Peut-être est-ce le début de l’automne ou mercure rétrograde, mais l’envie nous a pris de soumettre des artistes à un nouveau format : l’interview Prédictions. Les 13 et 14 octobre, l’équipe de Mauvaise Graine magazine était au MaMA festival à Paris, l’occasion de rencontrer artistes et professionnels de l’industrie musicale dans un cadre festival au cœur du 18e. Équipés d’un enregistreur et d’un jeu de tarot, on a tiré les cartes à ceux ayant reçus le souffle sacré d’Euterpe. C’est donc l’heure de l’interview Prédictions, en compagnie de David Numwami, artiste belge ayant récemment partagé la scène avec Sébastien Tellier. Multi Instrumentiste, on l’a vu collaborer récemment avec Saint DX, Yen Yen ou encore Antonin Appaix. Un nouvel album est en préparation et on a hâte.
Propos recueillis par Eva Darré-Presa
CARTE 1 : LA ROUE DE LA FORTUNE, associée au hasard et aux opportunités
Est-ce que tu te souviens d’un moment décisif pour ta carrière ?
Il y a souvent eu des moments qui ont changé la façon dont ma vie se déroulait. Le premier moment comme ça, c’est le jour où ma prof de guitare m’a dit que j’étais trop fort. Je pense que c’est la première fois où je me suis dit que je pourrais peut-être faire de la musique. Ensuite j’ai abandonné l’idée parce que je m’en foutais un peu, j’avais dix ans et je voulais juste jouer aux jeux vidéos !
Après ça, c’est le jour où François & The Atlas Mountain m’a proposé de faire partie du groupe le temps d’une tournée. Ça a changé ma vie. J’étais étudiant et d’un coup je suis devenu quelqu’un qui est dans un van toute la journée et qui joue dans des salles. Ma vie jusque là, c’était de sécher les cours et aller à la bibliothèque. Ça m’a fait découvrir la vie de tournée, qui est quelque chose que je n’ai jamais quitté depuis. J’ai quand même fini mon master de philo, mais sur la route ! J’ai passé ma soutenance de mémoire dans les loges de La Cigale. C’est assez rafraichissant !
François, c’est la première fois qu’il y a eu un changement dans ma carrière. Et ensuite ça a été de jouer avec Charlotte Gainsbourg. Tout d’un coup, j’ai découvert une vie de tournée où tu perds le fil.
Et le dernier gros changement, c’est quand j’ai commencé à oser sortir mes morceaux. Faire de la musique pour moi c’est à la fois des moments d’énorme confiance, liés à des moments de perte totale de confiance. Quand je fais un morceau, je me dis que c’est un coup de bol, la chance du débutant et que je n’arriverai pas à le faire une deuxième fois. Puis j’en fais dix, avant une pause de six mois sans morceaux. À partir de demain, je vais enregistrer plein de démos et je vois l’abîme qui arrive. Mais je vais essayer de grimper, ça va prendre du temps !
CARTE 2 : LA LUNE, associée à la richesse de l’imaginaire et aux rêves
Qu’est-ce qui t’inspire dans le monde qui t’entoure ?
Généralement, j’ai l’impression que c’est le quotidien qui m’inspire, les petits détails du quotidien. J’ai grandi en Belgique dans un village hyper moche, et avec mes amis on avait tendance à essayer de trouver de la beauté dans des détails, comme l’eau qui coule sur le sol. En musique, je vais toujours chercher ce qu’il y a d’intéressant dans le quotidien. Dans Thema, je décris quelqu’un qui regarde des photos sur le profil de quelqu’un. Si on veut, ça peut être considéré comme un moment poétique, alors que c’est juste un moment complètement naze.
J’ai l’impression que regarder les choses en considérant qu’elles vaillent la peine d’être dans une chanson, ça aide à vivre. C’est un peu comme une version naïve des ready-made de Duchamps, c’est changer de regard. La musique m’aide à affronter le fait que la vie ne soit pas très colorée de base.
Il y a quelques semaines j’étais à Avignon, tout seul, parce que je venais de finir une tournée avec Sébastien Tellier. Un matin je me suis réveillé et je me suis dit “Tu sais quoi ? Je crois que je crois en la magie.” Les études de philo m’ont un peu rendu agnostique, mais là j’ai fait le choix d’y croire. Je sens que ça me rendra plus heureux. Je me suis promené dans Avignon avec cette pensée, et je suis tombé sur le Tarot Créatif et ils m’ont donné la carte La Lune.
