Un peu avant le confinement j’ai eu la chance d’interviewer Caroline Pichon, une jeune artiste en fin d’études, qui m’a parlé de sa conception de l’art et de son parcours. Une interview qui, je l’espère, en encouragera certains à se lancer dans leur passion.
Propos recueillis par Nina Lachery
Quel est ton processus créatif ? Et quels sont tes médiums préférés ?
Mon processus commence toujours par une rencontre avec une situation, des objets, des comportements qui m’interpellent.
Le premier pas de mon travail, c’est la réalisation de photographies, et le dernier, la réalisation d’une ou plusieurs éditions. Entre deux, c’est plein de découvertes comme la peinture ou la réalisation de vêtements que j’ai commencé récemment. Le médium se choisit en fonction de l’histoire que je raconte.
C’est une démarche très spontanée, j’imagine ?
Oui. Enfin, la plupart du temps. Parce que parfois, c’est sur Internet que je découvre l’histoire que je veux raconter, les jeunes avec qui j’aimerais faire un bout de chemin. Je ne sais pas si on peut parler de spontanéité dans ce cas.
C’est vrai que tu travailles souvent avec des jeunes. Qu’est-ce qui t’attire dans l’adolescence ?
Je pense que c’est un moment particulier, que les sentiments qui animent l’adolescence sont vecteurs, chez certains, de création. Il y a des formes qui résultent de cette transition de l’enfance à l’âge adulte. Les groupes d’ado auxquels je me suis intéressée pour l’instant pratiquent la débrouille. Je trouve ça charmant. Ils investissent les lieux, créent des formes sans trop y penser pour crier au monde qu’ils sont là. Un peu comme les artistes, sauf que les artistes réfléchissent bien trop quand ils sont adultes.
Comment ça a commencé ?
C’est lointain. Je faisais des shootings avec des jeunes de Dunkerque, ils voulaient de jolies photos de profil, puis à force j’ai eu de plus en plus de demandes. Je les voyais investir les lieux qu’on visitait, ça m’a plu. J’en suis à trois projets qui ont engagé autant de groupe différents. Il y aura donc toujours des adolescents, mais peut être que moi je deviendrai trop adulte…
Tu as peur de grandir et de perdre cette spontanéité dont tu me parlais ?
J’ai peur de devenir trop adulte et de ne plus avoir le temps de m’intéresser aux personnes qui sont en marge d’un système, plein d’insouciance. Je sens bien que ma source d’insouciance s’épuise de plus en plus. J’attends d’être devant le fait accompli. Ça va être une grande aventure, je pense.
Qu’est-ce que tu prévois de faire à la fin de tes études cette année ?
En tout cas, je sais ce que je ne veux pas : ne rien faire, me sentir inutile, parce que j’ai besoin de me sentir vivante. En secret, j’aimerais faire des livres, c’est ce que j’aime le plus, je veux qu’on me donne quelques sous pour faire des dos carrés collés. Je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent, mais j’ai besoin de faire des trucs qui me feront me sentir vivante.
C’est un beau projet, tu ferais une très bonne « dos carré colleuse ». Qu’est-ce qui t’as poussée vers l’édition en particulier ?
(rires) J’espère. Déjà, j’aime le fait que la forme puisse se décliner autant, jusqu’à devenir un objet. Le fait que tant le fond que la forme puissent raconter une histoire m’intéresse beaucoup. Ma dernière édition tient dans une boîte d’allumettes. J’adore me triturer l’esprit pour réfléchir à la forme qui dialoguera le plus avec l’histoire. Et j’aime encore plus la produire.
D’ailleurs, peux-tu me parler d’un de tes projets ? Un que tu as particulièrement aimé réaliser ?
Pour mon dernier projet, j’ai vécu dans un petit village de Picardie le temps du solstice d’été. Les jeunes du village ont ajouté une excroissance à la tradition en allant peindre le visage d’autres au charbon des tronçons encore brûlants. Ça ressemble à un jeu, c’est très simple et spontané. Ça donne des scènes très belles et eux aussi sont très beaux, le visage grimé, carrément heureux. Ils ont modernisé une tradition païenne, ils se la sont appropriés.
Tu postes souvent tes photos sur Instagram. Qu’est-ce que tu penses de l’usage des réseaux sociaux par des artistes ?
Je suis souvent horrifiée par certains de leurs aspects. Notamment la présence d’influenceurs. C’est le commerce qui repose sur une personne pour inciter un tas d’autres à consommer qui me dépasse. Tout est devenu un produit. Ça me fait peur mais ça me fascine aussi parce qu’Internet est un espace contemporain qui fait naître des formes inattendues qui m’interpellent souvent. En ce qui me concerne, c’est un bon outil, Instagram me sert beaucoup à faire de belles découvertes.
À la fin de l’année 2020, Caroline sortira, elle l’espère, diplômée de l’École Supérieure d’Arts de Dunkerque. Certains de ses travaux sont déjà disponibles sur Instagram où elle annonce souvent les dates de ses expositions.