elle de propulser les hits en haut des charts ?

À l’image de Lil Nas X et son Old Town Road, record de longévité au classement Billboard, ou encore Doja Cat et ses 120 millions de vues en un mois sur YouTube pour Say So, TikTok a vu naître les hits les plus viraux de ces dernières années.

Plusieurs success stories ont démontré la force de TikTok et son rôle dans la circulation des contenus musicaux. Et même si on ne vient pas sur la plateforme pour découvrir des titres, on se retrouve forcément à écouter de la musique quand on navigue sur l’application. D’ailleurs, mes playlists mensuelles se composent désormais à 40 % de morceaux entendus pour la première fois sur l’appli et rejoués dans ma tête en boucle avant de pouvoir les trouver sur les plateformes d’écoute. Alors TikTok est-elle devenue prescriptrice au point de dominer les systèmes de recommandations musicaux ? 

Olivia Rodrigo et le phénomène drivers license

Le 8 janvier 2021, l’égérie Disney à l’affiche de la série High School Musical, Olivia Rodrigo, sort le titre drivers license. Véritable phénomène depuis, la chanson qui raconte l’histoire d’une peine de cœur adolescente bat tous les records. Le titre alimente certaines rumeurs à propos de son histoire avec Joshua Bassett qui lui donne la réplique dans la série de Disney+ et participe ainsi à sa viralité.

Long story short, Olivia Rodrigo possède une importante communauté sur TikTok et la piste de drivers license a déjà été réutilisée plus de 1,2 million de fois dans le cadre du #driverslicensechallenge : les utilisateurs se filment dans un premier temps avec un air triste avant de se jeter en arrière et de réapparaître avec un look plus glamour. Deux semaines après la sortie du titre, la jeune artiste de 17 ans totalise près de 90 millions de vues sur YouTube et 260 millions d’écoutes sur Spotify.

Plus impressionnant encore, le titre se hisse en tête du classement Billboard Hot 100 pour la deuxième semaine consécutive et assoit alors son succès. Une belle rampe de lancement pour Olivia Rodrigo dont la sortie d’EP est prévue pour cette année sous le label Universal. 

https://twitter.com/spotifycharts/status/1356248559990038530?s=20

Des chiffres à faire rêver les artistes en devenir et qui interrogent sur les pratiques des utilisateurs, qui sont bien majoritairement des moins de 24 ans. En discutant avec des utilisateurs de 14 ans, on se rend compte du processus : 1- ils entendent une piste pour la première fois, il faut ensuite quelques temps pour tomber à nouveau sur une vidéo avec ce même morceau, 2- en bas des vidéos se trouve le titre de la piste, il est ensuite facile de cliquer dessus et de noter ses références, 3- ils se rendent sur des plateformes de streaming tierces pour écouter les morceaux à d’autres moments (surtout YouTube et Spotify).

Certains artistes n’hésitent plus à intégrer TikTok à leur stratégie de diffusion pour faire découvrir leur travail. Ils ont la possibilité d’isoler une piste de quelques secondes de leurs morceaux afin de les proposer aux utilisateurs dans la bibliothèque musicale de la plateforme. Par exemple, l’artiste anglaise Arlo Parks poste sur son compte du contenu promotionnel pour la sortie de son album Collapsed in Sunbeams : extraits de clips, covers, processus de création et certaines de ses vidéos sont sponsorisées. De plus, la piste de son titre Hurt a été réutilisée près de 13 000 fois par les internautes dans des vidéos très variées. 

@arloparks

the video for Caroline is out today - I’m so proud of this tender, turbulent piece - stream the video today at 7pm (UK) on Twitch with me ✨#fyp

♬ original sound - Arlo Parks

TikTok représenterait donc une aubaine pour les artistes et les labels à condition qu’ils puissent générer du buzz, et là encore cela laisse une belle part au hasard ou à la chance pour tirer son épingle du jeu parmi le flux de contenus.  

Back dans les bacs

Si les maisons de disques commencent bel et bien à intégrer TikTok dans leur stratégie marketing, l’application s’est également révélée être le terrain de jeu idéal pour d’anciens titres remis au goût du jour.

