Et si on matait des films d’horreur comme on matait des romcoms, le cœur battant la chamade ? (mais pas pour les même raisons). À l’occasion d’Halloween, réflexion sur un genre qui divise autant qu’il attire !
Article écrit par Justine Bouchon
De quoi est pétri l’horreur au cinéma pour avoir une réputation aussi divisée ?
La démocratisation des creepypastas, des threads et des podcasts horrifiques sur internet depuis ces dernières années a insufflé au genre un renouveau dans sa manière de circuler de façon anonyme et à grande échelle. Le film d’horreur réponds à des codes très précis, qui ont fait naître de nombreux sous-genres hétérogènes comme le film de vampires ou de zombies, les films d’épouvante, le Giallo, le Slasher, le Survival, et d’autres qui possèdent tous leurs spécificités. Le fantastique, lui, ne donne pas à voir des choses proprement horribles même s’il se situe au croisement du merveilleux et de l’étrange.Plusieurs études ont démontré que les peurs collectives, lorsqu’elles sont partagées, permettent de se rassembler autour d’une expérience commune en permettant de tisser des liens sociaux.
Avant de rentrer dans le coeur du sujet et pour vous inspirer pendant cette semaine d’Halloween, voici d’abord un petit état des lieux des sous-genres les plus connus :
- Le gore : le mot anglais « gore » désigne dans ces films le sang coagulé, sale, répugnant, à la différence du mot « blood » (que les anglo-saxons appellent aussi splatter movie, « splatter » signifiant « éclabousser »). Le gore a trouvé son essor avec les films grands guignolesques de H. G. Lewis tel que 2000 Maniacs (1964) ou The Wizard of Gore (1970). On peut dire qu’il est devenu un genre à part entière, dont le torture-porn est une des ramifications.
- Le slasher : un des sous-genres les plus populaires, qu’on peut traduire par « poignardeur ». Ces films mettent en scène des jeunes et innocentes victimes pourchassées par un tueur psychopathe, le plus souvent masqué et possédant une arme blanche ou tranchante comme dans Halloween (J. Carpenter, 1978) ou Massacre à la tronçonneuse (T. Hooper, 1974) pour ne citer que deux exemples entrés dans la culture populaire. Les slashers sont aussi connus pour leur aspect sériel donnant l’occasion au tueur de ressurgir, une aubaine pour les producteurs qui ont su s’emparer de cet enjeu commercial.
- Le film de zombie : Popularisé avec les films de George A. Romero dont La Nuit des morts-vivants (1968) ou Zombie (1978), le film de zombie déterre souvent les angoisses profondes liées aux mutations des sociétés tout en mettant en évidence un rapport conflictuel avec la mort (bien que ces films ne portent pas obligatoirement une réflexion de nature politique ou sociale). Cependant, comme le gore, il est devenu un genre à part entière, en utilisant à loisir la figure du zombie comme la métaphore d’un mal resté enfoui qui ressort de terre.
- Le survival : à la différence du slasher, ce sont les membres d’un groupe, souvent des citadins, qui viennent à la rencontre du danger. C’est à partir du moment où ils entrent en contact avec l’ennemi que le piège se referme, jusqu’à devoir lutter pour leur survie et dépasser leurs propres limites. Délivrance (J. Boorman, 1972) et La Colline a des yeux (W. Craven, 1977) sont devenus des incontournables du genre, notamment par leur représentation des rednecks (que l’on retrouve aussi dans Massacre à la tronçonneuse), vus comme des individus arriérés à éviter, dans une portion de l’Amérique qu’on voudrait ne pas connaître.
- Le rape and revenge : que l’on peut traduire par « viol et vengeance », longtemps réduit aux cinéma grindhouse et aux drive-in. Objet de critiques dans les médias, qui lui reproche une trop grande complaisance envers le viol, ce sous-genre brouille les repères moraux du spectateur à l’image de La dernière maison sur la gauche (W. Craven, 1972). Souvent, ces films consistent à mettre en scène une ou plusieurs femmes violées et torturées, suivi de la vengeance de la victime ou de ses proches qui entraîne un déchaînement de sadisme et de violence.
- Le home invasion : dérivé du survival, ce sous-genre repose sur la mise en scène d’une violation de domicile, où des personnages qui s’imaginent en sécurité chez eux vont subir l’intrusion d’un ou plusieurs individus mal intentionnés. En s’attaquant à leur propriété, ces individus s’en prennent également à ce que représentent les habitants, en apparence un couple bien sous tous rapports comme c’est le cas dans Les Chiens de paille (S. Peckinpah, 1972).
