Octobre 2017, il y a un an. Le mouvement #MeToo commence à se faire entendre. Un véritable raz-de-marée de colère et de frustration s’abat sur les réseaux sociaux. Des milliers de femmes, d’abord aux États-Unis puis ailleurs, font entendre leur voix, témoignant du harcèlement sexuel qu’elles subissent et du besoin d’un véritable changement culturel et social. Un an après, où en sommes-nous ? Quel impact a eu, ou continue d’avoir, ce mouvement ?
Article écrit par Noémie Farcy-Michel
Les débuts de #MeToo
Le mouvement #MeToo commence en octobre 2017, peu après le dépôt de plaintes pour viol et harcèlement sexuel par une douzaine de femmes contre le producteur américain Harvey Weinstein. L’actrice américaine Alyssa Milano appelle alors toutes les femmes ayant été agressées ou harcelées sexuellement à raconter leur expérience en utilisant le hashtag #MeToo, en soutien aux victimes de Weinstein. Dès lors, c’est l’explosion. 24h après le lancement de #MeToo, 4,7 millions de personnes témoignent sur Facebook en utilisant le hashtag. Encore aujourd’hui, de nouveaux témoignages venant de divers endroits dans le monde s’ajoutent quotidiennement à cette longue liste. En 2017, les femmes du mouvement #MeToo ont été nommées “personnalités de l’année” par le magazine Time et rebaptisées “Silence Breakers” (Briseuses de Silence), symbole de l’impact que ce mouvement a eu et continue d’avoir.
Un an après, quel bilan ?
Le mouvement #MeToo s’est propagé dans 85 pays à travers le monde et a ouvert la porte à une discussion sur l’importance du consentement dans les rapports sexuels et la manière dont les femmes sont traitées dans l’espace publique.
En France, le mouvement a fait beaucoup de vagues. Nombreux ont été les articles s’inquiétant d’une prétendue guerre des sexes à venir, et appelant au calme et au recours aux institutions juridiques plutôt qu’à la dénonciation sur les réseaux sociaux. En janvier, une centaine de femmes, dont certaines personnalités comme Catherine Deneuve, Élisabeth Levy, Catherine Millet et Brigitte Lahaie, publiaient dans Le Monde une tribune défendant “Le droit d’importuner” et accusant le mouvement #MeToo ou #BalanceTonPorc d’être une atteinte à la liberté sexuelle et un danger pour les relations homme-femme. Cet été, la proposition de loi de Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, visant à punir d’une amende le harcèlement de rue, a été acceptée, mais de grands doutes sont émis quant à son efficacité sur le terrain. En effet, il est loin d’être certain qu’une sanction émise seulement si l’auteur du délit est pris sur le fait puisse transformer des comportements profondément ancrés dans notre société. Plus inquiétant encore : alors qu’en dix ans, et notamment à la suite de l’affaire Weinstein, les plaintes pour viol ont augmenté drastiquement, le nombre de condamnés pour viol a chuté de 40% du fait de la “correctionnalisation” utilisée par les parquets et juges d’instruction afin de rediriger des plaintes vers des tribunaux correctionnels en déqualifiant un viol – un crime – en agression sexuelle – un délit –, les jurés d’assises étant trop couteux pour l’État.
Aux États-Unis, le constat n’est pas plus glorieux. Si Harvey Weinstein a été reconnu coupable de viol et harcèlement sexuel, il a cependant pu échapper à la prison moyennant une copieuse caution d’un million de dollars. Il s’en tire avec une peine beaucoup plus légère que les 25 années de prison prévues par la loi : le port d’un bracelet électronique, et des déplacements limités aux États de New York et du Connecticut. En juillet, Donald Trump annonçait son choix de nommer Brett Kavanaugh à la tête de la Cour Suprême des États-Unis. Après cette annonce, la Professeure de Psychologie Christine Blasey Forde a contacté la presse et confié que Brett Kavanaugh avait tenté de l’agresser sexuellement lors d’une soirée lycéenne dans les années 1980. Malgré des témoignages accablants et la présence de deux femmes accusant Kavanaugh de charges similaires, le Sénat a élu Kavanaugh à la tête de la Cour Suprême des États-Unis le 6 octobre dernier, montrant une fois encore que la parole des femmes reste bien faible face à celle des hommes de pouvoir.
S’il est vrai que la parole s’est libérée et que les plaintes pour harcèlement sexuel, agression sexuelle ou viol se sont multipliées en France et ailleurs, nous sommes encore loin de voir de véritables changements de société. Pire encore, il semble que la parole se soit libérée en majorité pour des femmes privilégiées, avec un important capital social, culturel et économique qui leur permet de s’exprimer avec moins de chances de représailles et plus de chance d’être facilement entendues. Pour les femmes venant des minorités visibles ou des classes populaires, il est difficile de dire que le mouvement #MeToo ait changé quoi que ce soit, même lorsqu’elles décident de témoigner et de porter plainte malgré les risques qu’elles encourent – chômage, violences physiques, etc. Elles se heurtent souvent au silence des institutions, voire à leur mépris total pour la situation dans laquelle elles sont.
#MeToo, une lueur d’espoir
Malgré ces signaux négatifs, le mouvement #MeToo a engendré un véritable électrochoc dans la société. Grâce à la mobilisation sur les réseaux sociaux, les associations contre les violences faites aux femmes sont parvenues à être plus connues du grand public. Ce faisant, les femmes victimes de violence sexuelles, psychologiques et/ou physiques sont informées des structures en place pour les aider et ont davantage tendance à les contacter en cas de besoin. Ces associations sont particulièrement importantes pour les femmes qui connaissent peu le système judiciaire et se méfient des institutions d’État.
À l’international, le mouvement #MeToo continue de s’étendre. En janvier, la BBC mettait en ligne un article témoignant du début d’un mouvement similaire en Chine émanant des universités. En Inde, depuis octobre, les actrices de Bollywood s’insurgent contre le harcèlement sexuel constamment présent dans l’industrie cinématographique en Inde. Des plaintes pour viol ont également été émises.
En France, si le mouvement #MeToo n’a pas encore été capable de visiblement et durablement changer la manière dont les femmes sont perçues, entendues et traitées, il a cependant empêché la société française de continuer à fermer les yeux sur les violences subies par les femmes de tout milieux sociaux, toutes professions et toutes ethnicités. Il a en effet ouvert un véritable dialogue et permis aux associations de faire entendre leurs voix plus fort que jamais auparavant. La parole fait maintenant face aux institutions d’État et nous sommes dans l’attente d’une réaction de leur part : les associations ont besoin de moyens, les agresseurs doivent être punis, les victimes entendues, la police formée. Le nombre de témoignages ne cesse de grandir, et chacun d’entre eux est un point de pression de plus qui, je l’espère, contribuera à terme – que ce soit dans cinq, dix ou cinquante ans – à un véritable changement social et à des relations respectueuses et égales entre genres.