Vous avez peut-être profité de ces phases de confinement pour visiter les plus grands musées depuis votre salon, grâce à de nouveaux procédés de visites virtuelles. Le numérique a permis aux institutions muséales d’explorer de nouveaux espaces de partage et de diffusion. De plus en plus de musées s’aventurent hors des murs et intègrent les réseaux sociaux à leur stratégie de relation au public. Romane Caroline a créé 8ème Vestibule, un média en ligne qui encourage les jeunes à se rendre au musée. Grâce à de courtes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, elle participe à démystifier l’image des musées comme institutions inaccessibles. Lorsque nous l’avions rencontrée pour parler entreprenariat (retrouvez son itw ici), nous en avions profité pour aborder avec elle la question de la place des réseaux sociaux dans le champ muséal et de ce lien qui se crée entre les établissements et un nouveau public.
Propos recueillis par Anna Le Gallou
Pour parler d’art les formats se multiplient : podcasts, docus, vidéos, posts… Pourquoi est-ce important de diffuser sur les réseaux sociaux ? Quelle est la force de la vidéo ?
Tout simplement car il faut faire ce qui fonctionne. Par exemple cet été, la plupart des jeunes qui m’ont contactée pour participer au projet m’ont demandé d’écrire des articles, ce qui est super. Je me suis dit « le but c’est de parler à jeunes qui ne sont pas forcément très proches des musées, si je leur en parle dans un article écrit avec lien cliquable etc, ça ne va pas les impacter » donc j’ai gardé cette idée de blog comme espace collaboratif d’expression auquel chacun peut contribuer mais pas comme outil pour les emmener à l’art.
La vidéo me semblait être le plus pertinent car c’est ce qui est le plus impactant, qui retient le plus l’attention. Les réseaux sociaux quant à eux sont des espaces que les jeunes fréquentent.
De plus en plus de musées ont investi les réseaux sociaux et s’emparent des tendances comme les différents challenges, en lancent même certains. Je pense notamment au #Gettymuseumchallenge ou le #tussenkunstenquarantaine. Est-ce qu’Internet est pour toi un nouveau terrain de jeu pour les institutions muséales ?
Totalement. Elles le savent et elles ont déjà investi Internet. Mais c’est compliqué car ça va vite, qu’il n’y a pas forcément énormément de budget à allouer et que la cible des 15 – 25 est très hétérogène. Il y a des musées qui ont les ressources financières et humaines pour intégrer les réseaux sociaux et le web à leur stratégie de communication, d’autres en revanche vont prendre cette charge en plus de leur travail. Ces réflexions questionnent encore aujourd’hui le statut d’industrie culturelle de l’art.
Tu as récemment lancé un compte Tik Tok pour 8ème Vestibule, est-ce que ce format te permet de toucher une nouvelle audience ? Et pourquoi il est important pour toi d’être présente sur cette plateforme ?
Pour l’instant, le Tik Tok est « balbutiant » ! Il a un peu du mal à se trouver, mais ça va venir. Pour moi c’était essentiel, sachant que je vise globalement les 15-25 ans. C’est le moment, il faut être où sa cible est. On assiste à une fuite des jeunes sur Insta, car les plus âgés s’en sont emparés. En fait, les plus jeunes cherchent à s’approprier un espace où leurs aînés ne sont pas, on doit donc suivre ces tendances.
Chaque média social a ses caractéristiques en terme de mode de diffusion, d’audience et d’engagement. 8ème Vestibule est présent sur Facebook, Insta, Tik Tok, Twitter et You Tube. Est-ce que les objectifs sont les mêmes selon les plateformes ? Comment déclines-tu les contenus en fonction ?
Les objectifs ne sont pas du tout les mêmes. Sur Facebook, je publie de temps en temps, l’idée c’est d’être présent mais c’est davantage destiné aux institutions, pour les partenaires ou pour les personnes plus âgées qui veulent en savoir plus sur notre média. C’est sur Instagram que je suis la plus active: grâce au nombre de formats possibles, on peut faire plein de choses. C’est également là que ma cible se trouve. Sur Tik Tok, ça se cherche un peu car il s’agit d’un format très spécifique, on cherche à faire du contenu peut-être un peu plus éducatif. Quant à Twitter, pour le moment je réfléchis encore à quelle approche adopter : une communication destinée aux professionnels ou très humoristique ?
