C’est quelques jours après sa release party au Hasard Ludique que l’on retrouve Nedelko à la terrasse d’un café. Le jeune protégé de L’Animalerie vient de sortir son deuxième album, Urizen, dont l’univers se construit autour d’un personnage tiré de la mythologie de William Blake. Perle de poésie sur beats maîtrisés, Nedelko nous offre un album en mouvement. Croisant des morceaux de pop planante (Sentinelles, L’élastique) à d’autres pouvant prétendre à une BO de film de super-héros (Bienvenue à Néopolis), le rappeur nous entraîne dans une ballade onirique, à la croisée du Château dans le ciel et du rock prog lancinant de Julian Casablancas.
Propos recueillis par Eva Darré-Presa
Comment as-tu commencé à travailler avec L’Animalerie ?
J’ai envoyé un mail à Oster Lapwass, mais pas dans une optique de démarchage. Je lui ai dit “J’ai vu qu’il y a un peu de sang neuf, si vous êtes chauds, moi je fais ça.” C’est un des seuls mails qu’il a ouvert de sa carrière et il m’a dit que le mail était bien écrit et que ça changeait. Il a aimé et m’a dit qu’il était partant pour qu’on bosse ensemble.
J’ai découvert l’Animalerie vers la fin du lycée. Ils postaient des freestyles qui s’appelaient “Chez Lapwass” et tous les membres de l’Animalerie faisaient un couplet sur une prod. J’étais ultra fan ! Vald avait fait 2-3 vidéos avec eux et c’était un peu notre hymne début fac / fin lycée avec des potes. C’était les rappeurs que je préférais en France à l’époque, avec Odezenne qui était très rap à ce moment là.
T’as écouté le dernier morceau d’Odezenne ‘Mamour’ ?
Terrible, j’ai adoré ! Je trouve ça magnifique. Le choix de DA sur les couplets, un peu déroutant, et la voix qui arrive un peu plus claire, qui prend aux tripes. Le clip aussi est magnifique.
Qu’est-ce que tu faisais avant de commencer à travailler avant l’Animalerie ?
J’étais à la fac, en histoire. Je faisais déjà de la musique mais j’y connaissais rien. J’écrivais surtout, je prenais des prods et je m’enregistrais. J’ai fait une école de son aussi, un an après la fac, que j’ai arrêté en rejoignant l’Animalerie.
L’écriture passe avant la musique ? Tu commences par quoi ?
Une mélodie. Souvent j’ai des prods, des boucles. Avant j’écrivais en premier mais maintenant je cherche la belle mélodie qui va aller sur les paroles, une accroche. Je vais d’abord faire du yaourt et ensuite écrire une chanson dessus.
Tu mets combien de temps à écrire une chanson ?
Avant je m’étais très peu de temps, une petite journée. Par exemple Chauve-Souris je l’ai écrite en vingt minutes, elle est pas très compliquée. Ça dépend vraiment. Sur les premiers albums c’était rapide, aujourd’hui c’est plus long parce que je me trouve balourd quand je me réécoute. Donc je fais plus attention, j’essaie d’être plus épuré. Dernièrement j’étais peu inspiré et bloqué par ce projet qui n’était pas encore sorti, là c’est revenu donc je vais écrire plus vite.
Tu fais des recherches quand tu écris ou tu fais appel à ce que tu as en tête ?
Je note des trucs au jour le jour, une phrase ou un mot. Quand je rentre en phase d’écriture je reprends ce que j’ai écrit comme point de départ et ensuite j’essaie de me mettre dans une situation où les mots viennent tout seul.
C’est pour ça que tu écris exclusivement en français ?
Ouais ! Ce sera toujours que français. J’aime trop cette langue, je trouve qu’elle a de belles choses à véhiculer.
Tu viens de sortir ton deuxième album, qui s’appelle Urizen. C’est quoi l’histoire derrière ce nom ? Quel est le message de l’album ?
Urizen c’est un personnage issu de la littérature de William Blake, un poète anglais qui était le premier à faire autant d’allitérations et d’assonances, un peu comme les rappeurs. C’est un personnage qui est l’incarnation de la loi et qui crée l’univers avec son compas et ses outils. Dans le livre d’Urizen, qui est un des passages du Mariage du ciel et de l’enfer, il y a toute une partie où il se fabrique lui-même, où il s’arrache des côtes pour en faire des montages. C’est vraiment très beau, très prenant, à la fois hyper grandiose et hyper douloureux à lire. Sur tout ce que j’avais écrit pour cet album, il y avait vraiment cette idée de vagues. J’avais envie que l’album puisse décrire ces horizons qui grandissent et qui se restreignent. On a d’ailleurs fait tous les visuels avec ce personnage d’Urizen.
Avec qui tu travailles en graphisme ?
Pour la pochette de l’album, c’est Eleonore Wismes, qui est photographe, peintre. Elle fait beaucoup de photos sur lesquelles elle rajoute des aquarelles, beaucoup de corps aussi, et de paysages très contemplatifs. Sinon je travaille avec Yaj qui est mon graphiste, et qui était mon premier ingé son quand j’ai commencé à faire du son et des maquettes et avec qui on a voulu créer des visuels comme on en voyait dans les années 1970, un peu à la Pink Floyd. Mais pour les affiches de concert, pas les albums. Je lui ai dit que je voulais ce genre de visuels pour accompagner la sortie, inspiré des peintures de William Blake.
