Les 2 et 3 octobre se sont tenus les Etats Généraux des Festivals à Avignon, un moment de rencontres important qui a permis de faire le point sur la situation des festivals en France. On le sait, il existe de nombreux festivals sur le territoire français et ils sont primordiaux dans la vie culturelle des territoires. On s’est alors dit qu’il serait intéressant de discuter de la place de ces festivals dans le territoire français avec quelqu’un qui s’y connaissait vraiment. Boris Vedel, directeur général du festival Printemps de Bourges a accepté de répondre à nos questions.
Propos recueillis par Eva Darré-Presa
On en profite pour glisser que l’appel à candidatures pour les iNOUÏS du Printemps de Bourges 2021 est ouvert du 15 octobre au 30 novembre et qu’il est encore temps de candidater pour ce dispositif d’accompagnement musical qui permet de faire émerger de jeunes projets artistiques.
Vous avez grandi en Bretagne, terre de festivals. Pensez-vous que le territoire a eu un impact sur votre carrière et votre amour pour la musique ?
À la consommation de bières, oui, certainement ! Plus sérieusement, oui, c’est une terre de festivals. Aller dans un festival et vivre des temps festifs et musicaux, c’est quelque chose de très normal et de naturel en Bretagne. Donc ça a certainement dû influer sur ma perception d’un festival, à savoir que c’est un rendez-vous culturel, mais aussi de divertissement. C’est surtout un rendez-vous de publics qui ne se connaissent pas, qui ne se fréquentent pas nécessairement le reste de l’année. C’est ce qu’on voit dans les festou-noz. Ça a clairement influencé ma vie.
Quel a été votre premier festival ? À quel âge ?
C’était un festival dans le centre-ville de Landerneau, qui est l’ancêtre du festival Fête du bruit, qui a une programmation assez ambitieuse tous les ans. Mais c’était en même temps que la première édition des Vieilles-Charrues, qui avait lieu dans le centre-ville de Carhaix-Plouguer. C’est un premier souvenir et en même temps, c’est un très bon exemple de ce qu’est un festival sur un territoire, c’est-à-dire l’embryon de ce qu’il est aujourd’hui. Il est parti du cœur d’une petite ville de Bretagne pour devenir aujourd’hui le plus grand festival de France, en entourant la ville puisqu’il entoure le centre-ville.
Le Printemps de Bourges est attaché de par son nom à une ville, comme Avignon ou Arles, donc on conçoit facilement l’importance du festival pour son territoire. Qu’est-ce que cela signifie pour vous, à titre personnel ?
Il faut savoir pourquoi il est né là et pourquoi il reste là. Le Printemps de Bourges est né à Bourges parce que des personnes s’y sont rencontrées, au sein de la Maison de la Culture de Bourges, qui est l’une des premières en France. C’était des gens libres, des cultureux, des gens de gauche. C’était une mairie communiste qui avait envie de laisser les artistes s’exprimer. À l’époque, il y avait une radio et une télé et autant dire qu’ils ne diffusaient pas Renaud, Higelin et ses compères. Ce festival est né de cette envie de mettre en lumière des artistes alternatifs qu’on ne pouvait pas entendre à la télé et à la radio, malgré le fait qu’il y avait le public pour.
Bourges était une mairie communiste, mais assez bourgeoise. C’était une ville qui baissait les rideaux pendant son festival, les gens en avaient peur. C’est un festival qui a aujourd’hui gardé le même ADN, avec, non plus des artistes alternatifs, mais des artistes émergents. C’est un amour qui s’est cultivé et qui s’est construit entre la ville et son festival.
Est-ce que, comme pour le festival d’Avignon, la ville de Bourges dépend en partie des retombées économiques ainsi que des retombées en terme d’attractivité du festival ?
On a fait une étude il y a trois ans, qui a été réalisée par le conseil départemental, pour estimer quel était l’impact financier du festival. Il est très important : on estime que c’est 11 millions d’euros qui reviennent sur le territoire après chaque édition. C’est donc un investissement gagnant sur le territoire puisque des gens viennent, consomment et découvrent le territoire.
Quel est le rapport du festival avec les entreprises et collectivités locales et régionales ?
