Il y a encore quelques années, le féminisme était un mot qui faisait peur : synonyme d’hystérie pour certains, de radicalisme pour d’autres, le féminisme n’a pas toujours eu bonne réputation. D’ailleurs, s’en revendiquer revenait souvent à s’exposer à de nombreux préjugés. En cette fin d’année 2020, dans une ère post-#MeToo & Balance ton porc, dans une période de libération des paroles plus forte que jamais, le podcast, média en plein essor, apparaît comme une plateforme privilégiée pour porter le féminisme. En voici quelques exemples (liste évidemment non-exhaustive).
Article écrit par Danaé Piazza
La Poudre (Nouvelles Écoutes) : Boom
Ça évoque quoi pour vous, la poudre ?
Comme un rituel, cette question est celle que l’on attend, impatientes et impatients, à la fin de chaque épisode. Comme une révélation, la réponse étonne toujours. Elle devient une métaphore des personnalités que la journaliste Lauren Bastide reçoit à son micro. Un micro qui retransmet la force des mots, magnifiquement maniés par la voix douce, posée et en colère de Lauren. Un micro qui donne la parole aux femmes aussi, qui les traverse pour mieux les exposer et les dévoiler à la lumière: selon le rapport 2018 du CSA, à la télévision et à la radio, 37% des experts qui interviennent sur des plateaux sont des femmes ; l’année dernière, une étude INA affirmait que la parole des femmes dans les médias était réduite de moitié. La Poudre est féministe. Radicalement. Viscéralement. La Poudre met en exergue les failles de notre système, des évidences qui n’attendaient que d’être démontrées. Si La Poudre évite les invités masculins, c’est d’ailleurs pour inviter les femmes dans l’espace médiatique ; pour les inclure dans l’espace public, pour les représenter dans une perspective féministe intersectionnelle.
Et quoi de mieux que des récits de vie, racontés par les protagonistes elles-mêmes, pour représenter les femmes, pour se rendre compte que « l’on n’est pas la seule ». De Rebecca Zlotowski à Margaret Atwood, en passant par Assa Traoré et Paul B. Preciado, La Poudre a construit une sororité, un espace où les auditrices (mais aussi les auditeurs) ont pu se reconnaître, s’identifier, se libérer. La Poudre est devenue « a room of our own », le lieu de la colère contre le système et celui de l’écoute pour les sœurs; le lieu de la remise en cause de notre condition qui s’empare peu à peu de chacune et chacun de nous ; le lieu de notre reconnexion.
Parce que la voix des femmes est puissante, La Poudre explose, détonne, à l’image des invitées et des causes qu’elle porte à la connaissance de la conscience collective. Il faut dire que le générique, rythmé entre autres par les voix de Christiane Taubira et des partisanes de la Women’s March new-yorkaise, donne le ton de l’émission.
En 2020, La Poudre innove avec une nouvelle version qui se déploiera en conférences au Carreau du Temple. Pour toujours plus d’étincelles flamboyantes.
Ou l’écouter ? Deux fois par mois sur Apple Podcasts, Spotify, Soundcloud, Audible, Deezer, Stitcher.
Où le retrouver ? Sur Instagram @lapoudretv ou sur le site des Nouvelles Ecoutes.
Les épisodes qu’on recommande : l’épisode 19 avec Latifa Ibn Ziaten & l’épisode 76 avec Rachel Keke, parce qu’on oublie un peu trop souvent que les femmes puissantes ne sont pas uniquement des femmes médiatiques.
Intime & Politique (Nouvelles Écoutes) : une éducation à (dé)construire
L’intime peut-il être politique ? La question peut rappeler un sujet de philo. Elle réveille des souvenirs du lycée que nous pensions enfouis au fond de notre subconscient. On pourrait la prendre en rigolant, alors qu’on essaye de conceptualiser les notions, de donner un sens aux mots. Donner un sens à tout ce que l’on aura appris, ingurgité durant de longues années.
Donner un sens à ce qu’elle aura appris. C’est la tâche que se donne la réalisatrice Ovidie dans la première saison d’Intime & Politique : « Juste avant », série documentaire, éclot comme une lettre à sa fille ; cette dernière, du haut de ses 14 ans, nous touche d’ailleurs par sa grande perspicacité.