Comment se passe la collaboration avec Oster Lapwass, comment travaillez-vous tous les deux ? Comment ça s’est poursuivi après ce fameux mail ?
En septembre 2018 je suis allé à Lyon. On allait au studio et chez lui, il me passait des prods et j’écrivais un morceau. On a fait Rhéologie très vite. Avec l’Animalerie, c’est humainement que ça se passe. Alors si ça colle, tu continues à travailler avec eux. Après j’ai de plus en plus suggéré de choses, avec parfois des prods d’autres personnes qu’Oster Lapwass va réarranger, mixer et masteriser. Il fait toute la technique.
Il y a énormément de références littéraires et cinématographiques dans tes textes, de la mythologie grecque à l’animation japonaise en passant par Chris Marker. On sent peut-être même un amour de la poésie, ou du moins des jolis mots.
Un amour des émotions. On dit souvent que c’est compliqué ce que j’écris mais je ne trouve pas. C’est compliqué si tu écoutes pour tout décrypter. Mais quand t’écoutes la musique pour ce qu’elle est, les explications sont dans les émotions. Si ça te fait quelque chose, c’est que t’as compris. Si ça ne te touche pas, c’est pas grave ! C’est l’amour des émotions plus que des beaux mots, mais c’est parce que ça va ensemble.
Tu penses qu’il y a un vrai lien entre rap et poésie ?
Entre la poésie et l’écriture, le rap c’est de l’écriture donc il y a un lien.
On a pu te voir sur scène au Hasard Ludique pour ta release party, comment s’est passée la soirée ?
Plutôt carrément cool. Les gens ont bien kiffé, ils connaissaient les paroles. J’étais très très stressé mais quand je suis monté sur scène, c’est parti extrêmement vite.
Tu peux nous parler de tes premières parties ?
Alors première-première partie, Stav, qui est un artiste que j’aime beaucoup. Il a un projet qui s’appelle Musique de supermarché et avant il avait un projet qui s’appelait Rezinsky, beaucoup plus rap et bien connu dans le milieu underground rap. Il a vraiment une écriture franche et honnête que j’aime beaucoup. C’est un peu sur la vie dans les petites villes, le fait de se chercher et d’avoir envie de devenir une star tout en restant très simple. Et chérir les cercles amicaux, ce qui me touche beaucoup dans son travail.
La deuxième première partie, c’était Olympe, qui est une pote avec qui on a fait Ombre Lune pour le premier album et avec qui on prépare d’autres morceaux. Elle est dans les coups avec moi depuis le début, on l’avait faite jouer à la release party d’Edggar en 2019.
Elle a joué un morceau avec toi sur scène qui s’appelle Comme prévu, qui est beaucoup plus pop. tu as aussi joué des nouveaux morceaux plus pop que rap. Est-ce une nouvelle orientation que tu donnes à ton travail ?
La pop je sais pas mais l’orientation est sur le rock prog. Et dans beaucoup de rock prog que j’écoute, il y a toujours des petits morceaux qui se promènent et qui sont plus calmes et lancinants. C’est un truc que j’aime bien faire. Il y a L’élastique sur mon album qui est comme ça. Ça vient beaucoup de Julian Casablancas que j’aime beaucoup et qui fait des morceaux avec les Strokes comme Call it fate, call it karma. C’est des chansons qui me marquent et qui m’imprègnent beaucoup.
C’est quoi tes références musicales ?
Julian Casablancas, c’est terminé. Je rigole ! Ça a commencé par Pink Floyd quand j’étais très jeune. Puis beaucoup de rap avec L’Animalerie, Odezenne et notamment avec leur nouvelle direction. Julian Casablancas avec les Strokes et The Voidz. Et j’aime beaucoup les ballades rock psyché prog, comme ce que fait Clairo ou Men I Trust.
J’ai l’impression qu’on voit naître une forme hybride entre la chanson et le rap, dans lesquels s’inscrivent par exemple Odezenne, Zed Yun Pavarotti ou Johnny Jane, est-ce que tu te revendiquerais de ce courant ?
Je ne pense pas que ce soit un mouvement, mais plutôt la suite logique de la musique. Il y a des courants qui se sont créés à une certaine époque, nous on est le fruit d’une autre époque donc on a pris plein de trucs. On mélange nos influences. Zed Yun Pavarotti et moi on fera jamais la même chose parce que nos influences sont différentes. Lui il a l’air de beaucoup aimé Oasis, moi c’est un truc que je supporte pas ! C’est la suite de la musique, c’est Star Wars 7, 8 et 9.
Mais est-ce que ça va être bon du coup ?
Je sais pas mais il y aura à boire et à manger. Je trouve ça trop stimulant.
On termine avec une question plus légère de mise en situation : c’est un matin d’hiver à Paris, tu ouvres les fenêtres pour aérer et tu te fais un thé ou un café brûlant. Quel album écoutes-tu ?
Sling de Clairo. Ou la BO du Château dans le ciel.