Aujourd’hui le rap est la musique la plus écoutée au monde, on compte de plus en plus d’artistes polyvalents qui font évoluer ce genre à chaque sortie et des compositeurs qui prennent une place de plus en plus importante dans les innovations du registre. Le MaMa Festival est l’occasion d’apercevoir et d’apprécier les performances de nouveaux acteurs de la musique comme Simony, qui rappe des textes forts sur des prods electro, portant ainsi le rap chez un différent public, élargissant encore la sphère rap.
Propos recueillis par Soriya Tan
MaG : Tu dis que tu t’es construit autour de l’âge d’or du rap, du lyricisme, des textes forts et vindicatifs des années 90’-2000’ et que pourtant tu ne viens pas de ce milieu. C’est l’influence de ton tonton, lui-même venait-il d’un cercle plus rap ?
Simony : Oui, lui il venait de toute cette génération NTM, IDEAL J, ARSENIK, DOG GYNECO, MYNISTERE AMER. Mais moi même je viens quand même du 19e donc un milieu plutôt urbain. De ma primaire jusqu’au lycée j’ai évolué dans ce monde là, je faisais du hip-hop, du break dance, je graphais.
Mais oui, effectivement, c’est lui qui m’a initié à écouter du rap tout seul, à découvrir ce genre même si la période où j’ai grandi je la considère comme un creux (2005-2015). J’ai mangé ses classiques à lui, aujourd’hui on dirait « rap de puriste » mais à l’époque c’était juste du rap. J’ai apprécié, j’ai écouté et réécouté alors même que j’étais moins passionné, sans les offenser, par les La Fouine, Booba ou Rhoff qui dominaient la scène rap à cette époque là.
Tu dis aussi qu’aujourd’hui les prods des rabbits sont plus électro, c’est ce qui fait que tu es un artiste classé « hybride » et qu’on te place dans la new wave. Parce qu’aujourd’hui le rap est devenu plus accessible, l’image même du rap a changé, on dit facilement que c’est la nouvelle pop. Le monopole de Ninho ou le duopole Booba-Rohff, c’est fini.
Il n’y a plus de nuances et plus d’artistes et surtout une demande croissante du public de voir de nouvelles choses, d’entendre des nouvelles sonorités et une attente de renouvellement constant de l’artiste. Est ce que tu te sens restreint dans ce monde où il faut toujours pousser l’innovation ou est-ce qu’on peut t’attendre sur un projet/son de puriste, où on entend du rap à l’ancienne, des textes jusqu’à la prod?
On peut m’entendre sur des profs plus classiques sur de freestyles, à des opens mics, quand je suis sur scène, en concerts. Mais si on parle d’un projet à construire, d’un travail de fond, je travaille en équipe, avec des compositeurs qui ont différentes influences, qui ne viennent pas de là et il s’agit de travailler tous ensemble. Je veux faire se rencontrer leurs influences electro/techno/new wave de la prod us/french touch. Eux ils s’inspirent de Mike Dean, Hans Zimmer, 20cyl, Gesaffelstein. On peut en tirer beaucoup de choses. Ce sont des productions sonores qui vont tutoyer les grosses basses, les synthés qui rebondissent. J’aime cette énergie dans l’instrumentale mais moi par contre, je vais garder cette culture de l’écriture, des mots, des messages, du rap un peu plus old school. C’est un pari puisque dans la new wave il y a beaucoup d’espace qui est laissé à la prod, il y a plus de vibe et moins de texte dans la façon dont le titre est construit. Il y a des messages bien sûr mais ils passent autrement.
Effectivement aujourd’hui, il y a un gros enjeux dans le renouvellement des artistes qui viennent des beatmakers, toi d’où te vient cet attrait pour l’électro en particulier ? Est ce que tu avais une proximité avec ce genre et tu as cherché à le lier au rap ou bien est ce que ça vient de tes beatmakers, tu te bases sur eux ?
C’est un peu des deux. J’ai un ami qui s’appelle Jaess, un beatmaker que j’ai
rencontré en créant un collectif où beaucoup d’artistes s’entrecroisent. C’est lui qui m’a fait mes premières prod et en soit ça se rapprochait des sonorités rap qu’on connait, même si il avait des touches un peu industrielles il faisait vraiment des prods de rap.
