L’ouverture du film se fait sur Nelly, une enfant de huit ans, qui dit un  dernier au revoir aux femmes de l’ehpad dans lequel était sa grand-mère, avant sa mort. Le au revoir, la façon dont il est dit, la façon dont il est pensé, se tisse comme fil rouge de la narration du nouveau film de Céline Sciamma. 72 minutes minutieusement investies, jouant, à la manière de Nelly et Marion, aux jeux de pistes, aux jeux de rôles. La narration est lisible du début à la fin, dans une simplicité qui n’a rien de simple, qui induit seulement une infinie tendresse. On suit l’histoire de cette petite maman, Marion, et de sa fille, également amie, Nelly. En reprenant des codes de science-fiction qui semblaient déjà exhaustifs, un retour dans le passé, qui s’inverse par à-coups, Sciamma nous parle de sentiments qui traversent les âges, les époques. Ceux du deuil, ceux de l’amour. 

Article écrit par Imène Benlachtar

La question de la réception du film peut légitimement se poser, comment, suite à un succès dithyrambique comme l’a été Portrait de la jeune fille en feu, la réalisatrice arrive à s’affirmer, à peine deux ans après, dans ce à quoi elle s’attèle le mieux, narrer l’égalité. Petite Maman renverse toute une logique aristotélicienne qui chercherait à ajouter du conflit, toujours plus de conflits, pour faire avancer des trajectoires individuelles, pour faire avancer le récit. Sciamma dispose tous ses personnages, campés sur trois générations, à égalité. Les enfants ne sont pas dominés, les enfants ne sont pas instrumentalisés. Nelly, comme Marion, s’épanouissent dans le dialogue, dans le questionnement, autant de ce qui les entourent, que de ce qu’elles sont. Elles observent des adultes, vivant une autre réalité que la leur, tout en la comprenant. Elles sont maîtresses du récit. De leurs lèvres sortent des vérités générales, que l’on sait écrites par la réalisatrice, qui peuvent sembler glaçantes, qui peuvent sembler peu réalistes aussi, mais qui, remises dans la diégèse de ces 72 minutes, sont transperçantes. 

Le film est pensé pour les enfants. La réalisatrice s’est de nombreuses fois demandée “Qu’est-ce Miyazaki ferait ?” dans son processus d’écriture. Il y a donc ce désir de montrer une autre image d’un enfant unique, presque fantasmé, une autre liberté, une autre place à prendre dans les dynamiques familiales souvent ancrées. Le titre évoque le personnage de Marion, enfant, qui a le même âge, la même taille, la même corpulence que Nelly, sa fille dans trente ans. Elles sont identiques, car jumelles dans la vie, la vraie, mais le film ne discourt pas sur la jumélité, seulement sur le sentiment d’être face à l’autre comme on serait face à soi, sans comparaison. Le titre évoque également Nelly, mère de sa mère, adulte, la soutenant, surmontant le deuil avec un sang-froid, avec un courage touchant de vérité. Le film est pensé pour tous et toutes. L’enfant qu’on a été, l’enfant qu’on aura, peut-être. Il parle de nous au pluriel, dans un contexte presque féerique, où la cabane dans les bois se voit devenir le théâtre intime d’une rencontre à jamais bouleversante.

Le pacte tissé entre le spectateur et la réalisatrice peut sembler trouble. Sciamma fait le pari de ne pas marquer esthétiquement les deux temporalités, les deux univers se mêlent sur le même ton, celui de l’automne. Nelly accepte en finalité si bien cette situation, elle n’entre aucunement en lutte avec cette narration, qu’on la suit, tendrement. La science-fiction s’évapore finalement pour devenir une parenthèse flottante de quelques jours de douceur, où l’on fait des crêpes, où l’on se réinvente au détour d’un jeu de rôle qui offre des images sublimes, celles où la binarité de genre se réinvente, également. 

Rien ne serait pire que d’aller voir ce film en possédant des attentes similaires à celles induites par Portrait de la jeune fille en feu. Il mérite d’être vu sans poncifs, d’être vécu sans lutte, et de se laisser porter dans cette douceur de vie, dans cette simplicité qui n’est pas simple, et qui, comme un reflet, parlera certainement de vous. 

Sortie en salle le 2 juin. 

https://www.youtube.com/watch?v=Q7cKUb8vLl4&t=21s