À l’heure où la communication va aussi vite que la vitesse de la lumière, il est difficile d’envisager de continuer à s’écrire des lettres. Le format papier est le plus souvent réservé aux publicités, bons de réductions ou feuilles d’imposition, ou alors quand mamie n’a toujours pas compris qu’il ne fallait pas coller son oreille au téléphone pendant un Skype. Malgré tout, 3,5 milliards de timbres sont vendus chaque année, de quoi faire rougir de plaisir les philatélistes.
Article écrit par Eva Darré-Presa
Comme l’explique Morgane Ortin dans son livre Amours Solitaires, la lettre d’amour n’est pas morte. Elle est renaît de ses cendres au travers du SMS, où parfois quelques caractères suffisent à exprimer ce que l’on ressent. La légende selon laquelle nous ne savons plus écrire est fausse. Bien sûr, les images sont de plus en plus présentes et il faut avouer qu’un GIF bien placé vaut mille mots. Malgré tout, le monde continue à s’écrire et à communiquer. L’écriture est simplement passée d’une épreuve de longue haleine à un temps où l’instantanéité est primordiale.
Que les mots se transmettent par textos, WhatsApp, Twitter, Messenger, mail ou même par carte postale, ils continuent de vivre au travers des milliers d’histoires qui débutent et s’éteignent à chaque seconde.
Mais la difficulté et l’intérêt de la lettre réside en ce qu’elle incarne un dialogue avec nous-même. Pas de « lu », pas de réponse du tac-au-tac, plus d’instantanéité. La lettre apprend à faire résonner nos mots, qui ne seront lus que quelques jours plus tard, et si seulement l’on trouve le courage pour l’envoyer.
La lettre est donc destinée à autrui, mais elle peut également l’être à soi ou à son futur soi. Elle figure un moment présent qui n’est plus mais qui représente parfaitement un état d’esprit. Car la lettre est réflexion, temps précieux d’introspection et de recueillement sur soi-même. Prenez, par exemple, les lettres de Pierre Bergé à Yves Saint-Laurent. Il lui écrit ces lettres juste après la mort de ce dernier. Elles sont donc destinées à Yves Saint-Laurent. Mais, en réalité, elles sont un moyen pour Pierre Bergé de faire son deuil et d’exprimer à l’être disparu son amour éternel. Écrire une lettre, c’est écrire à celui qui n’est pas là.
Voilà pourquoi il est beau d’écrire sur du papier. Tout réside dans cet acte symbolique de se confier à un bout de papier. L’investissement que l’on met dans l’écriture d’une lettre est bien plus fort que celui dont on fait preuve en tapant des mots sur un clavier. Car la lettre c’est le plaisir d’attendre, le plaisir de s’ouvrir à l’autre et le désir de découvrir l’autre. Quoi de plus intime que l’écriture ? Il y a dans un premier temps le geste de faire glisser son stylo sur une feuille vierge, la volonté de vouloir coucher sur le papier ce qu’il y a de plus intime en nous. Mais il y a surtout le fait d’en apprendre plus sur l’autre par son écriture. La calligraphie en dit long sur une personnalité ! Elle révèle les failles, les faiblesses mais surtout l’intention qui se cache derrière les mots.
Je pense que le plus important dans cet échange épistolaire, c’est son côté éternel. Combien de lettres d’amour n’a-t-on pas retrouvées entre des poètes et leur(s) muse(s) ? Combien de lettres sont parfois plus fortes que des romans entiers ? Combien ne révèlent pas ce qu’il y a de plus intime chez l’expéditeur ? Pour effacer un SMS, il suffit simplement d’appuyer sur le bouton « supprimer » pour que tout disparaisse. Pour faire disparaître une lettre, il faut y mettre le feu. Et l’acte n’en devient que plus grandiose et ne lui donne que plus de cachet.
Il est d’autant plus difficile de revenir sur ses mots quand on les couche sur du papier. Qui, totalement insatisfait, n’a jamais supprimé un message avant de l’envoyer ? Alors que quand on écrit une lettre, il faut être minutieux et être certain de chaque mot. Ou alors la rature n’en est d’autant plus belle qu’elle est une preuve de remise en question. Qu’elle cache une faute d’orthographe ou bien un changement de direction, la rature est un signe d’hésitation, de doute, de remise en question.
Alors continuez d’écrire, que les mots soient destinés à un être cher ou à vous-même. Continuez de prendre le temps de poser sur le papier vos pensées les plus secrètes. Réapprenez à être patient et à aimer cette attente, si longue soit-elle.
Un grand merci à Margaux Peron d’avoir illustré cet article. Retrouvez ses travaux sur son site ou sa page Instagram.