Prise en étau entre ses convictions féministes et son rôle de mère, la réalisatrice parcourt un véritable cheminement et remet en question l’éducation qu’elle a reçue et l’éducation qu’elle transmet à sa fille. C’est ainsi sa propre éducation, ses propres acquis qu’elle (ré)interroge. Elle, la féministe radicale, elle, qui pensait diffuser un enseignement féministe pour mettre au monde une fille indépendante, cultivée, éclairée. Aurait-elle tout faux ?
Ovidie nous montre que l’intime est politique, que l’intimité entre un parent et son enfant est politique, et que tout reste encore à faire. Un podcast que nous devrions tous écouter, tous autant que nous sommes, pour peut-être construire un monde plus juste.
Un monde plus juste d’ailleurs, qu’est-ce que cela signifie si on exclut, si on marginalise des populations ? Si on ne permet pas à chacun et chacune de s’épanouir dans ses choix ?
De fait, la plupart des reportages sur les travailleurs du sexe (TDS) aiment à les décrire comme des êtres fragiles, forcés à pratiquer leur métier (les bons pensants vous demanderont même si l’on peut appeler cela un métier). Dans « La politique des putes », Océan nous force à voir la vérité en face et nous montre lui aussi que l’intime est politique : parce que quoi de plus intime que le sexe, qu’une relation charnelle où deux corps se rencontrent et entrent en contact ?
Cette deuxième saison d’Intime et Politique donne la parole aux oublié.e.s, aux stigmatisé.e.s, à tout.e.s celles et ceux qui aujourd’hui en France n’ont pas voix au chapitre quant à leur situation professionnelle, quant à leurs droits. À tout.e.s celles et ceux qui doivent subir l’hypocrisie d’une société patriarcale et putophobe. À celles et ceux qui veulent être travailleur du sexe, mais aussi à celles et ceux qui ne le veulent pas. À celles et ceux qui militent, à leur échelle, pour faire évoluer les mentalités et les politiques.
Océan surfe sur une vague d’ingéniosité pour cette série documentaire, ponctuée par des intervenants d’une pertinence juste et incroyable. Être une pute en 2020, c’est politique. Être un.e TDS en 2020, c’est viscéralement politique. Parce que tout est encore à construire.
Cette rentrée, Intime & Politique nous bouleverse et nous éblouit avec un nouveau documentaire « La fille sur le canapé ». Une série menée par la géniale Axelle Jah Njiké sur les violences sexuelles intra-familiales dans les communautés afro-descendantes.
Ou l’écouter ? Sur Apple Podcasts, Spotify, Soundcloud, Audible, Deezer, Stitcher.
Où le retrouver ? Sur Instagram @intimeetpolitique_ne ou sur le site de Nouvelles Ecoutes.
Les épisodes qu’on recommande : tous, mais particulièrement la prochaine série qui sortira sous peu.
Un podcast à soi (Arte Radio) : une chambre féministe pour tous
Parcours initiatique, Un podcast à soi nous emmène en quête de sens dans un monde où le féminisme demeure une nécessité. Héritage de l’écrivaine Virginia Woolf qui publiait en 1929 son œuvre majeure A Room of One’s Own (traduit en Un lieu à soi par Marie Darrieussecq), Un podcast à soi s’inscrit dans la lignée des podcasts féministes intersectionnels.
Menées par la voix de Charlotte Bienaimé, les épisodes sondent tous les aspects aujourd’hui questionnés dans notre société. Du « sexisme ordinaire en milieu tempéré » à la remise en cause de la masculinité en passant par la religion et les violences obstétricales, Charlotte Bienaimé ne résume pas son émission à sa propre expérience : si celle-ci constitue le point de départ du podcast et des interrogations, l’exploration s’étend et intègre de multiples dimensions indispensables à la réflexion sur les questions de genre et d’égalité femmes-hommes.
Un podcast à soi nous offre une immersion dans des questions actuelles, sans gêne et sans tabou. Des questions qu’il nous faut aujourd’hui plus que jamais aborder pour désigner et révéler les travers de nos sociétés.
Ou l’écouter ? Sur Apple Podcasts, Deezer, YouTube, Soundcloud, Stitcher, RSS.
Où le retrouver ? Sur Twitter @unpodcastasoi ou sur le site d’Arte Radio.
Les épisodes qu’on recommande : l’épisode 7 « Femmes noires et flamboyantes » pour penser l’afroféminisme et l’épisode 10 « Ainsi soient-elles, féminismes et religion » sur le lien entre féminisme et religion qui offre un angle trop peu abordé quand on parle de féminisme.
Pour retrouver plus d’articles de Danaé Piazza, rendez-vous sur son blog Map to Map.