À l’occasion de l’anniversaire du cinéaste, ce 22 juin, et de la restauration de ses films, qui sont donc à nouveau visibles en salle partout en France, notamment grâce aux rétrospective Abbas Kiarostami au centre Pompidou à Paris ou encore à l’Institut Lumière à Lyon, on a eu envie de revenir un peu sur le parcours du plus connu des cinéastes iraniens, et par la même occasion sur une petite partie de l’histoire de ce cinéma (les deux sont un peu liés, vous verrez).

Article écrit par Simon Zytka

Abbas Kiarostami est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma iranien (mais surtout réalisateur). C’est même d’ailleurs probablement l’un des plus connus. Et, son cinéma et ses films sont étroitement liés à la politique de son pays, l’Iran. 

Vous connaissez le Kanun ? Non, alors parlons un peu du Kanun : le Kanun est une institution créée par l’épouse du Shâh (le monarque iranien avant la révolution) au début des années 60. C’est un centre éducatif au sein duquel est créé, en 1969, un département cinématographique. C’est donc ici que Kiarostami commence à réaliser des films, d’abord des documentaires pédagogiques, sous forme de courts-métrage, à destination des enfants. Si cela lui permet de faire ses premières armes à la réalisation et au maniement de la caméra, ça lui permet surtout de poser les bases de son cinéma : un cinéma qui a d’abord à voir avec le réel et les enfants (on y reviendra). Mais en 1979 à lieu la révolution iranienne qui transforme le pays en République Islamique, et avec celle-ci arrive l’avènement de la censure d’une grande partie des sujets politiques au cinéma. Enfin même si celle-ci était déjà présente sous l’ancien régime, elle ne fait que grandement se renforcer après 1979.

Kiarostami commence son parcours de réalisateur à la fin des années 1960, il vit et travaille en Iran après l’avènement de la République islamique. Il n’est ni un enfant du régime ni un opposant, et ses films ne parlent pas de politique directement – ce qu’il ne pourrait de toute façon pas faire dans son pays. Il est un iranien en Iran et il doit faire avec son gouvernement (mais à la fin de sa vie, il ne réalisait plus dans son pays). Il ne cherche pas à s’opposer frontalement à la loi ni à se révolter, il souhaite juste parler des sujets qu’il aime dans ses films. Et pour ce faire, il doit ruser. En plus de 35 ans de carrière en Iran, il a dû déployer beaucoup d’efforts afin de continuer à faire des films, le but étant de ne pas devenir conforme, tout en ne se faisant pas remarquer.

Le vent nous emportera

Cette « ruse » qu’utilisent Kiarostami et d’autres réalisateurs iraniens est  l’instrumentalisation du genre éducatif. Le Kanun proposait déjà du budget pour les films mettant en scène des enfants, qui connaissaient une bonne demande. De plus, il n’y a pas beaucoup de producteurs privés en Iran à l’époque, et ils ne sont pas près à risquer une confrontation avec la censure de l’État, ainsi l’argent de la Kanun est bienvenu. On va donc montrer des enfants à la place des adultes afin de pouvoir aborder des questions de société et de politique. L’école, et le monde des enfants en général, se transforme alors en un ordre social en miniature où s’exercent les mêmes principes de pouvoir que dans la société iranienne. Puisqu’il s’agit d’œuvres « éducatives », elles passent plus facilement la censure. Par exemple, on observer cela dans son film de 1987, Où est la maison de mon ami ? Ce film raconte l’histoire d’Ahmad, un écolier de huit ans qui se rend compte, un soir, qu’il a ramené par erreur le cahier de son camarade Mohammad. Or Mohammad risque d’être renvoyé s’il ne rend pas ses devoirs le lendemain. Ahmad part donc, seul, à la recherche de son ami dans le village voisin. Ce film est un petit bijou qui résume bien le cinéma de Kiarostami et les bases de son cinéma : le réel et l’enfance. Alors regardez-le, s’il-vous-plaît !

