Dernier chapitre d’un ambitieux projet placé sous le signe des grands espaces et de l’héroïsme, Arman Méliès clôt sa Trilogie Américaine avec un album de folk crépusculaire où sa voix, libérée, reprend le premier rôle. Bienvenue à Laurel Canyon.
Propos recueillis par Amélie Garnier
« Nul n’imagine ce que c’est de vivre à hauteur de ses rêves ». Fermez les yeux, vous êtes en Amérique, troisième et dernière étape du voyage fantasmé d’Arman Méliès. Laurel Canyon brille d’une folk électrique éclairée des expérimentations de ses deux disques frères : musiques électroniques pour Roden Crater, sorti en mai 2020, post-rock sur Basquiat’s Black Kingdom, publié il y 5 mois.
Quelle est l’idée à l’origine de cette trilogie américaine ?
L’idée est venue assez tardivement, je travaillais sur différents projets de façon parallèle depuis un certain temps et je me suis rendu compte que j’avais un peu de mal à fusionner tous ces projets pour en faire quelque chose de totalement cohérent sur un seul disque. J’ai donc décidé de faire une partition entre les différentes esthétiques sur lesquelles je travaillais et c’est à ce moment la que je me suis rendu compte que les inspirations de ces dernières étaient toutes liées à un lieu situé aux États-Unis.
Il y avait le New York de Basquiat sur lequel je travaillais depuis longtemps, l’Arizona de James Turell où il avait fait une installation monumentale qui m’a inspiré l’album Roden Crater et Laurel Canyon, ce quartier de Los Angeles qui a été le déclencheur du dernier album folk sur lequel je travaillais depuis un an.
Roden Crater et Basquiat’s Black Kingdom nous ont emportés de façon instrumentale. Au contraire, Laurel Canyon est accompagné de paroles. Est-ce une volonté ?
C’est un peu pareil, ça c’est fait non pas par hasard mais au fur à mesure du travail. Le premier sur lequel j’ai commencé à travailler, c’est le Basquiat’s Black Kingdom, je le voulais uniquement instrumental. Le dernier Laurel Canyon, je voulais qu’il soit essentiellement chanté. Il y avait ces jalons qui étaient posés pour définir quelles allaient être les couleurs de ces disques.
Roden Crater, hormis un titre, est aussi instrumental. Là, il y a eu plus de tentatives en essayant différentes formes sur certains titres et notamment en chantant plus, mais ça n’était pas assez probant. Même si c’est le premier disque de la trilogie, c’est pour moi le disque qui fait le pont entre les deux autres. Finalement, je trouvais que c’était très bien de garder le chant essentiellement sur le dernier album.
Pour Basquiat’s Black Kingdom, tu as travaillé avec plusieurs musiciens, est-ce le cas pour Laurel Canyon ? Ou a-t-il été composé et réalisé uniquement en solo ?
Chaque album album possède une configuration différente. Il y a le Basquiat’s Black Kingdom qui a été enregistré dans un studio près d’Angers qui s’appelle Black Box avec Mathieu Pigné à la batterie et Matthieu Forest à la guitare. Pour l’essentiel, j’ai fait quasiment tout le reste des guitares, des basses et les programmations.
Roden Crater, je l’ai fait tout seul de A à Z à la maison, c’était une volonté de chercher autre chose. Il n’y a quasiment pas de guitares dessus, et quand il y en a ce sont des guitares qui ne sonnent pas comme des guitares. Pour le reste ce sont essentiellement du synthétiseur et des programmations. C’était aussi un challenge pour moi de tout faire seul sachant que c’était des instruments que je ne maîtrisais pas forcément. Je trouvais ça intéressant justement de se mettre un peu en danger. Danger, c’est un bien grand mot, mais d’être un peu déséquilibré, de perdre un peu la maîtrise et les automatismes qu’on peut avoir pour essayer d’inventer de nouvelles formes.
Laurel Canyon a été enregistré avec un batteur qui s’appelle Antoine Kerninon et avec lequel je tourne depuis déjà quelques années maintenant. Il connaissait bien l’univers folk un peu abrupt dans lequel je voulais emmener ce disque et il a même vu en partie la naissance de certaines chansons lors de la dernière tournée. C’était donc tout à fait naturel pour moi de continuer avec lui sur cet album. Il y a aussi Maxime Daoud qui à fait les basses et Adrien Daoud avec qui je travaille aussi depuis pas mal de temps qui a fait le saxophone et les claviers.
Quel a été le processus de création de Laurel Canyon ? A-t-il été identique pour les trois album ?