Il n’est pas rare de voir certaines musiques datant du siècle dernier refaire surface pour être parfois classées dans les vidéos les plus populaires. Les tendances musicales sur la plateforme feraient presque le pont entre la Gen Z et les millenials, qui s’offusquent parfois d’entendre des ados leur assurer avoir connu ce titre d’Avril Lavigne pour la première fois sur TikTok.

Le catalogue est si vaste qu’on y trouve tous les genres ; de Ella Fitzgerald à MGMT en passant par Dua Lipa : l’ingéniosité consiste ensuite à sélectionner les 15 secondes de musique les plus susceptibles de rester dans la tête des utilisateurs. Ces titres, en servant de bande-son à de courtes vidéos, permettent aussi d’installer une certaine narration derrière les différents challenges, lipsync, et autres effets de montage :

Sans parler de cure de jouvence pour d’anciens titres, ce phénomène prouve que l’application peut, de manière aléatoire, redonner vie à des morceaux inconnus du jeune public comme c’est le cas pour Stella, âgée de 14 ans :

A : Est-ce que si je vous fait écouter ça [Dreams-Fleetwood Mac], ça vous parle ?

S : Oui ! c’est le gars avec le skate et son jus de cranberries ! Qui a gagné une voiture après grâce à la marque !!

Récemment, c’est la ballade Dreams du groupe des 70’s Fleetwood Mac qui a donc connu une nouvelle heure de gloire auprès de 23 millions d’internautes grâce à la vidéo d’un américain, Nathan Apodaca (connu sous le pseudonyme 420doggface208) qui s’est filmé en pleine session de skateboard en fredonnant le tube du groupe. Le fondateur du groupe de rock, Mick Fleetwood, a même ouvert un compte TikTok pour témoigner de son enthousiasme et, à l’âge de 73 ans, partager sa version personnelle de la vidéo en la rejouant.

Capture : Google Trend

Mieux encore, la vidéo n’a pas seulement été traitée avec humour, mais elle a eu un réel impact sur les charts : Dreams a bénéficié de 8,47 millions d’écoutes aux États-Unis durant la première semaine d’octobre 2020, en arrivant même à la 51ème place du Billboard Global 200, et en 24e place du Top 100 de Rolling Stones des chansons les plus populaires aux U.S. Sur iTunes, le titre a été classé dans le top 100 des chansons les plus écoutées. 

De nombreux morceaux connaissent ainsi un retour en force sur l’application, des standards allant de Just the Two Of Us (Bill Withers), Hopelessly Devoted To You (tiré de la comédie musicale Grease) jusqu’au récent Put Tour Head On My Shoulder (Paul Anka) :

On peut remarquer que ces tubes connaissent une deuxième vie en étant quelque peu modifiés. Pour servir de toile de fond à des micro récits et des mises en scène inventives, ils témoignent souvent d’une esthétique reconnaissable ; remixés en faisant la part belle au slow edit ou mis à la sauce Lo-fi (low fidelity), ce qui n’est pas sans rappeler l’image de la Lofi Girl écoutant des rythmes plus lents et mélancoliques. En somme, des titres repris dans leur version sad ou qui marquent des ruptures plus nettes avec les drops en fonction des challenges comme ici :

Entre tradition et modernité : l’effet Wellerman 

La reprise de Wellerman, chant de marin du XIXe siècle, par un jeune écossais postée sur TikTok en décembre dernier a rapidement créé une chaîne de contributions inédite. De nombreux internautes se sont joints à la vidéo initiale de Nathan Evans (@nathanevanss) en y ajoutant des harmonies et/ou en accompagnant les voix avec leurs instruments pour créer une toute nouvelle version du morceau. 

L’engouement est tel que Nathan Evans a signé chez Polydor pour l’enregistrement du titre et qu’il connaît aujourd’hui un franc succès sur Spotify. Il en existe d’ailleurs une version remixée par les artistes 220 KID et Billen Ted. Encore un parfait exemple des potentialités créatives offertes par TikTok et son système collaboratif pour faire naître des hits.