- Le found-footage : le sous-genre relève principalement d’un procédé technique, celui de la caméra subjective (found-footage signifie littéralement « enregistrement trouvé »). Outre ses effets techniques, le film consiste à présenter ce que serait un enregistrement vidéo découvert dans sa forme la plus authentique. Sans appartenir directement au film d’horreur, Punishment Park (P. Watkins, 1971), est par exemple un faux documentaire qui montre des images se voulant prises sur le vif des violences faites envers la jeune population militante dans le climat du conflit au Vietnam.
- Le film de possession : mettant souvent en scène des forces démoniaques et maléfiques qui s’emparent d’une personne et/ou d’un objet, le film de possession a été rendu célèbre par le succès commercial de L’Exorciste (W. Friedkin, 1973), peu après Rosemary’s Baby (R. Polanski, 1967). Dérivé du fantastique, la possession fait surgir des maux intérieurs qui rongent bien souvent la cellule familiale
Une des particularités du film d’horreur serait de faire éprouver à celui qui le regarde un sentiment de peur, connoté naturellement comme étant désagréable. Pourtant, se faire peur peut également être synonyme d’une sensation positive recherchée par les aficionados du genre. L’occasion de mettre notre physique et notre mental à l’épreuve comme lorsqu’on s’apprête à monter dans un grand-huit, que de nombreuses recherches ont appuyées ici ou encore ici.
C’est ce qu’on appelle “le paradoxe de l’horreur” (Philosophy of Horror, Caroll, 1990) qui met en lumière la contradiction à éprouver un malin plaisir face à ce qui apparaît comme effroyable et repoussant. L’horreur peut donc être défini comme un sentiment qui nous saisit quand nous sommes confrontés à ce qui dépasse notre entendement, c’est-à-dire face à l’inimaginable. Devant un film, nous sommes face à des situations qui nous seraient difficilement supportables en réalité… mais qui peuvent très bien être source de plaisir lorsqu’elles sont contrôlées à travers la fiction. Et lorsqu’on va voir un film d’horreur au cinéma, le plaisir compte double car tout est réuni pour flipper dans de bonnes conditions : installés dans la pénombre, dans une salle close et sécurisée, on se retrouve entourés de plusieurs personnes qui attendent le même pic d’adrénaline que nous. Une fois le film fini, il est grisant de se dire qu’on a bravé la séance, qu’on l’a même appréciée et qu’on en est ressorti en ayant traversé des émotions fortes sans pour autant mettre en danger notre intégrité physique ou mentale.
Ainsi, les sorties de films d’horreur restent des micros événements toujours très commentés sur différents médias où l’on retrouve souvent la même rengaine : ils sont perçus comme choquants ou ridicules, et dans certains cas accusés d’encourager des comportements violents ou morbides. Pourtant le cinéma d’horreur, en tant que phénomène culturel, peut être le sujet d’autres motivations que le simple désir de peur et de frisson chez le spectateur. Chez un public adolescent, la projection d’un film d’horreur peut servir à prouver sa capacité à affronter ses émotions sans pour autant vivre un choc esthétique trop violent. Néanmoins, ce serait faire un raccourci de rapporter les ambitions de films devenus cultes comme La Nuit des Morts Vivant (G. A. Romero, 1968), Rosemary’s Baby (R. Polanski, 1968), L’Exorciste (W. Friedkin, 1973) ou encore Amityville (S. Rosenberg, 1979) à la seule et unique fonction de répulsion et d’horreur. Outre les ficelles employées pour effrayer l’auditoire, il est tout à fait possible de déceler une portée politique, sociale et philosophique qui ne soit pas incompatible avec les rouages esthétiques et narratifs de l’horreur.
Il est tout à fait normal que les films d’horreurs fassent débat car ce qui fait qu’on n’éprouve pas de plaisir parfois, c’est tout simplement l’incompréhension. Nous sommes incapables de donner du sens à ce que nous avons sous les yeux. Faire la découverte du cinéma horrifique serait peut-être d’abord ressentir de l’inconfort et du déplaisir, se heurter à de nouvelles perspectives qui dépassent nos schémas de pensées. Pourtant, comme nous l’avons rappelé en dissociant au tout départ l’horreur du fantastique : « Il n’y a pas de raison de supposer que l’horreur doive toujours traiter du surnaturel […] notre peur fondamentale de l’inconnu, notre peur d’être incapables de composer avec notre environnement »* tend également à percevoir le réel comme quelque chose que l’on ne reconnaît plus et qui en devient justement terrifiant.
*WHITE Denis L., The Poetics of Horror, More than Meets the Eye, Cinema Journal, V. 10, No. 2, 1971, pp.1- 18.