Non, j’ai toujours tendance à écrire un peu de la même façon, mais là c’est sur une période tellement longue et dans des univers qui sont tellement différents que forcément le processus créatif n’a pas été tout à fait le même. La base, qui est de composer à la guitare est souvent là. Ensuite, dans un second temps, se greffent les arrangements. Il n’y a pas vraiment de recette, c’est le fait de jouer quasiment quotidiennement qui fait émerger les idées que je note et qui après évoluent. Et là elles ont évolué de façon un peu plus inhabituelle que d’habitude. En général, ça devient très vite des chansons. Là, il y a des choses qui sont devenues des pièces musicales un peu différentes, un peu hors format, autre chose que de simples chansons.
Est-ce que le confinement et la situation sanitaire ont changé ta façon d’appréhender ton travail, ta façon de composer ou d’écrire ?
Un peu, mais l’écriture des trois albums était terminée et l’enregistrement était lui-même quasiment terminé quand le premier confinement est arrivé. Le résultat final n’a pas été vraiment influencé par ce confinement et la situation très spéciale que l’on est en train de vivre.
Par contre, pendant le confinement, j’ai continué à travailler sur d’autres projets pour le théâtre ou pour moi. Et c’est vrai que, même si quand on est musicien on est souvent quelque part un confiné volontaire, le fait de l’être totalement m’a fait prendre un chemin que je n’avais jamais emprunté. À savoir celui de l’écriture disciplinée, très régulière. Tous les jours, je m’octroyais entre une et trois heures pour faire de la musique dans mon studio. J’enregistrais les idées qui venaient et je revenais dessus quelques jours après. J’ai fait ça pendant deux ou trois mois et c’est vrai que ça a donné des résultats assez étonnants. Ça m’a permis non pas de découvrir des choses totalement inédites dans ma composition, mais de voir que quelque part il suffisait de se mettre au travail pour que très vite naissent des chansons ou de la musique. Il y avait ce plaisir simple de se mettre un peu comme on se met au travail derrière son bureau, comme j’imagine un écrivain doit le faire tous les jours. Il se met devant la page blanche et il écrit la suite de son histoire. Là, il y avait un peu ce processus. C’était quelque chose d’assez plaisant, cette petite routine comme ça où tous les jours naissaient de nouvelles idées, de nouvelle chansons.
Pour Laurel Canyon quelles ont été tes sources d’inspirations ?
C’est avant tout la scène musicale qui s’est déroulée à la fin des années 60 et durant les années 70 à Los Angeles qui a inspiré au départ Laurel Canyon. Il y a eu comme ça pendant peut être une dizaines d’années un quartier qui a été quelque part envahi par les musiciens qui se sont installés dans les collines d’Hollywood et qui ont commencé à travailler ensemble. J’ai utilisé cette scène musicale comme un fil rouge, tant au niveau de la musique qu’au niveau des textes. J’ai cherché à faire des portraits de personnes un peu atypiques et de clochards célestes, qui étaient à la fois des personnages de mon invention mais aussi inspirés par ce mouvement musical né dans les années 1960-70.
J’étais présente au concert du 25 septembre au Théâtre de la Ville de Paris. Comment as-tu vécu cette unique date un peu chamboulée par le contexte sanitaire ?
C’était effectivement assez particulier, mais avant toute chose moi j’étais surtout très heureux de pouvoir enfin jouer. La date était prévue initialement au mois de mars et avait du être reportée parce que c’était le début du confinement. J’ai au moins eu cette chance de pouvoir jouer entre les deux confinements dans un contexte particulier pour un concert ponctuel. J’étais tout de même très heureux de pouvoir jouer avec mes petits camarades, de pouvoir enfin livrer ces morceaux sur lesquels je travaille depuis si longtemps. Et puis tout simplement, c’était aussi un plaisir de retrouver le public et d’échanger comme ça durant une heure ou deux, de jouer de la musique et de ressentir un peu les gens vibrer. De façon très égoïste, c’était quelque chose de très plaisant et d’un peu frustrant puisque qu’on nous l’a très vite retiré à nouveau. Maintenant, il faut prendre son mal en patience pour attendre avant de pouvoir rejouer.
Malgré tout, d’autres dates sont-elles prévues ? Sous quelle configuration comptes-tu partir ?
Oui, dans un premier temps l’idée était de commencer les concerts peu de temps après la sortie de Laurel Canyon. On espérait pouvoir faire des concerts à partir mars. Cela risque d’être compliqué, les concerts ne vont sans doute pas pouvoir reprendre dès mars, mais on espère quand même pouvoir faire quelques concerts en avril ou en mai. Pour l’essentiel, la tournée ne commencera qu’à l’automne, mais ça va arriver relativement vite.