Le cinéma iranien est l’art qui a le plus tôt contribué à faire connaître hors d’Iran la production culturelle de la République islamique et les films de Kiarostami ont joué un rôle déterminant. Mais cela lui a valu aussi de violentes critiques dans son pays, notamment concernant l’occidentalisation de son œuvre. Les critiques sont particulièrement virulentes envers Kiarostami dans la décennie 1990, alors que sa reconnaissance internationale n’a de cesse de grandir (tout ça parce que Catherine Deneuve lui a fait la bise en lui remettant la Palme d’or pour Le goût de la cerise en 1997, un geste qui n’était pas assez chaste pour la république islamique d’Iran). Dans un premier temps, les critiques occidentaux accueillent avec méfiance les films iraniens mais l’engouement pour cette cinématographie gagne vite la majorité des critiques, et dès les années 90 c’est plusieurs dizaines de longs métrages iraniens qui se retrouvent dans des compétitions tout autour du monde. Parmi tous les réalisateurs talentueux de ce pays, c’est Abbas Kiarostami qui en est le plus célébré et qui a continué, jusqu’à son décès en 2016, à faire des films (courts ou longs) qui n’ont jamais été si neutres politiquement.

Pour aller plus loinhttps://www.franceculture.fr/emissions/hors-champs/abbas-kiarostami

Le cinéaste, mais aussi photographe, poète et peintre iranien se confie sur ses premières amours artistiques, son admiration pour Ozu et Bresson et comment les films pour enfants l’ont amené aux plus grandes distinctions internationales du 7e art.

Pour les curieux les plus persévérants, d’autres podcasts passionnants sont également disponibles en grand nombre sur France Culture.

Où est la maison de mon ami

Et pour finir, une petite filmographie sélective de nos films favoris, et de ses plus connus

  • 1987 – Où est la maison de mon ami ?  

Un village iranien. Ahmad et Mohamed sont deux nouveaux copains. Le premier a emporté par mégarde le cahier de l’autre, alors que l’instituteur a menacé de renvoi ceux qui ne présentent pas leurs devoirs sur leurs cahiers. Mohamed risque donc le pire. Ahmad part à la recherche de son copain pour lui rendre son cahier, mais il ne sait pas dans quel hameau voisin il habite et son nom de famille est très répandu.

  • 1990 – Close-Up  

Cinéphile obsessionnel et sans emploi, Hossein Sabzian ne peut résister à la tentation de se faire passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf afin de s’attirer les faveurs d’une famille iranienne bourgeoise. Une fois démasqué, cet homme est traîné devant la justice pour escroquerie. Apprenant ce fait divers, le réalisateur Abbas Kiarostami s’empresse de réunir une équipe de tournage afin de reconstituer les faits et de filmer le procès de Sabzian.

  • 1994 – Au travers des Oliviers  

Une équipe de cinéma s’installe, parmi les oliviers, dans un village du nord de l’Iran qui vient d’être dévasté par un tremblement de terre. Keshavarz, le réalisateur du film qui s’intitule Et la vie continue, est à la recherche de ses acteurs…

  • 1996 – Le Goût de la Cerise  

La banlieue industrielle de Téhéran, les collines désertiques des environs. Un homme en Range Rover demande successivement l’aide de plusieurs personnes pour mener à bien son projet de suicide.

  • 1999 – Le vent nous emportera 

Un village reculé du Kurdistan iranien. Un jour arrive Behzad, venu de Téhéran acccompagné de deux collègues. Il prétend qu’ils sont à la recherche d’un trésor et se lie avec différents habitants. Le titre renvoie au poème de Forough Farrokhzad Et le film lui-même est un magnifique poème avec ses rimes, ses itérations, ses images lumineuses éclatantes d’une pure beauté.

  • 2002 – Ten

De l’épouse soumise à la prostituée libérée, de la divorcée émancipée à la veuve esseulée, chacune des dix séquences de ce film révèle un aspect de la condition de la femme en Iran. Une expérience formelle extrême au service d’un plaidoyer féministe remarquable.

  • 2017 – 24 Frames

Composé de séquences virtuoses où s’animent des photographies dont il est l’auteur, le dernier film d’Abbas Kiarostami est une réflexion tout autant sur l’image que sur le temps qui passe. Expérimental et hypnotique.