Le truc c’est que, quand on a vraiment commencé à travailler ensemble, il a commencé à vouloir faire de la techno et il a complètement stoppé les prod rap. Il s’y est mis et je l’ai suivi puisqu’on avançait ensemble parallèlement, nos projets se sont organisés dans un même timing. Il rejoint des organisations qui mettent en place des soirées techno. Là, j’ai pu observer comment il s’organisait, je l’ai accompagné et était fasciné par sa manière de vivre et de gérer le Live. C’est grâce à lui que j’ai goûté à la musique techno. Ce n’était pas spécialement ce que j’écoutais.
J’aime l’énergie que la techno donne alors que je n’étais pas spécialement fan, je ne me sens pas forcément dans mon élément dans une soirée techno mais cette musique fait ressentir une exfoliation des émotions, c’est un défouloir. Et en soit ces organisations, ces genres, sont nés dans des contextes politiques et ça, ça nous rapproche du rap. Là j’ai essayé de poser des trucs et ça fonctionnait ! Ce n’était clairement pas mainstream, pas forcément audible dans le sens où c’était nouveau et qu’il fallait creuser dans les sonorités.
À l’oreille je n’avais pas encore trouvé le truc. C’est là que j’ai cherché des producteurs qui avaient des touches électro/techno, c’est à ce moment que j’ai rencontré les rabbits et qu’on a trouvé notre couleur petit à petit. Ils m’ont amené dans la frenchtouch mais on a fini par pousser. Sur des morceaux comme fight club par exemple il y a des inspirations de Gesaffelstein, j’aime aussi les morceaux progressifs comme ayahuesca qui représentent ce côté transe, animal, bestial présent dans la musique techno. Donc les rencontrer m’a ouvert beaucoup d’univers, je me consacre à ça pour l’instant et ça marche trop bien entre nous, ils sont à la réalisation de mon premier album.
Tu as été mannequin très jeune, tu as donc fréquenté une industrie très dure à un âge où le développement de soi est très important. Quelles leçons en as-tu tiré ? Ça te sert dans le milieu de la musique ?
Je suis tombé dedans jeune sans le vouloir, c’était un réel plus. J’ai fait de l’argent, des rencontres. J’ai appris les enjeux et les responsabilités d’un milieu de travail. Je ne suis pas craintif, je sais bien rendre à l’image, comment placer mon physique lors des shooting et c’est clair que dans la musique ça aide.
Tu parles de physique et d’image, mais personnellement ?
On rencontre à la fois des personnes incroyables et des personnes dégueulasses, comme partout. Mais la particularité c’est l’honnêteté, ils sont cash et les gens ne se cachent pas. C’est assumé alors que dans la musique par exemple ces mêmes vices sont mieux cachés.
Est ce que du coup toi, même dans ta vie personnelle, tu as une vision plus lucide sur les énergies, les intentions que les gens peuvent avoir envers toi ?
Je ressens grave les énergies des gens du coup de manière générale, quand l’industrie de la musique s’est intéressé à moi, je pouvais voir qui était convaincu artistiquement ou qui me voyait comme une vache à lait. En quoi on les intéresse, qu’est ce qu’on va leur apporter ? C’est pour ça que je me suis tourné vers des labels plus indépendants, à taille humaine où t’es pas noyé dans une masse d’artistes.
Tu as l’air d’être une personne très psychanalysée, tu dis que ton voyage en Chine tu as appris beaucoup sur l’acceptation, la lucidité, les visions qu’on peut avoir de nos vies. On peut presque parler de bouddhisme. Alors même que tu as une culture du rap de la rage, tu te considères comme une personne apaisée aujourd’hui ?
Je me sers de mon art pour être une meilleure personne. Le contrôle de certaines émotions peut toujours être difficile, je ne suis pas apaisé sur tous les niveaux. Que ce soit intérieur ou extérieur, les injustices, les inégalités, personnelles ou non, je suis impacté émotionnellement et je m’extériorise dans mes textes.
L’origine de mon projet était de trouver la paix dans ce métier mais effectivement je me rends compte maintenant que je ne suis pas totalement paisible mais je m’y retrouve petit à petit quand je fais des beaux morceaux. Quand j’aurai trouvé la paix je serais allé au bout de mes objectifs et je pourrais m’en aller, construire une ferme, sans rigoler ! Je continuerai à faire de la musique pour le plaisir, c’est une question de vibe, mais effectivement dans mes textes et mon énergie je n’aurais plus forcément les mêmes revendications.
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