C’est juste après le bac que Thomas Aïdan a lancé le magazine La Septième Obsession. Sa volonté de montrer le cinéma à notre génération sous un angle plus pop et moderne nous a donné envie de discuter avec lui de sa carrière et de cinéma. La Septième Obsession a été lancée en 2013 et est sortie pour la première fois en kiosque en 2015. Plus qu’un magazine papier, la revue créé du lien entre les spectateurs en nous entraînant dans leur univers de cinéphiles passionnés. Thomas nous a parlé génération, rêves et surtout obsession.
Propos recueillis par Eva Darré-Presa
Bonjour Thomas, peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Thomas Aïdan, je suis né en décembre 1994 donc avant l’avènement du XXIe siècle. Je suis passionné de presse et de cinéma depuis très jeune et mon grand rêve, c’était de faire un magazine. J’ai dirigé des journaux au collège et au lycée, dont j’étais rédacteur en chef. Après le bac m’est venue cette envie de lancer mon propre magazine, donc j’ai créé ma propre structure et ma propre entreprise. Tout ça est conduit par une cinéphilie très importante qui est née très jeune, et un goût pour la presse papier.
Quel parcours t’a mené à fonder le magazine La Septième Obsession ?
Mon parcours, c’est un peu mauvais élève. C’est-à-dire que j’ai eu mon bac L sans mention et ensuite j’ai fait dix jours d’études en philosophie à la Sorbonne. Ça m’a pas du tout plu, j’avais envie de travailler tout de suite. J’ai beaucoup lu pendant la période post-bac, je me suis formé avec des corpus, notamment universitaires. J’ai fondé ma société un an après le bac, je devais avoir dix-neuf ans. On a commencé à faire des numéros zéro de la Septième Obsession, qui étaient diffusés sur Internet. Ensuite, on a préparé le lancement papier pour octobre 2015. Ça fait quand même trois ans de travail avant le lancement.
Hormis le fait que j’ai un goût pour la presse et le cinéma, comme je le disais, ce qui m’a poussé à lancer le magazine c’est aussi que je ne me reconnaissais pas tellement dans la presse papier cinéma actuelle. J’avais cette sensation qu’il manquait une revue un peu plus jeune, moderne, pop, qui soit respectueuse du cinéma, parfois virulente sur certains aspects, mais qui abolisse considérablement les frontières. On parle autant de cinéma d’horreur que de cinéma d’auteur français classique. On a pris acte d’un changement radical dans la cinéphilie qui est lié à internet, du fait que notre génération n’a plus les mêmes barrières qu’à une époque où chacun était niché dans sa chapelle et ne souhaitait pas en sortir. L’idée, là, c’est de faire exploser les chapelles, de montrer ce qu’il se passe sur internet, en proposant un support représentant cette idée qui me semble majeure pour le siècle que nous vivons actuellement.
Dans une interview, tu expliquais avoir créé La Septième Obsession pour permettre à notre génération d’avoir une revue cinématographique à laquelle pouvoir s’identifier tout en gardant le format classique du tirage papier. D’où vient cette volonté de prouver que les « millenials » sont encore intéressés par la presse papier ?
Déjà, moi, je suis intéressé ! Je suis jeune, il y a plein de choses qui ne m’intéressent pas, le charbon ne m’intéresse pas ! Blague à part, c’est un support que je trouve magnifique, seulement quand il est bien fait. Je pense que la vieille presse n’a pas du tout pris acte des goûts de notre génération par rapport à la presse papier. Je pense qu’on n’en a pas du tout la même consommation et le désir d’achat n’est plus du tout le même. Aussi parce que ça reste, ça peut être collectionné, ça bouge, on peur l’emmener partout. C’est comme un compagnon quelque part. On a beaucoup de très jeunes lecteurs, ça leur fait plaisir d’acheter la Septième Obsession tous les deux mois. J’ai un lecteur qui m’a dit qu’il se sentait un peu moins seul grâce à ça. C’est pas simplement un site internet ou une source de contenu, c’est aussi un compagnon, un doudou, un objet. C’est un objet qu’on fait avec amour, avec le cœur et énormément de détermination, d’ambition et de force, aussi pour faire résonner notre génération.
Il y a aussi le goût de l’esthétique, le goût de la maquette, des photos. On peut s’amuser avec des vernis sur la couverture, avec les textures. On peut créer une sorte de sensorialité de l’objet, quelque chose à laquelle la nouvelle génération est très sensible. Quand on voit la presse papier des années 1970-80, elle n’est pas belle du tout. Aujourd’hui, on a les capacités matérielles de faire des objets extraordinaires, même en terme de presse papier, qu’on n’avait pas encore il y a vingt-trente ans. Notre génération a un pouvoir pour ça, encore faut-il que l’ancienne génération nous donne les clés. L’idée c’était, moi à l’âge que j’ai, de me dire que j’en ai rien à faire, mettre un coup de pied dans la fourmilière.
