L’image du héros et même du vilain dans les films annihilerait le côté néfaste du tabac chez les jeunes pour susciter le désir d’entrer dans le nuage du fumeur, acquérir son statut et son indépendance. Aux États-Unis 37% des adolescents fumeurs ont grillé leur première cigarette sous l’influence de films. Alors, existe-t-il un lien entre Marlène Dietrich et sa fumée qui nous ensorcèle dans Touch of Evil, John Travolta jetant avec désinvolture sa cigarette par terre dans Grease et nos jeunes poumons ? C’est la clope au bec que nous avons étudié le sujet.
Article écrit par Marine Chauvière
La cigarette a toujours été présente dans les salles obscures. Elle a accentué l’image de certains rôles, de la femme fatale (Audrey Hepburn dans Diamant sur canapé) au cow-boy viril (Clint Eastwood dans Le Bon, la brute et le truand) en passant par Cruella d’Enfer. Son image s’imprime dans nos esprits. Cette image qui bien que passée conserve son éclat ; que seraient nos Tontons flingueurs sans leur quarante-deux cigarettes consumées durant 1h45 de film ? Il arrivait aussi que des célébrités, à la manière de Bill Murray pour du whisky dans Lost in Translation, louent leur image en devenant égéries de marques de tabac. Sylvester Stallone a été le visage de l’une d’elle. Cependant, le vent change. Et Uma Thurman, qui nous donne tant envie d’allumer une cigarette dans Pulp Fiction, subit un retour de fumée. L’affiche du film, Palme d’or à Cannes en 1994, a été censurée. Qui a bien pu déclencher la colère des censeurs ? La cigarette de Mia. En revanche le revolver peut continuer de figurer sur l’affiche, lui. Les amis de Mickey subissent également un sevrage drastique. Depuis 2001, plus une cigarette n’est montrée à l’écran dans les films d’animation Disney à destination d’un public de moins de 13 ans. Cette interdiction a été étendue à l’ensemble des productions depuis 2015, dont Marvel ou Pixar.
La question du tabac préoccupe des acteurs du cinéma. Est-ce à raison ? Peut-on établir un lien entre le tabac à l’écran et le nombre de fumeurs ? Une étude a montré qu’entre 1950 et 2006, le nombre de fumeurs à l’écran a diminué et parallèlement le nombre de fumeurs a également réduit. Plusieurs études1 établissent qu’associer le tabac à des acteurs célèbres peut autant pousser un spectateur à s’allumer une cigarette que de voir un de ses amis s’en griller une. Cependant, il est évident que le cinéma n’est pas l’unique générateur de fumeurs.
À l’époque où l’on pouvait encore fumer dans les salles obscures, les cigarettiers payaient les producteurs lorsque leurs cigarettes étaient représentées à l’écran. Depuis, des accords volontaires ont été passés entre les producteurs de cinéma et les cigarettiers pour ne plus avoir de redevance financière de leur part. Puis, un accord-cadre a été conclu entre les procureurs généraux des États-Unis et les cinq grandes compagnies de tabac basées outre-Atlantique. L’accord interdit de faire du placement de produit pour du tabac dans les médias.
Au niveau international, il existe la convention-cadre de l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) pour la lutte anti-tabac (CCLAT). Cette convention offre un cadre à mettre en œuvre dans chaque État partie sous un délai de cinq ans après l’entrée en vigueur du texte (le 27 février 2005). L’article 13 de la convention est celui qui concerne la représentation du tabac dans les films. Il dispose qu’il faut interdire la publicité pour le tabac puisqu’il est prouvé que ces publicités incitent à la consommation. Lorsqu’une interdiction globale n’est pas possible au vu de la Constitution d’un État, cet État doit mettre en place des restrictions. Dans les lignes directrices de l’article 13, les films sont définis comme support de promotion et publicité du tabac. Il est bon de préciser que les États-Unis, troisième producteur mondial de films, dont la diffusion n’a pas d’égal, n’ont pas ratifié cette convention.
L’OMS alerte en énonçant que le tabac présent dans les films reste de la publicité bien qu’il n’en porte pas les codes. Le cinéma est un secteur particulièrement intéressant de promotion pour les cigarettiers. Lorsque la publicité pour le tabac est interdite dans les médias au sein d’un pays, comme cela a été constaté en Inde, le cinéma devient le support privilégié de promotion du tabac. L’impact d’acteurs fumants est encore plus fort. Le risque, comme les films ne ressemblent pas à de la publicité, c’est que le public soit moins sceptique quant à la représentation du tabac et ses « bienfaits ». On se souvient volontiers de la fameuse scène de Pierrot le fou où Belmondo, à bord de sa décapotable, crapote sa Gauloise en expliquant que ceux qui n’aiment ni la mer, ni la montagne, ni la ville peuvent aller se faire foutre. C’est également la fameuse réplique d’Hubert Bonisseur de la Bath « Ne pas fumer me tue » qui peut créer l’envie chez les jeunes de reproduire les comportements vus à l’écran. Sans avoir de modèle fumeur dans son entourage, le jeune peut prendre exemple sur son personnage fétiche et, par mimétisme, allumer sa première cigarette.
