Si je vous dis « 82 », que vous évoque ce nombre a priori sans grand intérêt ? Il représente le nombre de femmes ayant gravi ensemble les marches du Festival de Cannes en 2018 pour la projection du film Les Filles du soleil d’Eva Husson. Vous me direz : mais pourquoi ? C’est en réalité tout un (triste) symbole : 82 films seulement ont été à la fois réalisés par des femmes et sélectionnés en Compétition officielle entre 1946 et… 2018. Quant à leurs homologues masculins, le constat est sans appel : près de 2000 films ont été accueillis par les salles cannoises sur la même période.

Crédits : Burst

Article écrit par Julie Guillaud

Mais axons-nous plutôt vers les actrices. Sans surprise, on remarque bien sûr que la sous représentation des femmes dans le septième art ne date pas d’hier. L’organisation de solidarité britannique Plan International ainsi que l’organisme de recherche à but non lucratif Geena Davis Institute on Gender in Media ont récemment publié une nouvelle étude. Intitulée « Rewrite her Story », elle consiste à évaluer la représentation des femmes au cinéma. Les deux organismes se sont ainsi appuyés sur des recherches datant de 2014 afin d’analyser les 56 films ayant fait le plus de bénéfices en 2018 dans 20 pays, occidentaux et orientaux. Résultat sans suspens : 67% des personnages sont masculins, contre 33% de personnages féminins. Les hommes dominent les intrigues quand les leaders femmes ont 30% de chance (si on peut appeler ça « de la chance ») d’être montrées portant des vêtements légers. Quid des femmes intelligentes et efficaces ? Oui, les personnages féminins le sont dans les films, mais la sanction est lourde : elles subissent automatiquement un processus de sexualisation.

Sois belle et tais-toi

Difficile de ne pas remarquer la mise en retrait des femmes à l’écran. D’autant plus si elles endossent un rôle aussi réducteur que misogyne. Le documentaire « Sois belle et tais-toi » de l’actrice, réalisatrice et activiste Delphine Seyrig réalisé en 1977, dépeint une problématique qui est encore on ne peut plus actuelle. À travers vingt-trois témoignages de comédiennes du monde entier, de Jane Fonda en passant par Maidie Norman, le film dénonce l’oppression des femmes dans le monde du cinéma. Quarante ans après, les paroles de Maria Schneider font encore sens. L’actrice mythique du Dernier Tango à Paris (1972) déclarait qu’elle, en tant que femme, se sentait obligée de choisir des rôles de « schizophrène, de folle, de lesbienne ou de meurtrière ». Les interviews de Sois belle et tais-toi démontre également que les actrices, si elles ne sont pas blanches, subissent le racisme de plein fouet. Maidie Norman, une actrice noire américaine, affirmait que les femmes noires sont toujours cantonnées aux rôles de « femmes de ménage ». Ces discriminations sont toujours d’actualité dans le monde du septième art. L’actrice Souheila Yacoub, marquante dans son rôle de combattante kurde engagée dans la lutte contre Daesh dans la série « No Man’s Land », le rappelle avec son franc-parler. « En faisant mes premiers castings, je ne comprenais pas pourquoi on m’appelait pour interpréter des Yasmine ou des Selma. Moi je voulais jouer le rôle principal, une Alice, une Juliette, une girl next door, une amoureuse… Être uniquement dans des films de banlieue… C’est non. Laissez-moi jouer une jeune fille qui a juste des problèmes de cul ! ».

Notre sélection de femmes (très) présentes au cinéma

Invisibles mais loin d’être inexistantes, voici quelques portraits de femmes pour rappeler que le monde du cinéma n’appartient pas qu’aux hommes. Merci mesdames de le rappeler !

Katharine Hepburn

Aucun lien de parenté avec Audrey Hepburn, mais le talent est tout aussi triomphant. Surnommée « Miss Kate », il s’agit de l’actrice la plus oscarisée au monde. À quatre reprises, elle a reçu l’Oscar de la meilleure actrice pour Morning Glory (1933), Devine qui vient dîner… (1967), Le Lion en hiver (1968) et La Maison du lac (1981).

Romy Schneider

La vie de Romy Schneider est marquée de nombreuses tragédies. Décès, dépression, divorces, différents familiaux… Un destin tragique mais une prestance inégalée. L’actrice franco-allemande démarre très tôt dans le cinéma, à l’âge de 15 ans, dont le succès s’est exporté à l’international grâce à son rôle de Sissi, impératrice d’Autriche. À son palmarès, les incontournables La Piscine (1969), L’important c’est d’aimer (1975), Une histoire simple (1978). Ces deux derniers films lui ont valu le César de la meilleure actrice.

Meryl Streep

Iconique dans ses incarnations de Miranda Priestly dans Le diable s’habille en Prada (2006), de Donna Sheridan dans Mamma Mia! (2008) ou de Margaret Thatcher dans La Dame de fer (2011), elle est respectée du grand public et sait se réinventer dans chaque grand rôle qui lui ont été confiés. Parmi ses nombreuses récompenses : Oscar de la meilleure actrice en 2012 pour La Dame de fer, Golden Globe de la meilleure actrice dans un film musical ou une comédie en 2007 pour Le diable s’habille en Prada. En 2010, elle reçoit deux Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie pour Pas si simple et Julie & Julia.

Isabelle Adjani

Entrée à la Comédie-Française à l’âge de 17 ans, Isabelle Adjani n’a cessé de rayonner. L’actrice française fut récompensée cinq fois par le César de la meilleure actrice, un record, pour Possession (1981), L’Été meurtrier (1983), Camille Claudel (1988), La Reine Margot (1994) et La Journée de la jupe (2009). Elle a également été nommée deux fois à l’Oscar de la meilleure actrice, pour L’Histoire d’Adèle H. (1975) et Camille Claudel (1988).

