Comment se porte la couture ? Non non, pas la culture, la couture. Vous connaissez Saint-Laurent, Givenchy, Dior, Gaultier, Chanel, Doucet ou Lagerfeld ? Oui ! Mais tout de même, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent !
Propos recueillis par Maude Vuillez
Seconde main, prêt-à-porter, mode, friperie, vêtements, habits… tant de termes pour parler d’un monde qui fait partie de notre quotidien mais que personne ne connaît réellement. Et la « couture » alors ? Qu’en-est-il ?
Nous sommes allés à la rencontre de Théo Drouhot, jeune Arlésien de 22 ans, passionné de couture, qui nous explique cet art si singulier et son travail.
« Quand t’es pressé avec tes valises, que tu veux regarder l’heure sans t’arrêter mais que t’es obligé de tendre le bras jusqu’au ciel pour remonter ta manche car elle te cache le cadran de ta montre… c’est insupportable ! »
Comment t’est venue cette passion pour la couture ?
J’ai commencé à coudre sur les genoux de ma grand-mère quand j’avais quatre ans dans son petit atelier à Lyon. J’y allais, faute de moyens de partir en vacances. Elle travaillait toute la journée et je me souviens d’un pressing qui était dans la même rue, j’y allais et revenais… À cet âge-là, tu ne fais pas de tailleurs ou de vestes (rires) mais au fil du temps j’ai fait un peu de couture pour moi et mes amis. Le théâtre aussi m’a ouvert les yeux, avec la mise en scène ainsi que des cours d’art chorégraphique où la compréhension de la morphologie des corps est essentielle. J’avais tout sous le nez ! Un jour, ma mère est tombée malade et j’ai eu peur de la perdre. J’étais inquiet et aussi frustré car j’ai réalisé qu’elle ne m’avait pas transmis suffisamment de connaissances en matière de couture. En réalité, cette période a été un déclic pour moi, je voulais réaliser son rêve qui était de monter une maison de couture. Cela fait à peu près 2 ans que je travaille pour et j’ai une petite formule : « MMMM » qui signifie MerciMamieMerciMaman.
Peut-on apprendre à coudre sans passer par une école ?
C’est tout à fait possible. Ma mère et ma grand-mère m’ont beaucoup appris (et maintenant c’est l’inverse !) J’ai jamais regardé de tutos sur Internet, sauf une fois pour une boutonnière Milanaise car je n’y comprenais rien, je ne voyais pas la différence avec les autres. J’observe les photos de tailleurs et j’essaye de comprendre ce que fait ce fil là, ce pli ici. J’essaye de reproduire ce que je vois. Aujourd’hui, je peux dire que le tissu parle, il faut jouer avec ! Tendre le fil des points de picots d’une certaine manière et pas d’une autre pour un col, si tu vois que ton tissu a une trop grande tension, tu cherches alors cette tension et tu vas la libérer. Jérome Trompette (qui travaille chez Alexander McQueen) m’aide beaucoup, il me donne des conseils, en cinq minutes il m’apporte des solutions. Il m’a transmis certaines techniques pour parfaire la mienne. Entre techniciens (donc couturiers) généralement on s’entraide !
Quelle est ta couleur préférée ? Est-ce la même pour tes travaux de couture ?
J’aime le blanc, le beige et le noir. En ce moment je fais une veste où il y a du blanc, du bleu, avec quelque chose de plus profond, comme des vagues. Mais il est vrai que les couleurs que je déteste, c’est finalement celles avec lesquelles j’aime beaucoup travailler… le rose shocking par exemple (pas pour faire un body, évidemment !)
Quels tissus ou matières sont les plus agréables à travailler ?
Pour moi c’est le lainage (donc les différentes laines, comme le tweed) mais surtout les tissus qui sont lourds, qui ont de la matière (comme le jacquard). Je les achète généralement sur le marché Saint-Pierre à Montmartre ou alors je fouille dans les cartons de ma grand-mère, elle a encore beaucoup de tissus ! J’essaye de travailler avec des matériaux éco-responsables ou tissés en France mais ce n’est pas facile à trouver et financièrement c’est compliqué.
