En abordant ce sujet, j’ai comme l’impression d’ouvrir une immense brèche dont je ne suis pas sûre de pouvoir sortir. Certains, en lisant la question, auront un avis très tranché, automatiquement. Mais en y réfléchissant de plus près, cette question pourrait vous empêcher de dormir tant elle est complexe. Je me suis donné comme tâche ardue d’essayer de répondre à cette interrogation on ne peut plus actuelle. Entre la pandémie qui a redéfini notre façon de consommer les films, les franchises qui se multiplient, une génération qui a grandi dans l’ère du digital, il y a de quoi perdre la tête. Alors comment se fait-il que depuis sa réouverture, le cinéma Français est celui qui affiche la moins importante baisse de fréquentation en Europe et même en comparaison aux Etats-Unis ?
Article rédigé par Margot Pannequin
Le cinéma pour rêver encore
Il est 19h30 en pleine semaine, je sors du boulot les yeux rougis par les écrans, mais malgré ça, je leur ferais bien subir une séance de ciné, histoire d’enfoncer le clou. Je sais que je vais rentrer épuisée du visionnage et pourtant quand mes journées sont mauvaises, quoi de mieux que de fuir un peu sa propre réalité, pour s’enfoncer dans une salle noire qui nous fait oublier qui nous sommes, nous donne envie d’être quelqu’un d’autre, ce héros ou cette héroïne de film pendant quelques heures. Je sais que chez moi, des films au potentiel visuel important comme MacBeth de Joel Coen ou plus ancien comme 2001 L’odyssée de l’espace de Kubrick, n’auront pas du tout le même impact ni le même pouvoir hypnotisant qu’au cinéma. Je me souviens aussi de Call Me By Your Name de Luca Guadagnino, sorti en plein mois de février froid et gris. Je suis entrée d’humeur bougonne et déprimée et suis ressortie la sensibilité exacerbée, la tête en Italie, rêveuse. Mais ça, j’arrive tout à fait à le ressentir de chez moi avec le dernier Sorrentino, La Main de Dieu. Et si je déroulais, tous les genres de films pour comparer lesquels font plus sensation, touchent plus à ma sensibilité artistique, la réponse restera toujours : c’est au cinéma que je les aime le plus. Pour s’aérer la tête, pour guérir nos maux parfois, pour rire, pour pleurer, être en colère et parfois tout à la fois. Alors même si les chiffres français restent bons, pourquoi les gens ont l’air d’aller moins au cinéma, d’être plus réfractaires ?
Un cinéma de surconsommation
Même si je ne suis pas (ou plutôt je ne suis plus) de cet avis, je remarque que mes proches sont moins enthousiastes, comme lassés d’aller au cinéma. Il y a énormément de facteurs à passer à l’entonnoir et le 7ème art est finalement une sorte d’éternel recommencement : il y a des périodes de pics de visionnage comme en octobre (cf analyses du CNC), des périodes plus à vide etc. Et aujourd’hui, toutes générations confondues, surtout depuis les confinements à répétition, les plateformes de streaming représentent une part énorme dans le cinéma. Certains grands cinéastes ne sortent d’ailleurs leurs œuvres que sur internet (comme Scorsese, Jane Campion, Fincher, Cuaron, Rochant etc) mais force est de constater que ces derniers marquent un peu moins les esprits. De mon côté je vais être ravie de découvrir le film mais ce n’est plus la même attente qu’au cinéma et forcément plus la même expérience, bien qu’elle ait également ses avantages (le coût assurément, le fait de ne pas se déplacer, de pouvoir faire autre chose en même temps, parler etc). Mais pourquoi, lorsque je propose un cinéma, on me répond très souvent « non pas ce soir », « oh ce film, c’est pas grave si je ne le vois pas au ciné »… et je me rends compte que cinéphile ou pas, on a tellement de possibilité de consommer des films tout le temps, partout, de chez nous, sur nos téléphones, en salle, sur un ordi, que l’on ne sait plus où donner de la tête. Et il y a tellement d’opus qui sortent et qui donnent envie, que l’on veut sans cesse tout voir. J’ai moi-même une liste longue comme le bras des derniers films à voir. Et lorsque je prends le temps d’aller en visionner, s’ils ne me plaisent pas, c’est la déception absolue « mais pourquoi je ne suis pas allée voir celui-ci à la place … » C’est cette sur-consommation qui ressort le plus finalement. Mais il y a également le contexte actuel, pourquoi aller regarder un film quand on a passé tant de temps enfermé contre notre gré ? Les gens ont besoin d’aller voir du monde, de sociabiliser et de sortir de leur bulle.
Ainsi pour conclure : que faire ? Pour commencer, oui, je pense que l’on peut se lasser du cinéma, que se gaver de film comme une oie, ne me les fait pas apprécier davantage. Que les films mis en avant par les cinémas ne font pas rêver alors qu’il y a tant de petites pépites qui passent inaperçues (Les Intranquilles je pense à toi). Que l’on ne veut plus rester enfermer dans le noir, que lorsqu’on n’est pas emballé, c’est dur de rester concentrer sans regarder son téléphone. Que c’est parfois cher aussi tout simplement, même si à Paris je pense que je suis une des mieux loties. Alors comment faire pour éviter ça ? Ma réponse n’est pas universelle, mais après une discussion avec un ami qui me disait que pour lui plaire, une fille qu’il fréquentait, s’était mise à faire tous les musées et expo du coin car il adorait ça. Et étrangement ça l’a grandement repoussé, il m’a dit « mais pourquoi elle ne prend pas juste le temps de faire pleinement un ou deux musées, de laisser reposer et d’apprécier ». Et là, j’ai compris, c’est pareil pour les films et beaucoup de formes d’art. J’ai été frappée par cette réflexion parce qu’il avait raison, quand on a trop mangé de quelque chose il faut accepter la pause, reprendre doucement et se baser sur des films qu’on aime, nos films doudous comme nous en parlions dans un article précédent. Ceux qui nous réconfortent de la manière qu’on préfère, il faut choisir de réveiller les émotions qui nous font vibrer nous et seulement nous. Et enfin surtout, laisser reposer. On se laisse le temps d’y penser, de changer d’avis, de le revoir parfois. En bref, il faut laisser rentrer tout ce que le cinéma a à nous donner et digérer pour s’émerveiller encore.