Samedi dernier, le plus célèbre des festivals de cinéma touchait à sa fin, après 12 jours de compétition, de montées des marches glamour et d’intenses moments de cinéphilie. Avec un jury mené par un Vincent Lindon très investi dans sa mission, cette année anniversaire aura été une des éditions les plus studieuses et exemplaires, retrouvant son rythme d’avant-Covid. Armée de mon fameux badge cinéphile, j’ai pu assister à plusieurs projections, il est temps de faire le bilan de cette 75e édition !
Article écrit par Manon Martin
Retour sur cette édition du Festival de Cannes 2022
Première édition à se dérouler sans restrictions sanitaires liées au Covid-19, après une annulation en 2020 et un report en juillet en 2021, le 75e Festival de Cannes a eu lieu du 17 au 28 mai, pour le plus grand plaisir des cinéphiles du monde entier. Mais si nous fêtions les 75 ans du plus fameux des festivals de cinéma, les festivités, contrairement à la 70e édition, étaient placées sous le signe de la sobriété, la soirée d’anniversaire étant organisée autours de la projection du film L’innocent de Louis Garrel, avec une montée des marches d’exception de Sophie Marceau à Wim Wenders, en passant par Kristen Stewart ou encore Bella Hadid. Dans un climat mondial et politique particulièrement perturbé, Vincent Lindon, président du jury engagé, a prononcé, lors de la cérémonie d’ouverture, un discours mêlant cinéma et espoir, suivit d’une intervention vidéo du président ukrainien, Vlodomyr Zelensky, qui a appelé à ne pas se taire face à la situation de guerre en Ukraine, utilisant des références à Chaplin.
Le festival renouait avec ses vieilles habitudes : des avant-premières hollywoodiennes spectaculaires. Le retour de Top Gun avec un Tom Cruise émerveillé sur le tapis rouge par le show de la patrouille de France mais aussi une soirée exceptionnelle en hommage à Elvis Presley pour la présentation du biopic par le grand Baz Lurmhann.
Avec une quarantaine de films présentés cette année, la sélection a ravi les plus grands cinéphiles avec une compétition mêlant les plus grands David Cronenberg, James Gray, Park Chan-Wook ou encore les frères Dardenne et une nouvelle génération avec, pour ne citer que lui, Lukas Dhont.
Cette année aura été marquée par l’absence de véritable coup de coeur unanime de la presse et un palmarès brouillon mais satisfaisant, avec plusieurs ex-aequos de films très différents, le Prix du Jury, récompensant EO et Le Otto Montagne ainsi que le Grand Prix, avec Close et Stars at Noon. La Palme d’Or revient à Ruben Ostlund et sa satire du monde capitaliste et contemporain, Triangle Of Sadness, aux critiques partagées, seulement cinq ans après avoir été sacré pour The Square.
Mais si la compétition officielle est toujours la plus médiatisée, les nombreuses catégories, que ce soit la sélection officielle avec Un certain Regard et le Hors-Compétition ou bien les sélections de la La quinzaine des Réalisateurs et de La semaine de la critique ont offert des projections intéressantes, touchantes et vives aux nombreux accrédités.
Retour sur les projections
Après avoir récupéré mon badge, que personne ne quitte pendant douze jours à Cannes, et de m’être battue pour obtenir des tickets pour les projections sur une billetterie aux nombreux bugs qui a fait vriller un grand nombre de festivaliers, j’ai eu la chance d’assister à plusieurs projections, dans différentes sélections pour mon plus grand bonheur !
Les Films en Compétition
Si j’ai raté Triangle Of Sadness, j’ai réussi, en me faufilant dans la file de dernière minute, à assister à l’avant-première des Amandiers par Valéria Bruni Tedeschi au Grand Théâtre Lumière du Palais des Festivals. Dans ce film inspiré de son époque passée au sein de la troupe du Théâtre des Amandiers à Nanterre mené par Patrice Chéreau, la réalisatrice filme la jeunesse insouciante et passionnée des années 80, entre paradis artificiels et montée du SIDA. Portée par une nouvelle génération de comédiens qui crèvent l’écran et offrent de la fraîcheur, le film est marqué par sa douce mélancolie mais semble parfois inabouti, et se centre sur une histoire d’amour moins convaincante que les scènes exaltantes du groupe.
Quelques jours plus tard, j’ai assisté à une séance de Tori et Lokita, des frères Dardenne, récompensés par un prix spécial d’anniversaire. Grands habitués des récompenses, les deux réalisateurs signent un film touchant et à la mise en scène excellente, traitant du sort des migrants une fois installé en Europe. Suivant l’amitié invincible entre un jeune garçon et une adolescente venus d’Afrique en Belgique, les frères Dardenne parviennent à nous toucher en plein cœur, grâce à l’excellence des acteurs et à une critique sensible de la société actuelle. A ne pas manquer.
Un Certain Regard
J’ai pu assister à deux séances dans la sélection. Tout d’abord Metronom d’Alexandru Belc, récompensé par un prix de la mise en scène, un coming-of-age movie dans la Roumanie répressive de Ceausescu. Suivant une bande de jeunes de 17 ans écoutant clandestinement une Radio Free Europe, j’ai été emportée par ces jeunes acteurs et la reconstitution de Bucarest en 1972, malgré des longueurs.
J’ai ensuite assisté à la première de Butterfly Vision de l’ukrainien Maskym Nakonechnyi. Un film tourné avant la récente guerre mais qui prend une pertinence particulière aujourd’hui. Suivant la libération et la réinsertion difficile de Lilia, une militaire faite prisonnière par les indépendantistes du Dombass, le réalisateur filme les rues de Kiev bombardée, vision prémonitoire de la triste situation actuelle. Néanmoins, le film se perd dans de nombreuses narrations et en devient difficile à suivre, enchaînant des maladresses d’un premier film, peut-être trop ambitieux.
