« Une fin douce-amère » nous a-t-on vendu. Les scénaristes le savaient, elle ne plairait pas à tout le monde. Se doutaient-ils qu’une pétition réclamant un nouveau tournage deviendrait virale ? Rien n’est moins sûr.
Article écrit par Alexis Tillieu
Alors pourquoi a-t-on été déçu par cette dernière saison (et celle qui l’a précédée) ?
Je voudrais commencer par préciser que j’ai un respect immense pour ces centaines de personnes qui ont travaillé pendant des années pour nous voir sourire. Si vous en doutez, je vous invite à aller regarder le documentaire The Last Watch, qui nous montre l’envers du décors d’une année de tournage. Ne serait-ce que pour le type qui a travaillé pendant cinquante-cinq nuits d’affilée pour que vous ayez de la neige sur les plans, abandonnant femme et enfants pour le tournage, vous n’avez pas le droit de signer cette pétition. Vous pouvez ne pas aimer, mais vous vous devez de respecter.
Pour commencer, il faut comprendre en quoi l’œuvre de George R. R. Martin est un échec philosophique qui s’est transformé en succès commercial.
Là, vous êtes en train de vous dire que j’ai débloqué et que j’ai tort de qualifier la saga de Martin « d’échec ». Calmez-vous, prenez une tisane, asseyez vous dans un fauteuil confortable, et préparez vous pour une analyse de votre série préférée garantie « on vous l’avez encore jamais faite celle là ».
Commencez par imaginer un château de carte. Un château de carte sur deux mille étages. Un équilibre si fragile et si beau que personne, semblait-il, ne pouvait parvenir à un tel résultat. Et pourtant, Monsieur George Martin l’a fait. Il est allé plus loin que n’importe qui, il a construit un univers si vaste, si complexe, qu’il en devient stupéfiant et assourdissant de perfection. Reposant sur des bases solides, dont l’histoire est racontée le plus souvent sous la forme d’anecdotes, de souvenirs, de telle sorte qu’on a une vague idée d’où est la vérité, sans vraiment être sûr de la comprendre. Ces livres, remarquables, sont donc adaptés dans el famoso Game of Thrones, cumulant les records en tout genre. Bien sûr que vous avez aimé. Vous avez été béat devant ce magnifique château de carte, un château que vous ne construiriez même pas en rêve. Martin est devenu le Dieu d’un univers si vraisemblable que l’on pourrait s’y projeter.
Vous avez l’image ? Très bien. Maintenant imaginez que derrière chaque carte se trouve un personnage, du passif entre plusieurs familles, de vieilles rancunes, des prophéties… bref, que chaque événement singulier raconté dans les livres prenne la forme d’une des cartes. Et que par un travail inimaginable, Martin ait réussi à assembler toutes ces cartes de sorte qu’elles forment ce magnifique château que vous avez devant vous. Eh bien, il est devenu le dieu d’un monde qu’il ne pouvait plus modifier. Son univers est si complexe que bouger n’importe quelle carte aurait une incidence sur une autre carte, et ainsi de suite…
Ce beau château s’écroulerait ainsi. Ce n’est pas un hasard si l’auteur n’a pas sorti de livre depuis des années, tout en promettant son arrivée imminente, arrivée que l’on attend toujours. Je pense personnellement qu’il se retrouve dans la situation où il a perdu le contrôle de sa propre histoire, il ne sait plus par où la prendre, car n’importe quel choix apparaîtrait comme impossible au vu de telle ou telle causalité qu’il avait évoqué précédemment.
Alors le château s’écroulerait.
Les cartes ainsi tombées formeraient un chaos incohérent de dizaines de milliers de personnages, relations, prophéties, histoires, familles qui ne feraient plus aucun sens.
Mais ce qu’a oublié Martin, en voulant créer un monde dans lequel on pourrait croire, c’est que notre univers n’est pas fondé sur la perfection. Notre univers n’est pas un château de carte. Non, notre univers c’est un chaos d’un nombre de carte incalculables, qui réussissent à faire du sens dans le chaos. Ce sens, nous l’appelons communément « Nature », et jamais l’Homme ne pourra recréer ce chaos et y raconter une histoire aussi vraie que la nôtre.
Échec philosophique, donc. Celui de créer un monde aussi vrai que le nôtre. Confronté à une réalité bien dure : notre univers n’est pas parfait, il ne trouve du sens que dans le chaos. Mais en parallèle, la série, elle, cartonnait. Il a fallu en écrire la suite. Il a fallu en écrire la fin. Les scénaristes ont donc pris la main sur l’histoire. Vous n’avez pas aimé, car devant l’impossibilité de raconter une histoire sans briser cette perfection, les scénaristes ont sacrifié certaines parties du beau château. Ils ont laissé s’écrouler plusieurs intrigues, pour ne garder qu’une structure assez solide pour tenir debout. Même si pour cela il a fallu remplacer certaines cartes par d’autres, quitte à créer de l’incohérence, comme nous l’avons tous remarqué. Le marketing n’a que faire de la tragédie de l’Homme mis face à la finitude de son esprit, et donc de sa capacité à raconter des histoires qui font sens. Il a fallu finir la série, c’est chose faite. Le beau château est à présent bien moins impressionnant, mais demeure le plus grand jamais construit dans l’histoire de la télévision, sans aucun doute. Mais qui n’a plus la perfection du château d’antan.
Alors à vous de faire un choix : acceptez que le château soit devenu un châtelet. Acceptez que non, les scénaristes n’ont pas « rien compris » à l’œuvre de Martin. Ils ont simplement essayé de trouver une solution à un problème insoluble : celui d’améliorer la perfection. Ou bien restez nostalgiques de ce château, dans sa splendeur d’antan. Tels que resteront sans doute les livres en somme. En le voyant, souvenez-vous alors que l’Homme ne pourra jamais conter une Histoire aussi imprévisible que la sienne.
La perfection ne sera jamais aussi belle que le chaos dont la vie est issue.