Finalement le fond, cette idée d’obsession, est totalement liée à la forme, à l’objet même, au fétichisme, à la collection.
Complètement ! Je pense qu’il y a vraiment cette idée d’obsession, quelque chose qu’on garde, qu’on cache peut-être. Et en même temps l’idée que les souvenirs sont datés, c’est-à-dire que, quand on a fait des couvertures avec Under the Silver Lake en rapport avec le fétichisme, ou celle en rapport avec les sept péchés capitaux, ou le hors-série sur Dario Argento, ça permet au numéro d’être en rapport avec les émotions des films. L’idée n’est pas fétichiste à outrance mais par moments d’avoir ces objets-là qui nous rappellent qu’on est en vie, qu’on existe. Je trouve que ça a du sens, ça ne doit pas simplement être beau. Ça nous fait vibrer. Si une revue peut faire ça, c’est génial !
Comment est née l’équipe de La Septième Obsession ?
Elle est née progressivement. Parfois il y a des rédactions qui se forment d’un bloc, là en l’occurrence, c’était un support qui n’existait pas. J’étais très jeune donc je ne connaissais pas un milliard de gens. Mais quand la Septième Obsession est sortie, il y a eu beaucoup d’envies de la part de rédacteurs qui sont venus me voir et qui ont voulu écrire. C’est aussi des gens que je suis allé chercher, des jeunes gens que j’ai côtoyé au moment des numéros zéro qui étaient encore au début de leurs études et avec qui j’ai noué des liens assez forts. Il n’y a rien de figé, de raide. Ça s’est fait de manière organique, il faut laisser rentrer la vie.
Est-ce que c’est difficile parfois d’être pris au sérieux en raison de ton âge ? Est-ce que tu as déjà été confronté à des refus ou des difficultés en raison de cela ?
Alors, au début, oui. Mais le fait de faire un magazine papier imposait une certaine stature, qui parfois m’a un peu desservi dans le sens où j’avais l’impression de prendre trente ans. Mais dans l’absolu, même si les gens me trouvaient très jeune, il y avait cet avantage du papier. D’un coup, on devenait concurrent des magazines en kiosque. Il y avait ce côté paradoxal chez certaines personnes. Après, ça dépendait vraiment des gens. Certains attachés de presse nous ont suivi dès le début, c’était excitant. D’autres ont mis plus de temps à venir puisqu’ils trouvaient que j’étais un peu jeune. Mais comme le milieu du cinéma cherche de plus en plus à transmettre à notre génération, puisqu’on se rend compte qu’il y a un vieillissement des spectateurs dans les salles, je crois que beaucoup ont vu l’aubaine de travailler avec un support qui capte la nouvelle génération. Là c’est l’idée de se dire que La Septième Obsession est un support pour les jeunes avec un fond éditorial, une vigilance qui correspond bien à certains films. Globalement, je dirais que ça n’a pas toujours été simple, mais quand ce n’était pas simple, j’ai toujours essayé de prouver que ça valait le coup de travailler avec nous. C’est pas toujours évident, mais ce qui a été le plus compliqué c’était la phase de préparation, avant que le magazine ne soit lancé. Là on me renvoyait continuellement à mon âge en me disant que je devais aller à la fac, que je devais trouver un autre travail. On me prenait vraiment pour quelqu’un qui ne voulait pas travailler, qui ne voulait rien faire, alors que j’avais mon projet. Mais il apparaissait tellement gros pour certaines personnes, parce qu’en France on méprise les rêves, on les tue et on fait des frustrés. La Septième Obsession, même si j’avais la boule au ventre à l’idée de ne pas y arriver, c’est l’idée de trouver notre place et de s’y asseoir.
Il faut savoir s’écouter soi-même. Je ne dirai jamais à quelqu’un de ne pas faire d’études “parce qu’en faisant des études tu n’y arriveras à rien”. Non, je dis qu’il faut savoir s’écouter soi-même. Moi, en l’occurrence, aller à la fac ça me donnait une boule au ventre et la chair de poule. Ce n’était pas pour moi. Ça aurait été vraiment terrible sur le long terme si je m’étais forcé. Ce qui compte, c’est la singularité. C’est essentiel.
Selon toi, quelles sont les caractéristiques à valoriser quand on souhaite entreprendre, et surtout diriger une équipe ?
De l’écoute, du courage, de la force, de la patience et de la générosité.