Quelles sont tes inspirations en terme de création ?
La musique m’inspire énormément au quotidien puis me permet de me projeter dans des défilés. L’album Singularity de Jon Hopkins, All Melody ou Spaces de Nils Frahm, In Decay de Com Truise, beaucoup de classique comme les nocturnes de Chopin, Chostakovitch, Tchaïkovski, des musiques très romantiques (russes, allemandes ou polonaises) ainsi que des opéras. Je mets une musique que j’aime quand je couds et j’imagine alors les modèles qui marchent avec des vêtements. Il m’arrive de méditer aussi. La nature est source d’inspiration : les cailloux, les pierres, les cristaux… et les paysages marins. Le mouvement impressionniste m’intéresse beaucoup, j’aime les textures qui s’en dégagent, on sent cette matière dans la toile. Le peintre Johan Barthold Jongkind, précurseur du mouvement, fait partie de ces artistes qui m’ont beaucoup inspiré.
Certains motifs de tes créations font penser à Kandinsky et Miró…
Exact ! Pour le bac, nous avions différents thèmes comme « l’Ailleurs » et « l’Art nouveau ». Nous avions étudié Le Sacre du Printemps de Stravinsky que le peintre Kandinsky a interprété en peinture. Quand j’ai trouvé ce tissu dont le motif m’y a refait pensé, cela m’a procuré une grande émotion. J’y ai aussi retrouvé les motifs de Miró, (espagnol comme l’une de mes grands-mères) et cela m’a bien plu. La découverte de ce tissu a éveillé ma mémoire et mes sens en un tout très inspirant.
Espagnol, tout comme Cristóbal Balenciaga ? Est-ce un couturier que tu apprécies ?
Balenciaga a inspiré Dior, Chanel, il était là bien avant tout le monde…. Et je trouve que son travail n’a jamais été considéré à sa juste valeur. Un jour, j’ai vu une exposition sur ce couturier et j’ai découvert des pièces extraordinairement bien faites. J’avais l’impression que c’était un corps et non un mannequin qui se tenait là, devant-moi. Comment a-t-il réussi à donner cette impression que l’habit est habité ? Il a en quelque sorte sculpté le corps à vide et j’ai passé la journée à y réfléchir. Quand je suis rentré chez-moi, je me suis dit : je veux faire ça ! Et mieux ! D’ailleurs, ma mère m’a dit : « Bon courage car moi-même je ne sais pas le faire ! » J’ai mis six mois à travailler les emmanchures, le tomber des manches… j’ai cherché à comprendre comment on fait et depuis c’est mon obsession. Je pense plus ou moins comme lui : un vêtement est une architecture, des lignes. Je travaille dans un univers très architectural, construit, linéaire. Son travail m’a obsédé, je voulais faire pareil, c’était un défi ! Azzedine Alaïa est aussi une grande source d’inspiration.
« Si je sens que je n’ai pas ce petit frisson quand je couds, que je n’ai pas les larmes aux yeux quand l’habit prend forme, je recommence. Je me fie à l’émotion avant tout. »
Penses-tu que le milieu de la couture soit un milieu élitiste ?
Il y a une forme d’élitisme oui, mais c’est le cas dans la plupart des domaines culturels. Dans ce milieu, les prix sont évidemment un motif d’élitisme mais c’est aussi tout un système. Par exemple à la Fashion Week, il faut des invitations, des accréditations. C’est dingue mais de plus en plus souvent, pour pouvoir entrer, le critère est le nombre d’abonnés que tu as sur Instagram. On s’éloigne des valeurs de la couture, ce sont des YouTubeurs, des influenceurs qui peuvent rentrer voir les défilés pour les mettre en avant sur les réseaux sociaux. Ça décrédibilise le travail artisanal… Les marques en jouent énormément.
As-tu déjà organisé ou participé à des défilés ?
