Compliment, nom masculin. Action de féliciter quelqu’un d’un mérite quelconque ; paroles louangeuses, éloges, félicitations.
Article écrit par Imène Benlachtar
Le compliment est jugé comme une action inaliénable à la construction de tout être humain. Musset considère qu’un compliment vaut un baiser, Twain dit qu’avec un bon compliment, il peut vivre deux mois, Valéry déclare que “la plante humaine s’épanouit sous les louanges.” En somme, nous en avons besoin pour nous développer, pour pousser, pour nous aimer. Ce besoin a été matérialisé aux Pays-Bas en 2003, actant le 1er mars comme la journée mondiale du compliment. Le dessein étant de rendre cette journée “la plus positive du monde”. Sur leur site, ils annoncent que le compliment crée un bien-être mutuel, qu’il permet de trouver ce qu’il y a de bon chez les autres et de les rendre heureux. Plus loin, ils offrent une recette magique : “Pour exprimer un bon compliment, rien de plus facile : je décris ce que je vois et j’exprime ce que je sens.”
Complimenter, c’est donc se donner la légitimité de juger ce que l’on voit chez l’autre. Sans que cet autre nous ait manifesté son envie de recevoir notre avis. Cette légitimité apparaît parce que nous avons la sensation de dire quelque chose de positif, d’encourageant. Avec le compliment, nous montrons notre intérêt pour l’autre, notre attention. Vous avez probablement déjà eu des compliments au lycée ? Mieux que des encouragements, moins bien que des félicitations. On vous pousse à aller vers les félicitations, vers le mieux. Les compliments fonctionnent de la même façon, surtout lorsqu’ils se rapportent au physique, au superficiel, on vous félicite d’arriver un peu plus vers la norme, vers ce qu’on attend de vous.
Le compliment est un mot fourre-tout, s’apparentant à une critique, positive, constructive, sur une activité, une création, un travail. S’apparentant aussi à une éloge sur “ce que l’on voit”, une enveloppe corporelle, mise en scène en fonction de ce que l’autre veut bien montrer de lui et de ce qu’il cherche à dissimuler.
La porte ouverte à la tyrannie du compliment peut vite être franchie. On entre dans le calcul de ce que l’on dit, dans la difficulté à accepter que l’autre ne nous rende pas nos mots. On entre dans une obligation à la gentillesse, à la courtoisie, quitte à ne pas le penser.
On peut, à force, faire face à une interdépendance du jugement des autres, de leur avis sur ce que nous sommes, sur ce que nous faisons. On attend la valorisation de l’autre pour se sentir légitime. On devient des mendiants de l’amour, de la reconnaissance. Les réseaux sociaux, particulièrement Instagram, reposent entièrement là-dessus. Très vite dans l’histoire du média, la place à l’art photographique à laisser place à l’art de la plastique. À coup de likes, de followers, de commentaires d’inconnus nous valorisant sur ce qu’ils voient, un corps capturé dans un cadre, on se sent exister. Et plus que tout, on attend ces compliments. Et s’ ils ne viennent pas, on se remet en question. On supprime la photo, en se disant que finalement, on n’était pas si bien dessus. On se fait des nœuds dans le cerveau pour comprendre ce qui cloche chez nous, on passe à la retouche peut-être, pour mieux correspondre aux attentes. On se met à écarter les cuisses pour ne pas montrer qu’elles se touchent, à utiliser des filtres pour ôter les boutons. On entre, à nouveau, dans une mise en scène de soi dans laquelle on a encore plus de pouvoir, encore plus de contrôle. On est flattés d’être complimentés sur du faux, parce que tout ce qui compte, au final, c’est le résultat, pas la démarche.
Chacun a un rapport différent au compliment, certains sont gênés, d’autres sont charmés. Mais ce rapport intrinsèque au compliment, personne ne peut pas l’anticiper. Personnellement, j’ai toujours pris le compliment comme une insulte, comme un mensonge. Adolescente, le moindre éloge me faisait pleurer, j’avais l’impression qu’on se moquait de moi, je me disais que ce n’était pas vrai, qu’on ne pouvait pas penser ça. Les compliments ne flattaient pas mon ego un instant, ils creusaient un peu plus ma difficulté à m’apprécier seule. D’autant plus lorsque ces supposés compliments venaient appuyer des traits d’un physique que j’essayais d’oublier.
Je n’ai jamais bien pris le fait que qui que ce soit soulève une perte de poids. Je n’ai jamais bien pris le fait qu’on me dise que j’étais belle, seulement les jours où j’étais maquillée. Je n’ai jamais bien pris le fait qu’on me dise que j’avais un beau visage, sous-entendu, à défaut d’un beau corps. Je n’ai jamais bien pris le fait qu’on me dise que les formes, c’était joli. Je n’ai jamais bien pris le fait qu’on me dise que j’avais moins de boutons qu’avant. Je n’ai jamais bien pris le fait qu’on me dise que mes cheveux étaient beaux lorsqu’ils étaient lisses.
Je n’ai jamais bien pris le fait qu’on me complimente en comparaison à d’autres femmes, qu’on utilise la carte de la différence, de l’unicité, du mieux et du moins, de la route à suivre et de celle à avorter. Tous ces compliments, que les gens se permettent, sous couvert de gentillesse, sont en réalité d’une violence inouïe lorsqu’on n’est pas disposé à les recevoir. Lorsqu’on tente de dissimuler nos complexes, et que d’autres viennent les pointer, tout sourire, sans penser aux répercussions.
Dans mon esprit, compliment et injonction ne font qu’un, ils se tiennent par la main en sautillant, fiers de cette fausse gentillesse qui nous félicite à l’approche d’une norme tacite. Sans jamais penser individuel, sans jamais penser santé mentale, jugeant tout le monde d’après le même baromètre. Qu’est-ce qui se cache derrière une violente perte de poids ? Quelle pression subit un élève qui ne fait que travailler pour atteindre les félicitations ? On ne pense qu’au Saint-Graal qu’est le résultat, visible sur le corps, concret sur le papier.
On ne pourra jamais s’empêcher de penser, de juger, mais on peut faire le choix de se taire. Le choix de garder son avis pour soi.