CARTE 3 : LE MÂT, associée au fait de prendre des risques pour avancer
Si aujourd’hui on te donnait 100 000€, où est-ce que tu les investirais dans ton projet ?
J’achète un synthé. Peut-être me construire un petit studio, mais c’est pas trop mon style. Je suis pas hyper sédentaire. Et pour le moment je fais quasi tout sur l’ordi. Donc j’achèterais quelques instruments, des trucs pas très lourds.
J’adore la vidéo, je pense qu’au lieu d’avoir un studio musique j’aurais un studio photo/vidéo pour y faire tous mes clips. Sinon j’essaierais de voyager pour rencontrer des personnes avec qui faire de la musique. Voilà, pas plus ! Je perdrais une journée d’enregistrement à faire des choix sinon ahah. Si tu rémunères correctement les gens avec qui tu travailles, j’ai l’impression que ça part assez vite 100 000€ ! Mais je prendrais jamais les décisions seul, je dépense hyper mal mon argent. Donc surtout, je ne prendrais jamais les décisions seul.
CARTE 4 : L’ERMITE, associée à la réflexion et au temps nécessaire pour comprendre les choses
Combien de temps ça t’a pris pour trouver ton identité musicale ?
Honnêtement, j’ai l’impression que j’y suis arrivé il y a deux jours. C’est pour ça que j’ai enregistré mes démos maintenant. Peut-être pas il y a deux jours, mais quand j’étais à Avignon. Comme j’ai joué dans plusieurs groupes avec des styles différents, j’ai l’impression d’avoir essayé plein de choses sans avoir trouvé ma façon de travailler. Mon dernier EP je l’adore, mais même en le faisant je me disais “Je suis sur que je suis capable de m’exprimer encore plus simplement, de manière plus nécessaire”. Ce que je ne trouve pas évident dans le fait de faire de la musique aujourd’hui c’est que tout se fait sur ordi, alors qu’avant il y avait une personne à la basse, une à la guitare, une à la batterie et une qui chantait. Et c’est bon, vous avez votre instrumentarium et un monde de création s’ouvre à partir de là. Alors que moi j’ouvre mon ordi et le monde entier est sur l’écran. C’est comme si ça fermait ce que j’avais envie de créer parce que je le perds. J’ai téléchargé une appli avec une boîte à rythmes et je me suis rendu compte que j’étais enfin capable de m’exprimer sans réfléchir. C’était ça mon plus gros frein, je réfléchissais trop à essayer de faire un truc parfait, dans ma compréhension de la musique. La pop ce sont des super codes, tu peux jouer avec et les triturer. J’adore mais ça m’éloignait d’une certaine forme d’urgence. J’ai envie de faire de la musique avec mon ventre, pas avec ma tête.
Je pense que la personne qui a fait que j’y arrive, c’est Sébastien Tellier. T’as l’impression que tout ce qu’il fait provient de son intuition. Je fais de la musique que j’aime bien mais ce n’était pas la musique que je suis censé faire. J’espère que l’album sera mieux !
CARTE 5 : LA PAPESSE, associée à la concentration
Est-ce que tu écoutes un album en particulier pour te concentrer ? Dans quelles conditions tu te mets quand tu dois être à 100% ?
C’est rare que j’écoute un album parce que, quand je dois me concentrer, c’est pour faire de la musique. Quand j’étais étudiant, j’écoutais des trucs pour me concentrer, mais je sais plus ce que c’était. Il y a pas longtemps j’ai fait un déménagement, je ne te cache pas que j’ai écouté mon EP à moi ! J’ai l’impression que j’écoute pas mal, ces temps-ci, Golden Hour de Kacey Musgraves, c’est de la country. J’ai pas arrêté d’écouter Talkie Walkie de Air, un de mes albums préférés. Mais ce n’est pas vraiment ce que j’écoute pour me concentrer.
Un album incroyable pour se concentrer et faire le vide, c’est Triad de Triad God. C’est hyper calme et tu entres un peu en transe parce qu’il répète des phrases. C’est assez incroyable !