Isabelle Huppert

Impossible de traiter du cinéma féminin sans mentionner Isabelle Huppert. Elle sait passer du coq à l’âne en toute simplicité : si elle joue beaucoup au théâtre, elle apprécie également le septième art, en alternant entre le cinéma d’auteur et les films grand public. En France, elle est l’une des actrices les plus prolifiques avec en moyenne trois films par an. Sa longue carrière d’actrice l’amène à tourner sur tous les continents. Prix au Festival de Cannes, Coupes Volpi à la Mostra de Venise, César, nomination aux Oscars… les récompenses ne manquent pas. Isabelle Huppert est la comédienne la plus nommée aux César avec seize nominations. Quelques films inéluctables : Les Valseuses (1974), La Dentellière (1977), Madame Bovary (1991), Elle (2016), Greta (2018).

 Marina Foïs

46ème maîtresse de cérémonie des César cette année, Marina Foïs ne se cache pas de son caractère totalement affirmé. Habile dans tous les genres cinématographiques, son jeu d’actrice est toujours impeccable. Si sa carrière se lance plutôt dans la comédie (La Tour Montparnasse infernale (2001), Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002), Bienvenue au gîte (2003), RRRrrrr!!! (2004)), elle prend un virage dramatique avec Darling (2007) et Polisse (2011). À côté du cinéma, Marina Foïs est une personnalité très engagée. Elle est membre du collectif 50/50, promouvant l’égalité des femmes et des hommes et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel.

https://twitter.com/foismarina/status/1362689124076027911

Lupita Amondi Nyong’o

À 38 ans, l’actrice mexico-kényane détient un sacré curriculum vitae. Son interprétation de jeune esclave dans 12 Years a Slave (2013) a été largement récompensée dont la plus ultime d’entre toute : l’Oscar, dans la catégorie « Meilleure actrice dans un second rôle ».

Elle intègre deux franchises notables dans l’histoire du cinéma : Star Wars et Marvel. Lupita joue le rôle de Maz Kanata dans trois volets de la saga de George Lucas entre 2015 et 2019. Aux côtés du défunt Chadwick Boseman, elle incarne Nakia pour Black Panther (2018). À l’occasion de la sortie du blockbuster, elle offre 600 places de cinéma aux enfants du village kényan où elle a grandi.

Zendaya

La pépite de la génération Z. Sublime dans ses interprétations aux genres cinématographiques pluriels, de Spider-Man: Homecoming ou plus récemment dans The Greatest Showman et Malcolm & Marie, son talent est unique et son authenticité implacable. Le bébé Disney est monté en puissance ces dernières années, notamment pour son rôle de Rue dans la remarquable série Euphoria. À 24 ans, elle a déjà tout d’une grande actrice. Dont la maturité. Si la production Netflix dans laquelle elle apparaît, à savoir Malcolm & Marie, aux côtés de John David Washington, a été critiquée, elle a su prendre position au débat. Le reproche ? Un film co-produit par un réalisateur blanc, mettant en scène un couple afro-américain. L’écriture du film ne passe pas auprès du public. Zendaya a su remettre les pendules à l’heure, en expliquant très clairement qu’elle et son complice à l’écran avaient participé activement à la production du film. Récompensée à foison lors des cérémonies des Teen Choice Awards ou des People’s Choice Awards de ces dernières années, une nomination aux Oscars est tout à fait envisageable pour ce jeune talent. Zendaya est très engagée quant au manque de représentation des femmes noires dans le cinéma américain. Elle est très fière de son afro-américanité et en parle avec humour.

Lucy Liu

Sa carrière a connu une perte de vitesse durant les années 2000. Pourtant, Lucy Liu n’est pas une actrice à prendre à la légère. Son succès démarre avec le petit rôle qu’elle décroche pour la série culte Beverly Hills 90210, mais également Urgences et X-Files. La drôle de dame s’impose en force en 2000 aux côtés de Cameron Diaz et Drew Barrymore dans Charlie et ses drôles de dames (2000), un succès mondial. Elle s’impose dans le premier volet de Kill Bill (2003) pour le rôle de la tueuse tueuse O-Ren Ishii, qui lui vaut un MTV Movie Award. Sa présence à la télévision renaît de ses cendres en 2019, où elle endosse un premier rôle dans la peau de Simone Grove dans la série Why Women Kill de Marc Cherry, créateur de Desperate Housewives. La série est un franc succès. Elle est également productrice de The Road to Traffik, un reportage pour sensibiliser sur la traite des humains en Asie.

Laverne Cox

La reine des premières fois. Première femme transgenre à faire la page du Time Magazine en 2014, la première a être nommée aux Emmy Awards, la première à être élue « Femme de l’année » par le magazine Glamour… En 2012, elle incarne Sophia Burset dans la série Netflix Orange Is the New Black, un personnage qui lui va comme un gant : l’histoire d’une femme née dans un corps d’homme incarcérée au pénitencier féminin de Litchfield. Elle est bien plus qu’un rôle principal dans une série à succès. Véritable icône de la communauté LGBT+, Laverne Cox ne se laisse pas marcher dessus et se mobilise face à la recrudescence des violences faites aux personnes transgenres. Elle soutient Citibank, qui permet aux personnes transgenres ou non-binaires d’utiliser le nom qu’ils ou elles ont choisi sur leurs comptes et leurs cartes bancaires. « Je sais qu’en tant que personne trans, avoir des documents d’identité qui ne correspondent pas à ce que nous sommes peut aussi engendrer un problème de sécurité », explique l’actrice au HuffPost. Elle a aussi lancé l’action True Name, souhaitant promouvoir la reconnaissance des noms choisis par les personnes transgenres pour se représenter.