Lors du Concours National des Jeunes Créateurs en 2019, j’ai dû créer un défilé, choisir les mannequins, faire des castings, m’occuper du maquillage, des coiffures, de l’ordre de passage etc. ! Après le travail de couture, le rôle du mannequin est essentiel puisque dès lors que tu confectionnes une collection, c’est pour qu’elle soit mise en mouvement, c’est la personne qui porte le vêtement qui va le faire parler. Les défilés c’est énormément de mise en scène, tout est précis car on ne peut pas passer du chapitre 1 au chapitre 9.
Vas-tu vendre tes créations ?
Je n’ai absolument pas rentabilisé l’argent dépensé pour mes créations… (rires) donc oui ! Je pense finaliser dans un premier temps mon site internet. J’ai acquis assez de technique pour gérer de A à Z le processus du vêtement, de la création à la vente. Mais je préfère rester discret, ne pas viser la grosse production et rester sur des pièces uniques, exclusives. Étant donné que je couds tout seul, je ne peux pas me permettre de risquer soudainement de crouler sous d’éventuelles commandes ! Honnêtement me séparer de mes créations m’est difficile mais je m’y fais avec le temps. J’ai réalisé une veste, modèle femme, qu’on m’avait commandée et je la lui ai donnée. Aujourd’hui, je suis heureux de savoir qu’elle est dans une garde robe !
Toi qui aimes le théâtre, n’as-tu jamais voulu coudre des costumes ?
Un projet actuel fait que je dois me renseigner sur la période médiévale, je fais des recherches sur des techniques de coutures de cette époque et cela me plaît énormément. La classe sociale défavorisée devait coudre ses propres habits avec moins que rien ! Pour ce projet, je dois reproduire ce que pouvaient coudre ces paysans, ces mendiants, retrouver l’aspect déteint, délavé, décousu, déchiré… Il faut que j’arrive à créer l’erreur, le défaut, sans que cela soit visible ou grossier ! Il faut que les vêtements semblent sortis tout droit de cette époque ! Le challenge c’est que l’on a commencé à conserver le textile que depuis peu, rares sont les traces qui existent de cette époque et donc je me dois de trouver des choses qui permettent d’illustrer cette période-là et d’être le plus fidèle à ce qu’ils faisaient avec des coutures « primitives », très simples (mais utiles), faites sur le tas avec ce qu’ils pouvaient trouver. Pour le théâtre, le travail de couture est tout aussi exigeant mais tu peux tricher, tu es plus libre étant donné que les spectateurs sont loin des comédiens. Paradoxalement, il faut que le vêtement se voie bien sur la scène, notamment grâce à des tissus, ornements, broderies qui peuvent refléter la lumière, l’absorber. Donc le costume de théâtre c’est quelque chose de très complexe.
Comment se démarquer dans ce milieu ?
Imagine, tu es au Beaux-Arts et du jour au lendemain tu trouves ta voie… tu peux déconstruire tout ce que tu as appris. Les premiers dessins de Picasso étaient ultra-réalistes et il a pensé : « mais au final, qu’est-ce que le dessin ? » L’aspect très technique d’une construction architecturale, (comme l’art tailleur) me passionne et je veux acquérir un maximum de techniques, « savoir coudre », pour ensuite pouvoir me déconstruire. Plus tu sais coudre avec des techniques très carrées et strictes, plus tu peux être libre par la suite. Il faut suivre son instinct, chercher ce dont on a envie, faire les choses comme elles te plaisent vraiment, avec ton cœur, tes sentiments. Être sincère ! J’aimerais montrer que la Haute Couture existe encore et mettre en valeur la variété des métiers de l’artisanat qui y est liée.
Enfin, un souvenir lié à la couture qui te tient à cœur ?
Je marchais dans la rue, portant l’une de mes vestes et une SDF m’a interpellé : « Wow ta veste c’est du Van Gogh ! » Cela m’a énormément touché et c’est à partir de ce moment-là que j’ai vraiment compris que le vêtement peut créer une émotion chez quelqu’un, même si cette personne n’est a priori pas sensible à la mode, à la couture, aux vêtements.
Cette émotion se ressent dans le regard de l’autre.