C’est un festival qui est vraiment intégré à son territoire. Ce que je dis toujours, c’est que les trois faiblesses potentielles du festival sont ses trois forces. On a une saisonnalité pas toujours très évidente. En avril, il ne fait pas toujours très beau. Il y a beaucoup de sponsors qui ne sont pas dans des périodes d’activation marketing donc c’est compliqué pour nous des fois de trouver des partenaires. Ensuite, on a un format avec beaucoup de salles, beaucoup d’artistes, donc qui coûte cher. Mais c’est aussi pour ça que les gens viennent à Bourges, pour découvrir tous les artistes émergents. Et enfin, on a le territoire. On est sur une ville de 60 000 habitants et sur une agglomération de 100 000 habitants. C’est la plus petite agglomération de France. Le département fait plus de 300 000 personnes.
Ça ne nous empêche pas de vendre 80 000 billets, donc on vend autant de billets qu’il y a d’habitants dans la ville, même plus. Et en termes de spectateurs uniques, on vend plus de billets que n’importe quel grand festival français. Dans les grands festivals, c’est surtout les mêmes personnes qui viennent les trois jours. C’est possible en étant très fort sur son territoire. Donc c’est un territoire petit mais le Printemps devient un peu sa Tour Eiffel. Donc de facto, il attend beaucoup de son festival. On travaille énormément avec de nombreux secteurs d’activités de notre territoire. On travaille également énormément sur l’Éducation Artistique et Culturelle avec les acteurs territoriaux parce que ce sont eux qui font le festival. On ne peut envisager un festival dans une ville sans penser au traitement des déchets, à la maîtrise énergétique, à la prévention des risques auprès des populations, les pompiers, l’hôpital, etc. On travaille tout au long de l’année avec eux.
Le printemps de Bourges fonctionne-t-il grâce à du bénévolat ?
Le Printemps de Bourges est une société privée, pas une association. Nous n’avons pas le droit aux bénévoles. Néanmoins, les bénévoles sont remplacés par des gens sous contrat de travail. On travaille essentiellement avec des populations locales, ça dépend des nécessités. Il manque parfois des compétences techniques sur le territoire donc ces gens-là viennent d’un peu partout en France. Par contre, beaucoup de métiers moins qualifiés, moins spécifiques, viennent du territoire, et nous avons même un partenariat avec Pôle Emploi qui nous permettait de recruter 250 personnes en recherche d’emploi sur le temps du festival.
Malgré l’annulation du Printemps de Bourges, qui est habituellement le premier festival de la saison et que vous avez réinventé en Printemps Imaginaire, vous avez réussi à maintenir les iNOUÏS du Printemps de Bourges. Comment avez-vous fait ?
Ce que je dis souvent, c’est que le Printemps, ce n’est pas un festival comme les autres. Les valeurs du Printemps sont « création, découverte, émergence ». Donc cette année, on a fait de l’émergence notre priorité. Le Printemps Imaginaire nous a permis de repenser la sphère numérique en se disant que c’était un lieu de création, d’expérimentation.
Ensuite, le Printemps iNOUÏS était essentiel. Chaque année, on a une promotion de jeunes artistes qu’on découvre sur le territoire. On parle de 4 000 candidatures pour arriver à trente artistes qui deviennent les talents iNOUÏS et qui sont généralement présentés au Printemps de Bourges. Ne pas présenter cette sélection d’artistes aux professionnels, pour nous, c’était inenvisageable. Ça met en péril tout le fonctionnement de l’association Réseau de Printemps qui travaille sur ce repérage, et par ailleurs parce que c’est un crève-cœur de se dire qu’on allait perdre tant de talents. Le métier d’artiste est l’un des métiers les plus difficiles. C’est un vrai pari que peu de personnes prennent. Il faut beaucoup de courage pour le faire. On a donc revu notre présentation des iNOUÏS pendant un festival et on a réaffirmé ces valeurs du Printemps.
En parallèle de l’élaboration de l’édition 2021 du Festival, travaillez-vous sur un plan B au cas où la situation sanitaire ne s’améliore pas ?