Comment choisis-tu tes sujets ? Penses-tu d’abord à ce dont tu as envie de parler ou à ce qui pourrait intéresser ta cible ?
Ça dépend, ça vient beaucoup de moi d’abord. J’essaie de voir quelles questions j’ai pu me poser au début. J’essaie aussi de lier des sujets abordés pendant mes études, ce qui me permet d’optimiser mon temps. Par exemple, sur des Tik Tok je travaille avec Clara, qui vient de se lancer à son compte et qui s’occupe d’un format de vidéo qui nécessite énormément de recherches pour aboutir à un format de soixante secondes, un travail de synthèse important, c’est très frustrant. Finalement, c’est un peu des deux, j’essaie d’écouter ce qu’on me dit et de m’écouter moi. Depuis peu, on a lancé un Discord avec les personnes motivées pour participer au projet et comme ça on peut échanger et avoir des retours.
Est-ce que tu sais qui compose ton audience ?
Je pense qu’aujourd’hui, il y a encore une partie de mon audience qui est composée de personnes qui me connaissent personnellement : des proches ou des personnes qui m’accompagnent dans la création de projets. Sinon, il y a des jeunes d’un peu partout entre 15 et 25 ans mais qui sont majoritairement dans des cursus artistiques et culturels.
Penses-tu que les amateurs de tes vidéos sont déjà des initiés ? Finalement, comment encourager les internautes à devenir des visiteurs de musées ?
Malheureusement oui ! Enfin « malheureusement » ce n’est pas le mot, j’adore mon audience.
Depuis cet été notamment, j’ai de plus en plus de messages de jeunes, qui sont intéressés par l’art et très souvent qui sont dans des cursus plus ou moins liés au secteur culturel, qui veulent de temps en temps participer à l’aventure. De plus en plus, je me rends compte que c’est compliqué de toucher un public qui n’est pas initié uniquement via les réseaux sociaux. J’avais essayé de mettre en place des vidéos avec des influenceurs qui ne sont pas issus du secteur culturel mais ça demande beaucoup de logistique et que toutes les parties prenantes soient disponibles au même moment : compliqué en ce moment. Je me rends compte également que les réseaux sociaux sont essentiels pour garder un lien mais que, peut-être, il faut aller à la rencontre d’un public qui n’est pas déjà sensibilisé à ces thématiques « sur le terrain », donc je travaille sur d’autres projets comme une mini-série à diffuser dans des écoles, des MJC, des assos jeunesse.
Récemment tu as lancé une série de vidéos sur Tik Tok sur le thème « Jeu vidéo et Art », avec @clarahrrz. Le format se prête parfaitement à la plateforme, est-ce une contrainte ou au contraire un nouveau moyen de dépoussiérer l’art ?
À la fois on est très contraintes en terme de timing et de dynamique mais c’est de la contrainte qui laisse fuser la créativité. Je trouve ça génial, ça ouvre d’autres possibilités. (Pour aller voir les vidéos, c’est par ici.)
Est-ce qu’avec un format aussi court et techniquement exigeant on ne risque pas d’alléger le message ?
C’est un gros questionnement général qui touche le monde artistique. Quand je suis allée pour la première fois présenter mon projet à un directeur de centre d’art, il ne comprenait pas bien comment avec de la vidéo pour les réseaux sociaux je voulais parler d’art car « l’art ça se regarde, ça se contemple ». Je pense qu’avec mes comptes-rendus d’exposition en vidéos courtes aujourd’hui, il serait outré. Je pense qu’à un moment donné, il faut prendre les choses comme elles sont, on fonctionne de plus en plus comme ça, et c’est pas parce que la première entrée sur un sujet est une vidéo courte et synthétique que ça empêche de creuser par la suite.
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