La Septième Obsession lie cinéma et actualité grâce à différents formats. Comment construis-tu la ligne éditoriale de chaque numéro ?
Je dirais qu’il y a un mot d’ordre : l’obsession. Après, pour la ligne éditoriale, c’est se concentrer sur l’esthétique, on y est très sensible. L’idée c’est, après avoir trouvé le fil rouge, de le décliner au fur et à mesure de l’actualité, de ce qui sort, de nos envies, de nos obsessions. Donc encore une fois tout est très organique. Pour chaque numéro, je ne peux pas dire ce qu’on fera dans deux numéros. On a parfois des points d’interrogation, des options. On a parfois des affirmations où on se dit qu’il faut absolument aborder ce sujet. Même parfois au dernier moment. Mais on fait. On a cette force de la jeunesse de pouvoir réagir très vite. Ce qui fait qu’on n’est jamais trop à la traîne, on essaie d’être à l’avant-poste. Comme pour les sept pêchés capitaux l’été dernier, c’était l’actualité, il y avait beaucoup de choses à dire à ce sujet. Là pour Miyazaki c’est pareil, ça répond à une actualité brûlante qui est le coronavirus, la question politique dans le monde, l’écologie. L’idée, c’est de répondre à ce qu’il se passe dans le monde, aux émotions d’aujourd’hui, à nos besoins par le cinéma. Le cinéma va devenir une sorte d’image fantasmatique, foudroyante, incroyable.
Est-ce que les bouleversements numériques te font parfois remettre en question le modèle du magazine ? Te demandes-tu, par exemple, si les numéros vont plaire avant leur sortie ?
Je pense que le vrai grand bouleversement numérique date d’il y a plus longtemps, donc maintenant on en est un peu revenus. On essaie d’adapter le numérique dans nos vies de manière à ce que ça s’équilibre. On intègre énormément de numérique : on a fait de la vidéo avec Sens Critique sur nos réseaux sociaux, on a un site internet qui est régulièrement rénové, on a des réseaux sociaux très actifs, on a un compte Instagram qui nous permet d’être en contact avec nos lecteurs. Finalement, on maîtrise très bien ces codes-là. Même pour les visuels sur Internet, on est très soigneux. On a bien compris l’importance d’Internet.
Est-ce que les numéros vont plaire ? C’est pareil pour n’importe quel artiste quand il s’expose avec son œuvre. Je ne dis pas qu’une revue est une œuvre mais c’est quand même quelque chose sur lequel on travaille pendant deux mois, c’est intense, fatiguant et jouissif. C’est une naissance à chaque fois. On va se demander si ça va plaire mais, même si c’est stressant, c’est toujours très excitant. Encore une fois, on ne le fait pas par opportunisme, on le fait avec le cœur. Et en général, ça se sent et les lecteurs le sentent. Sur le Miyazaki c’est exceptionnel, le retour des lecteurs est génial. On est beaucoup sur l’émotion et ça nous fait tellement plaisir de savoir que les gens prennent du plaisir à nous lire, à acheter la revue, à la chercher, à la conserver et à la relire plusieurs fois. C’est une communauté qui est très active et très solidaire et fidèle. C’est pour ça qu’on a des ventes très stables, même si parfois on a des piques de vente. La fidélité c’est hyper important et ça nous donne des ailes pour faire mieux. Tant qu’on reste sur cette dynamique, je suis plutôt confiant.
Dernière question : quel est ton coup de cœur cinématographique depuis début 2020 ?
2020 c’est pas pour le moment l’année qui me fascine le plus. J’ai adoré Dark Waters de Todd Haynes mais je l’ai vu en 2019, donc je ne sais pas si ça compte. Mais c’est un des derniers films qui me reste le plus depuis le début d’année, avec Monos d’Alejandro Landes qui est vraiment très beau. J’ai oublié un film que j’adore : c’est Swallow de Carlo Mirabella-Davis. C’était magnifique. C’est vraiment un film pour les jeunes. Avec tous les retours que j’ai eu, même des distributeurs, on s’est rendu compte que le public était jeune, dans les 20-30 ans. C’était pas des gens plus âgés. Je pense que c’est un film générationnel. Ça va avec la problématique : l’héroïne est avec un vrai connard et il faut qu’elle s’en sorte. On a envie qu’elle s’en sorte. C’est un portrait de femme d’aujourd’hui. Je trouve ça splendide visuellement. Il a plutôt bien marché et j’espère qu’il restera dans le cœur des cinéphiles.
Le numéro 29 Été 2020 est à retrouver en kiosque depuis le 17 juillet. Retrouvez La Septième Obsession sur leur site, Facebook et Instagram.