Non seulement on travaille sur un plan B, mais aussi sur un plan C, un plan D, un plan E, un plan F et je soupçonne même un plan G. Ça va être très compliqué parce que généralement on lance la commercialisation d’un festival en octobre-novembre. La programmation est arrêtée, on lance la commercialisation et après on aborde le projet au niveau du design. Ce qui est très compliqué, c’est qu’on n’a pas de visibilité à mai 2021. Donc on ne sait pas si on va pouvoir produire des spectacles à 100, 1000, 10 000 personnes, s’ils devront être debouts ou assis, si on va pouvoir avoir du public dans les espaces gratuits, si on va pouvoir maintenir les conférences, etc. Mais comme il faut bien lancer l’aventure, il s’agira de prendre un pari. Chaque festival va prendre un pari sur les conditions sanitaires et légales. Ça va être une décision à prendre en décembre.
Quand on repense un festival, certains peuvent penser qu’on le dégrade, mais ce n’est pas toujours le cas. C’est un consensus sur le nouveau format. Il faut tout remettre sur la table et redéfinir un projet collectif, ce qui n’est pas simple. D’autant plus que la perception du festival est différente d’une personne à l’autre. Ce n’est jamais plaisant de réaliser une version diminuée de son festival. Ce sera donc une version différente du Printemps.
C’est vrai qu’il est important de se réinventer plutôt que de se diminuer.
Je suis complètement d’accord et encore une fois je pense que le Printemps est plus avantagé que les autres. Quand je parle avec mes copains qui ont des festivals, que ce soit Rock en Seine ou Les Vieilles Charrues par exemple, pour eux, c’est beaucoup plus compliqué. On peut faire un Printemps Inouïs, avec de petites salles. On pourrait imaginer plein de choses. Pour les autres festivals, avec des artistes internationaux, quand ils ne peuvent pas accueillir 40 000 personnes, ça ne tient pas debout économiquement. Ou alors ils feront quelque chose de vraiment différent. Mais sait-on jamais, il y aura peut-être un vaccin dans trois mois !
Le Printemps de Bourges est habituellement le festival qui lance la saison et en 2021 vous accueillerez les prochains états généraux des festivals. Qu’avez-vous retiré des états généraux d’octobre ?
Ce que j’en ai retiré, c’est qu’il y a une vraie prise de conscience par le Ministère et par l’Etat de l’importance des festivals. L’outillage construit autour de la crise sanitaire pour le monde de la culture est plutôt important. Je n’ai pas encore entendu parler de festivals qui mettent la clef sous la porte. Au-delà de ça, on se rend compte que quand il n’y a pas de festival, il y a quelque chose en moins. On l’a bien senti, cette prise de conscience de ce qu’apporte un festival sur son territoire et plus généralement pour la communauté. Je dis toujours qu’on peut imaginer des festivals comme des laboratoires, des petites villes expérimentales. Ce sont autant de laboratoires des nouveaux usages, que ce soit social, écologique ou économique. Par exemple le paiement sans contact a été initié dans des festivals. L’interdiction du plastique à usage unique, ce sont les festivals avec les éco-cups. Ça permet à des entreprises de tester de nouveaux produits qui demain changeront nos usages.
Mais c’est aussi des laboratoires de citoyenneté. À travers les nouveaux programmes d’Education Artistique et Culturelle, cela permet de ne pas oublier certains publics qui sont éloignés de la culture. C’est un temps extraordinaire qui permet aux collectivités de retrouver tous les publics.
Vous mentionnez donc la question de l’EAC (Education Artistique et Culturelle). C’est un terme qu’on entend peu dans la bouche des professionnels de la culture. Comment le mettez-vous en place au sein de votre festival ?
L’EAC va être un critère de fléchage sur le soutien des collectivités pour les festivals, avec le développement durable, par exemple. Pour nous, c’est très important puisqu’on est un festival dans la ville. C’est un véritable parcours pédagogique, pas juste un acte de générosité. Par exemple, offrir un billet à l’association Emmaüs, c’est de l’action culturelle. Par contre, rencontrer des compagnons Emmaüs et travailler avec eux sur l’aménagement d’un festival en faisant intervenir des artistes qui vont travailler sur plusieurs journées avec une pratique artistique, ça devient de l’EAC.