La configuration exacte n’est pas encore définie, mais ce que je sais, c’est que j’aimerais bien une formule à géométrie variable pour pouvoir présenter les chansons sous différentes facettes. Un peu selon mon humeur, le contexte ou le lieu dans lequel je vais jouer, sans doute dans une version parfois très intimiste, sans doute à deux, parfois dans une version plus étoffée à trois et même parfois à un peu plus, comme au Théâtre de la Ville où nous étions cinq.
Comme on ne sait toujours pas quand et où on va jouer alors imaginer, comment on va le faire, c’est un peu flou, mais l’idée ça serait ça. En essayant de privilégier la diversité pour se mettre en danger en permanence et pouvoir offrir des morceaux presque dans des versions différentes chaque soir, pouvoir mettre un peu de fragilité dans tout ça. C’est important d’offrir un peu de fragilité, j’ai envie de retourner vers quelque chose d’un peu plus humain.
Les deux premiers albums ne sont sortis que sur les plateformes numériques, une sortie physique de cette trilogie est-elle prévue ? Si oui, sous quel format ?
Oui, ça sortira physiquement un petit peu plus tard sans doute dans l’ordre inverse de la parution numérique, c’est-à-dire que nous avons Roden Crater dans un premier temps, Basquiat’s Black Kingdom et enfin Laurel Canyon. Laurel Canyon sort fin février en numérique et en CD suivi de très peu par la version vinyle. Un peu plus tard sortira Basquiat’s Black Kingdom et Roden Crater en vinyle, pour que tout le monde puisse opter pour le format qu’il préfère. Je suis encore attaché à tout ça, on essaye de faire des beaux disques, c’est important.
Les pochettes des albums sont magnifiques, un mot sur ta collaboration avec Yann Orhan pour les visuels des trois albums ?
C’est un photographe et un artiste que je suis depuis pas mal de temps, qui a travaillé avec énormément de gens. On s’était croisé à de nombreuses reprises et ça faisait longtemps qu’on discutait et qu’on se disait que ça serait chouette de travailler ensemble. Je voyais par ailleurs qu’il était très pris et ça me paraissait compliqué. Un jour, un peu au bluff, je lui ai demandé simplement. Je lui ai expliqué que je m’apprêtais à faire trois disques, que c’était un projet un petit peu spécial, qu’il fallait trouver une cohérence graphique et esthétique à tout ça. Je lui ai donc demandé si ça l’intéressait et s’il voulait s’y consacrer. On s’est tapé dans la main et c’était parti, il avait carte blanche. C’est un peu compliqué de parler du travail en temps que tel qu’il a effectué sur les albums. Hormis quelques petites consignes et quelques petits détails que j’ai pu lui soumettre à l’origine pour inspirer le début de sa réflexion, c’est vraiment lui qui a planché sur tout ça et qui m’a proposé ces visuels qui sont très beaux. Il a pris quelques semaines pour travailler sur tout ça. Il m’a envoyé le premier projet et ça à été le bon, il avait vu juste.
Après cette Trilogie Américaine, as-tu de nouveaux projets pour le futur ?
Oui, bien sûr, confinement oblige, j’ai écrit pas mal de nouvelles chansons. J’ai parfois tendance à me lasser assez vite de certaines de mes chansons donc j’imagine qu’une partie de celles-ci resteront dans les tiroirs. Cela dit, il y a déjà pas mal de projets en route. Et j’espère pour le coup essayer d’enregistrer plus vite que la dernière fois. Entre les albums, il y avait eu pas mal de temps, parce que j’étais pris par d’autres choses, par des tournées. Mais j’espère vraiment qu’une fois que cette trilogie sera sortie et que je serai sur la route, je pourrai assez vite ré-enregistrer quelques titres pour pouvoir sortir un nouveau disque relativement rapidement.
Un titre ou un artiste à écouter en ce moment ?
Ces derniers temps, je suis pas mal revenu sur le disque de Laura Marling c’est une chanteuse de folk anglaise. C’est très sage et calme comme musique, mais assez épuré et c’est très beau. Elle chante très bien et les textes sont très beaux avec quelques arrangements de cordes. Je l’avais découvert sur son album précédent et c’est vrai que ces derniers temps je reviens souvent sur cet album que je trouve très beau et qui colle bien à cet atmosphère d’hiver un petit peu tristoune.
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