Réel événement cinématographique, Mank, le dernier film de David Fincher, est attendu sur petit écran le vendredi 4 décembre, puisqu’il sera uniquement disponible sur Netflix.
Article écrit par Justine B.
Tout le paradoxe est là : déjà qualifié de déclaration d’amour au cinéma, il ne sortira pourtant pas dans les salles obscures. Impossible de le nier ; si au départ je fustigeais le fait que les cinéastes que j’admire se livrent corps et âme au géant de la VOD, je me suis adoucie sur le sujet depuis quelque temps. Sans l’avoir encore vu, j’espère vous rendre curieux de vous livrer à l’expérience cinématographique que sera assurément Mank.
Dernièrement, le noir et blanc semble être un atout de choix pour les réalisateurs qui ambitionnent de redorer le blason du Cinéma avec un grand “C”, ou bien de lui rendre des hommages assumés : on se souvient de The Lighhouse (R. Eggers, 2019), avec Robert Pattinson dans le rôle surprenant d’un gardien de phare sujet à une folie grandissante, mais aussi de Roma (A. Cuàron, 2018), dont on se rappelle la polémique suite à sa diffusion uniquement sur Netflix tandis qu’il était en lice pour les Oscars. Et depuis le ton a bien changé, puisque de nombreuses œuvres ont trouvé leur place sur la plateforme malgré des critiques parfois tièdes.
Six ans après Gone Girl, le très attendu David Fincher vient aussi bien boucler l’année cinématographique 2020 que boucler une histoire de longue date. Non, le 4 décembre ne sera pas la sortie de la deuxième saison de Mindhunter, mais celle d’un film prenant place aux côtés des magnats d’Hollywood dans les années 30 intitulé Mank d’après le surnom de son protagoniste.
Le casting annonce la couleur, avec des acteurs choisis pour coller au plus près des personnalités de l’époque tels que Gary Oldman, Amanda Seyfried, Tom Burke, Lily Collins ou encore Charles Dance. Le tout en noir et blanc façon pellicule à l’écran et son en mono, s’il-vous-plaît !
Pour répondre à cette esthétique destinée à nous renvoyer dans ce temps béni du cinéma, Netflix a même organisé avec la Cinémathèque française une avant-première virtuelle quelques jours avant la sortie que certains chanceux pouvaient gagner, avec une invitation sous forme de télégramme :
Dans un contexte où les salles de cinéma demeurent closes, Mank apparaît comme l’ultime film qui pourrait marquer cette année en dents de scie, d’où l’effervescence qu’il provoque depuis quelques semaines. Au beau milieu des films qui peinent à se réinventer, Mank fait du neuf avec du vieux et replace au centre de son propos un élément que l’on a souvent tendance à oublier alors qu’il est essentiel, l’importance du scénario.
C’est à partir de ce processus créatif que naît l’intrigue du film, l’histoire de l’écriture de l’œuvre mastodonte Citizen Kane, entré dans les lettres de noblesse du 7e art et dirigé par la main de maître du réalisateur Orson Welles. Film resté célèbre pour avoir été assez souvent taxé de « meilleur film de tous les temps » par de nombreuses institutions et critiques au fil des années.
Et si derrière chaque grand auteur se dissimulait un grand scénariste que l’on ignore ?
1940 : La RKO Pictures donne carte blanche à un jeune prodige d’Hollywood de 25 ans nommé Orson Welles (interprété par Peter Burke). Celui-ci fait appel à un scénariste génialement dépravé, Herman Mankiewicz (interprété par Gary Oldman), et frère aîné de Joseph Mankiewicz, qui accepte tant bien que mal de terminer l’écriture du script en 60 jours sans être mentionné au générique. En somme, une plongée dans le système d’un Hollywood en pleine Grande Dépression où magnats et grands manitous de la production et de la presse agissaient bien souvent pour servir la propagande au détriment de l’aspect artistique.
On connaît l’intérêt que Fincher porte aux héros orgueilleux qui révolutionnent à leur manière le monde qui les entoure (The Social Network, Fight Club) ou encore au rôle de la presse et des médias pouvant agir de façon écoeurante (Zodiac, Gone Girl). Mank met au cœur de son récit un homme de l’ombre, alcoolique, joueur, dédaigneux de sa profession et pris en tenaille face à la transformation sans précédent du cinéma en industrie de masse.
À l’heure où les cinémas vont bientôt rouvrir, Mank aurait pu ne pas sortir uniquement sur la plateforme américaine et attendre encore un peu dans les tiroirs. C’était sans compter sur Fincher, qui attendait depuis les années 1990 de tourner ce récit écrit par son père Jack Fincher maintenant décédé. Autant d’éléments qui démontrent que le cinéma a su et a pu se réinventer à l’épreuve de la crise sanitaire, les moyens techniques de la plateforme permettant tout de même un visionnage optimal pour ce genre d’œuvre.
C’est cet effort particulier apporté à la réalisation et au design sonore qui me fait me dire que, oui, j’ose espérer que les personnes derrière les plateformes portent un amour certain pour le cinéma et espèrent toujours le faire vivre différemment, soucieux que le public découvre des œuvres qui n’auraient peut-être jamais pu voir le jour autrement, même s’il s’agit de les regarder sur un écran 15 pouces ou par le biais d’un rétroprojecteur.
Mank a l’air de réunir tous les aspects d’une véritable déclaration d’amour à la création cinématographique, allant au-delà d’un simple portrait d’époque. Un avant-goût certain du plaisir que nous aurons à revenir dans les salles obscures pour voir se relancer la “machine à rêves”, cette fois-ci moins seuls face à l’écran.
Pour aller plus loin :
Ils m’aimeront quand je serai mort (2018), 1h38, réalisé par Morgan Neville.
Documentaire qui revient sur la décadence d’Orson Welles dans le milieu hollywoodien ainsi que sur la genèse de son dernier coup d’essai The Other side of the wind, film maudit et inachevé.