On a quatre programmes. Il y a des classes chansons qu’on appelle les Récré-A-Son où un artiste va à l’école pendant toute une semaine et travaille avec des élèves. Ça, on en a quatre. Avec les collégiens on lance une initiative avec OBI et Horizon qui a un projet qui s’appelle Migration Positive. C’est un parcours sur plusieurs territoires, soutenu par plusieurs structures culturelles, dont notre territoire, appuyé par le Printemps de Bourges. Donc ce sera avec les collégiens et avec un public de jeunes migrants isolés. Avec les lycées cette année, on est dans le dispositif Aux Arts Lycéens dans le Centre Val-de-Loire. On innove vers la valeur de création qui est chère au Printemps. On fait intervenir deux artistes rappeurs qui travaillent sur les sons de la terre. On va donc dans un lycée agricole pour enregistrer des sons et créer des chansons. Le quatrième programme, c’est avec le Conservatoire et on fait intervenir des artistes dans des masterclass de musiques actuelles. La plupart du temps, ce sont d’anciens artistes Inouïs qu’on fait revenir sur le territoire, dans une logique de transmission. C’est-à-dire qu’ils ont été Inouïs, ils ont commencé ici, ils se sont professionnalisés et à leur tour, ils reviennent pour transmettre à une nouvelle génération.
Pour revenir aux prochains Etats Généraux des Festivals, connaissez-vous les problématiques qui seront abordées lors des tables rondes en 2021 ?
Non, pour le moment nous en sommes aux considérations techniques et d’agenda.
Vous vous tournez vers le numérique, nouvel espace public culturel, avec la création des interviews d’artistes « Rendez-vous demain ». Quel message essayez-vous de véhiculer pour parler de l’avenir de la culture ?
Ma vision des choses n’est pas tant sur Internet. La question d’internet est ancrée dans le paysage. Néanmoins, ce qui est sûr, c’est que la définition de la musique, c’est l’enchaînement, plus ou moins gracieux, de notes de musiques. Par contre, qu’est ce que la création artistique ? La question est plus complexe. La création artistique va tellement évoluer en fonction du temps, en fonction de l’interaction entre les gens. Rendez-vous Demain, c’est un regard sur la création artistique et sur sa consommation.
À l’époque, on mettait de la musique sur notre walkman. Aujourd’hui, on va sur YouTube et il y a le clip qui va avec. Et même quand il n’y a pas de clips, il y a une image. Ce qui est sûr, c’est que les artistes intègrent vraiment l’image à leur création artistique. C’est la même question qu’on peut se poser intellectuellement. Quand aujourd’hui, on est dans une société de partage, quel est le rapport de l’artiste avec son support ? Certains artistes ne veulent plus de CD ou de vinyles, ou au contraire certains ne veulent que du vinyle. Tout ça est intégré dans la création artistique et c’est le reflet des considérations, des usages, des craintes et des réflexions de notre époque. C’est assez intéressant à explorer et de laisser la parole aux artistes. Et comme ils sont en train de créer et qu’ils sont enfermés dans le présent, c’est intéressant de leur dire « à votre avis dans 10, 20 ou 30 ans, est-ce que vous pensez que vous allez créer différemment ? ». Et beaucoup sont surpris au début par cette question.
Au début, on avait une approche très journalistique et finalement on s’est rendu compte qu’en posant des questions très rapides et furtives, les réponses étaient vraiment en ombre chinoise d’un tableau plus général. Donc la réponse ne vient pas d’une mais de plusieurs personnes et cela donne un portrait de ce que pourrait être la création demain.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un voulant travailler dans l’industrie musicale aujourd’hui ?
Alors si cette personne est étudiante, je lui conseillerais vivement de s’investir dans le milieu associatif puisque c’est quand même pendant ses études qu’elle peut prendre de l’expérience qui fera la différence sur le recrutement. Je conseillerais de bien identifier ce qui lui plait dans la musique. Je vois trop souvent des gens qui ont une idée un peu vague. Si ce n’est pas une passion, ce n’est pas forcément un milieu qui rémunère correctement et il est compliqué. Et finalement, d’être très actif dans son observation. C’est un milieu très divers et riche, qui est à la croisée de beaucoup de choses. Donc de lire, de se renseigner, d’être curieux et attentif.
Question bonus : une chanson à recommander à nos lecteurs pour passer une très bonne journée ?
J’écoute le dernier album des Idles, Ultra Mono. Je ne sais pas quelle chanson mais comme c’est du punk, il faut écouter tout l’album.