Il faut noter que l’entrée en vigueur de cette convention n’a pas été aisée. En effet, Reuters a mis au jour en juillet 2017 que Philip Morris International a déployé tout un bataillon de lobby auprès des États accueillant des cellules d’études de la CCLAT. Le but du cigarettier américain était d’infléchir sur les réunions de la CCLAT, auxquelles les géants du tabac ne sont pas conviés, afin de minimiser la portée des données voire de bloquer la sortie de certaines informations. La promotion du tabac est donc un important enjeu financier. La cigarette joue un rôle fondamental à l’écran que les cigarettiers ne souhaitent pas voir disparaître.
Le cinéma est un bien culturel diffusé dans le monde entier et très accessible. Aujourd’hui, les films sont présents bien au-delà des salles obscures. Grâce au cinéma, la nicotine pénètre nos salons. Nous ne sommes pas égaux dans la réception d’une scène montrant une cigarette. En effet, pendant que le non-fumeur détourne son regard de la cigarette, le fumeur va se focaliser sur celle-ci. Une étude1 se concentrant sur les réponses du cerveau à la vue d’image de fumeur droitier, démontre qu’il y a une activation de mécanismes biologiques dans le cerveau d’un fumeur. Cela active la zone responsable de l’envie de fumer dans le cerveau et la zone préfrontale nécessaire pour ordonner un mouvement, ce qui fait supposer que le fumeur se prépare à faire le geste d’allumer une cigarette. L’impact de ces scènes pourrait se révéler jusqu’à huit ans plus tard selon une seconde étude2. En France, Ipsos a mené une enquête sur les scènes contenant des fumeurs et le contexte émotionnel de la scène. L’étude révèle qu’en 2005, 72,9% des personnages fumeurs étaient jugés respectables, tandis qu’en 2010, le chiffre explose pour atteindre 90,7%. Le fait de montrer le fumeur sous un aspect respectable tend à banaliser le tabagisme. Notons que le fumeur est régulièrement représenté dans des espace clos dans le cinéma français. Environ 40% des scènes se déroulent dans des espaces où il est interdit de fumer depuis la loi Evin. Il faut noter que c’est cette même loi qui a censuré l’affiche du film Coco avant Chanel parce que l’actrice Audrey Tautou y tient une cigarette.
Face à ce constat, des mesures sont proposées par l’OMS ; à savoir, référencer les films montrant du tabac, apposer des sigles “interdit aux enfants”, diffuser un message anti-tabac avant un film. Cette dernière pratique s’est avérée avoir l’impact attendu. Selon deux études australiennes3, les non-fumeurs qui sont confrontés à un message de prévention avant de voir leur film désapprouvent plus les films contenant du tabac que ceux qui n’y sont pas exposés. Néanmoins, l’étude n’a pas mis à jour de différence entre les deux groupes de fumeurs exposés à l’avertissement ou non.
On observe un mouvement de recul depuis quelques années. Plusieurs productions, à l’instar de la firme aux grandes oreilles et des acteurs et actrices comme Julia Roberts refusent de se faire voler la vedette par une maigre cigarette. Le tabac est de plus en plus remis en question au cinéma, frisant l’excès parfois comme ce fut le cas dans le film Dans l’ombre de Mary – La promesse de Walt Disney. En effet le fondateur de Disney était un fumeur notoire. Sa consommation de trois paquets quotidiens est réduite à une scène où l’homme repousse un cendrier contenant des mégots encore fumants. On peut également citer la censure appliquée à l’affiche du film Gainsbourg de Joann Sfar. L’équipe du film sur le plus gros fumeur français nous avait pourtant ménagé en ne faisant pas figurer de cigarette sur l’affiche mais seulement de la fumée. Il n’y a pas de fumée sans cigarette, alors la fumée s’en était déjà trop pour la RATP qui a refusé de la mettre sur son réseau de transport. Vous êtes curieux ? Vous voulez savoir si votre film préféré ou le dernier film que vous avez regardé faisait la part belle à la cigarette ? Vous pouvez vous rendre sur le site de l’Université de Californie qui référence la présence de tabac à l’écran : https://smokefreemovies.ucsf.edu/.
Sources :
Convention cadre de l’OMS sur la lutte anti-tabac : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/42812/9242591017.pdf?sequence=1
Directives pour l’application de l’article 13 de la convention cadre de l’OMS : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/190165/9789241509596_eng.pdf;jsessionid=F9A5392B4166D8C787B8A9F7FF24CEF6?sequence=1
Référence des études citées :
- Dal Cin S, Stoolmiller M, Sargent JD. When movies matter: exposure to smoking in movies and changes in smoking behavior. J Health Commun 2012;17:76–89
- Dalton MA, Beach ML, Adachi-Mejia AM, Longacre MR, Matzkin AL, Sargent JD, et al. Early exposure to movie smoking predicts established smoking by older teens and young adults. Pediatrics 2009;123:e551–8.
- Edwards C, Harris W, Cook D, Bedford K, Zuo Y. Out of the smokescreen: does an anti-smoking advertisement affect young women’s perception of smoking in movies and their intention to smoke? Tob Control 2004;13:277–82 et Edwards C, Oakes W, Bull D. Out of the smokescreen II: will an advertisement targeting the tobacco industry affect young people’s perception of smoking in movies and their intention to smoke? Tob Control 2007;16:177–81