Séances de Minuit et Séance Spéciale
L’après-midi à Cannes, il n’est pas rare -sinon obligatoire- de croiser des festivaliers, munis d’une pancarte, chercher des billets pour des projections. C’est ce que j’ai fait pour obtenir mon ticket pour la séance de minuit du dernier film de Quentin Dupieux, Fumer fait tousser. Avec son casting 5 étoiles (Vincent Lacoste, Adèle Exarchopoulos, Gille Lellouche, Anaïs Demoustier, Alain Chabat…), le réalisateur français le plus loufoque a encore signé une comédie déjantée pour notre plus grand plaisir.
La séance était vraiment exceptionnelle, avec une ambiance peu comparable avec tout ce que j’avais pu vivre auparavant. Les applaudissements avant le début du film ne cessaient pas et ont continué jusqu’à la première réplique ! J’ai été très surprise par l’intrigue, suivant une troupe de justiciers, les Tabac Force, qui sont invités en retraite par leur chef, pour améliorer leur cohésion et mieux sauver le monde par la suite. Avec des récits enchâssés, de plus en plus loufoques, le film de Quentin Dupieux ne laisse pas indifférent et est par la même occasion, irrésistible !
Ma dernière séance du festival fut l’avant-première du documentaire de Mélanie Diam’s véritable icône et idole des années 2000. Dans Salam, l’artiste raconte enfin sa propre histoire. Nous y découvrons une jeune femme au passé lourd, qui a trouvé dans la foi le bonheur qu’elle cherchait depuis toujours. C’est une histoire extrêmement touchante. Malgré tout, le documentaire reste assez pauvre visuellement et pas toujours cohérent dans ses choix artistiques.
La Quinzaine des Réalisateurs
Cette année encore, la quinzaine des réalisateurs a offert une sélection parallèle riche en films singuliers de grandes qualités.
J’ai d’abord assisté à El Agua d’Elena Lopez Riera, un premier long-métrage féministe suivant la jeune Ana dans un petit village du sud-est de l’Espagne. C’est un film très maîtrisé, mêlant traditions, récits mythiques et mystiques, très différent de ce que j’ai pu voir auparavant.
Dans mes coups de cœur de cette 75e édition, je compte Revoir Paris d’Alice Winocour, avec Virginie Efira dans le rôle principal, celui d’une rescapée d’un attentat qui tente de se reconstruire. Alice Winocour signe un film d’une grande sensibilité qui ne peut laisser indifférent. Virginie Efira tient un de ses plus beaux rôles, il ne faut absolument pas le manquer !
Une des séances qui m’a le plus marquée est certainement l’avant-première du film documentaire Les Années Super 8 d’Annie et David Ernaux. Suivie d’un entretien avec la très célèbre autrice, c’était un grand moment de grâce, comme un moment de pause dans ce gros festival de cinéma. Accompagnées d’un texte écrit et dicté durant tout le film d’Annie Ernaux, nous découvrons des images d’archives de l’autrice et de ses enfants, entre 1972 et 1981, filmées en super huit, la plupart du temps par Philippe Ernaux. De ces moments charmants car volés, nous assistons à la naissance de l’autrice Annie Ernaux, qui ne l’est pas encore, puisque apparaît devant nos yeux une femme qui sourit, mais qui n’est pas vraiment là. Un film dans la lignée de son œuvre, à savoir celle d’écrire la vie, ici, elle, ou plutôt son ex-mari, « filme la vie ».
J’ai aussi découvert 1976 de Manuela Martelli, qui nous plonge au Chili, trois ans après le coup d’état de Pinochet, où on suit Carmen, une grande bourgeoise, qui, à la demande d’un prêtre, soigne clandestinement un blessé et se retrouve missionné. C’est un film d’une grande élégance qui met en avant l’action de femmes, souvent oubliées dans les manuels scolaires.
La semaine de la critique
Enfin, je termine avec ma seule séance de La semaine de la critique, qui est aussi mon coup de cœur absolu de toutes mes projections de cette édition 2022 : Aftersun de Charlotte Wells.
Premier film écossais mettant en scène un duo père-fille, campé par l’excellent Paul Mescal (qu’on ne présente plus) et une jeune actrice fascinante, Francesca Corio. Nous suivons les vacances d’été d’une jeune fille de 11 ans et de son jeune père. C’est un coming-of-age movie d’une sensibilité pure et qui touche en plein cœur. La réalisatrice parvient à mettre en scène, entre petites vidéos tournées sur caméscope et déroulé de l’histoire, un lien d’amour profond et unique entre un père et sa fille, sujet finalement peu abordé au cinéma. C’est un film extrêmement beau, d’une mélancolie pure, abordant discrètement de nombreux sujets, la découverte du désir et le passage à l’adolescence, la parentalité, la dépression… À la fois solaire, de par son ambiance estivale et le regard innocent et éveillé de la jeune Sophie et mystérieux, grâce à un montage intrigant, c’est une œuvre d’une rare pureté et beauté qu’on ne peut qu’apprécier saisir. Le dernier plan du film reste en tête, même deux semaines après la séance. Magistral.
Ce sera tout pour ce festival 2022 qui restera une expérience magique et spectaculaire, mais aussi assez éprouvante, entre tous ces films aux thèmes variés, les quatre-mille festivaliers et les grosses chaleurs cannoises !
À l’année prochaine (j’espère !)