On ne présente plus Haruki Murakami, auteur japonais à succès qui a réussi à s’exporter partout dans le monde – encore plus surprenant, l’auteur publie presque chaque année un roman qui deviendra un best-seller. Pour ne citer qu’eux : l’incroyable saga 1Q84 (Belfond, parût en France en 2012) qui a révélé l’auteur au plus grand nombre, ou encore La Ballade de l’Impossible (Belfond, parût en France en 2011) qui a même été sujet à une adaptation sur grand écran par le réalisateur Trần Anh Hùng. Plus récemment, le film Drive My Car de Ryusuke Hamaguchi adapte une nouvelle de Murakami que vous pourrez retrouver dans son recueil Des Hommes sans Femmes (Belfond, 2017). Le film sort en salle le 19 août et a gagné le prix du scénario au Festival de Cannes. Aujourd’hui, je vous présente la routine d’un homme qu’on ne présente plus pour le premier épisode d’une série d’articles sur la routine des écrivains qui m’inspirent, moi, en tant que lectrice et écrivaine.
Article écrit par Laura Farrugia
« […] la plupart des gens ne voient que la réalité superficielle du travail d’écriture et s’imaginent que la tâche de l’écrivain nécessite simplement de rester tranquillement dans son bureau et de penser. Si vous avez la force de soulever une tasse de café, pensent-ils, vous pouvez écrire un roman. Mais une fois que vous essayez de vous y atteler, vous comprenez très vite que ce n’est pas une mission aussi paisible qu’il y paraît. Le processus tout entier – s’asseoir à sa table, focaliser son esprit à la manière d’un rayon laser, imaginer quelque chose qui surgisse d’un horizon vide, créer une histoire, choisir les mots justes, l’un après l’autre, conserver le flux de l’histoire sur les bons rails –, tout cela exige beaucoup plus d’énergie, durant une longue période, que la majorité des gens ne l’imaginent. »
Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (Belfond, 2009)
C’est en préparant mon café habituel que je me suis rappelée la routine de mon écrivain préféré : Haruki Murakami (en tout cas, ces temps-ci, mais c’est une histoire pour une prochaine fois). Dans Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (Belfond, 2009), Murakami évoque une routine qu’il tient depuis ses débuts d’écrivain :
- Lever à 4h du matin.
- Écrire pendant 5 à 6 heures.
- Courir 10 kilomètres ou nager 1500 mètres (ou les deux).
- Lire un peu.
- Écouter de la musique.
- Aller au lit à 21h.
Selon lui, impossible d’avoir la fameuse « page blanche » quand on réussit à garder une routine pareille pendant l’écriture d’un roman. Il arrive à atteindre alors un état d’esprit plus profond à travers la répétition de cette routine.
J’ai réalisé qu’il était temps pour moi de me préparer un café et de m’installer au bureau que je me suis créée. Un espace tout à fait humble : un ordinateur qui tient sur deux livres énormes que je n’ai pas encore lu, une souris défaillante et un clavier où des miettes commencent à légèrement gâcher l’expérience d’écriture. C’était le troisième jour consécutif sans qu’un mot ne soit ajouté au scénario sur lequel je me force à travailler. Je compensais ce manque de productivité par la lecture, enchaînant des romans de fiction en me persuadant qu’ils m’aideraient à formuler mon propos. A vrai dire, je trouvais plus justifié d’ignorer mon travail en lisant plutôt qu’en regardant une énième vidéo Youtube.
Autant dire que j’étais très loin de tenir une routine aussi bien rodée. Pour partager son travail avec le monde, Murakami avait choisi de vivre une vie de reclus – en décalage avec le reste du monde. Je trouvais la routine extrême, voire complexante pour les auteurs en devenir. Je comptais initialement essayer cette routine pour instaurer une nouvelle rigueur à mon travail et enfin atteindre cette concentration dont Murakami fait preuve depuis qu’il a commencé la course. Je me suis ensuite souvenue de son passé en tant que patron d’un bar de jazz dans les années 70, le côté machinal d’une vie en tant que barman dans un établissement qui ne fonctionne pas comme on l’espère. La motivation de Murakami tenait-elle alors à son désir de se sortir de cet établissement ? Comment se forçait-il à tenir cette routine qui reposait sur un énorme sacrifice social ? Murakami précisait que, selon lui, un auteur de 30 ans devait faire un choix et décider de la routine qui le rendrait le plus efficace s’il était vraiment déterminé à devenir romancier. Je me demande si cette logique fonctionnerait pour une personne de mon âge, début vingtaine, qui n’a pas encore vécu suffisamment de choses pour être uniquement stimulée par le sport, la lecture et le repos. Est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle les romans de Murakami finissent par se ressembler, comme une expérience commune parmi tous ses écrits ? Et c’est avec cette routine en tête que j’apprécie de plus en plus ses romans, comme un ode à la routine dans la description des cafés qu’un personnage se fait, du chou qu’il cuisine, du silence qui l’entoure avant d’aller dormir. En effet, impossible de lire un livre de Murakami sans avoir la soudaine envie d’un verre de whisky ou d’un plat de pâte al dente. L’auteur détaille chaque geste, chaque mondanité qui nous semble d’ordinaire si banale. Murakami arrive à les sublimer car il nous force à regarder cette routine avec un autre regard, à la lire encore et encore pour mieux s’en imprégner
Et si finalement sa routine extrême était une façon de rentrer dans une contemplation du monde qui nous entoure ? Je ne suis pas prête à me lever à 5h du matin, ni à courir 10 kilomètres par jour (et j’ose imaginer que vous non plus) mais je crois que si la routine de Murakami peut nous apprendre quelque chose, c’est qu’en regardant bien, la beauté se cache dans l’infime banalité des choses.