Chère maman,
Dimanche. 12h45. Tu m’appelles. Tu me donnes des nouvelles de la maison. Alice grandit bien. Papa vieillit mal. La voisine te demande ce que je deviens. Elle a encore oublié que je vivais à Montréal depuis trois ans. Vous déménagez mes affaires d’enfant dans la maison de vacances. Vous voulez les garder pour mes futurs bébés.
Article écrit par Lucie Besson
Je t’explique que je ne veux pas d’enfants et que ça ne changera pas d’ici 20, 30, 40 ou 50 ans. Comme d’habitude, tu ne comprends pas.
Tu m’as appris que les paroles s’en vont, seuls les écrits restent. Alors je vais suivre ton conseil pour expliquer les sentiments de non-maternité qui animent mon cœur et celui de milliers d’autres jeunes femmes.
À l’époque où je croyais encore au prince charmant, les enfants naissaient dans les choux. Avec mes Barbies et ma dinette, je rêvais d’une famille nombreuse. Je te disais naïvement que je voulais cinq enfants. Tout me paraissait si facile.
À 12 ans, je te vois enceinte d’Alice. Neuf mois de gestation dans ton ventre. Je découvre à tes cotés ce qu’est une femme enceinte. Progressivement, ton ventre s’arrondit. Bientôt tu ne peux plus aller travailler. Souvent tu es trop fatiguée pour te lever du lit. Puis tu accouches. Je te vois allongée dans un lit d’hôpital et avec une perfusion dans la main droite, je suis bien loin des enfants dans les choux. J’en fait un malaise. D’un air las, tu es heureuse et épuisée.
Alice grandit, c’est un bon bébé et huit ans plus tard c’est une belle petite fille. Progressivement je découvre ce qu’est une mère. C’est l’âge des premiers gazouillis, des grands sourires, des premières dents de lait, des premiers mots, des premiers pas. Tout d’un coup, tendresse et amour envahissent la maison. Doux foyer s’organise.
Mais au-delà de tous ces instants de lumière, qu’est-ce que ça implique d’être mère ?
Être mère c’est avant tout avoir un enfant. Biologiquement, c’est un être humain qui grandit pendant neuf mois dans le ventre de la mère, un ventre qui s’arrondit de plus en plus jusqu’à ne plus pouvoir marcher, des seins qui se remplissent de lait maternel, des nausées du bas-ventre jusqu’à la gorge, des douleurs dans tout le corps, une fatigue permanente, un congé de maternité épuisant, des kilos en plus, puis une grande aiguille plantée dans le bas du dos, des cris, des contractions, et un enfant qui sort du vagin. Par adoption, ce sont des mois de procédure, du stress et beaucoup d’argent.
Puis la couche de bébé doit être changée, ses pleurs essuyés, ses cris consolés et ses vomis épongés.
Bientôt bébé grandi, il faut se lever avant tout le monde pour réveiller l’enfant chéri, lui faire à manger, le laver, faire son cartable et le conduire à l’école.
Sept heures de travail plus tard, l’enfant doit être récupéré à son école. Il faut faire ses devoirs, lui faire à manger, lui lire des histoires, lui apprendre la vie et le mettre au lit.
Demain et le jour d’après seront identiques.
Bientôt l’enfant devient adolescent. C’est beaucoup plus d’argent dépensé. Ses fournitures, ses jouets, ses livres, ses vêtements, son école puis ses études.
Beaucoup de temps, d’argent et d’énergie lui sont consacré. Pendant ce temps, maman sacrifie ses envies, ses besoins, ses intérêts, ses plaisirs, ses joies et son travail. Être mère c’est s’oublier soi-même pour se consacrer à plus petit que soi.
Mais est-ce que j’ai envie de sacrifier mes joies, mon énergie, mon temps et mon travail ? La réponse est non. À 30 ans, 40 ans, 50 ans et le restant de mes jours, je veux me consacrer à mes passions. C’est peut-être une vision du bonheur très égoïste selon toi, maman, toi qui m’as tout donné. Mais je sais que je ne serai pleinement heureuse qu’en me consacrant à ce qui me procure le plus de bonheur. Je veux consacrer ma vie à ce qui me rend heureuse.
Aujourd’hui, ne pas être mère, c’est courir le risque d’être perçue comme une vieille fille, une femme de basses mœurs ou presque une sous-femme. Entre vierge et putain, celle qui n’a pas d’enfant est la sorcière ou celle qui a échoué sa vie. Comme si la grandeur d’une femme et la réussite de sa vie ne pouvaient passer que par l’enfantement. Comme si la maternité était la seule issue à la vie d’une femme. Avoir un enfant c’est avant tout une possibilité du corps féminin. C’est une fonction qui peut être utilisée ou non. Comme toute possibilité, c’est à la femme de choisir ou non de l’explorer.
Maman, j’ai toujours été fascinée par tout ce que tu as fait par amour pour Alice et moi. Tu as tout sacrifié, tout ton temps, toute ton énergie, toute ta carrière et tout ton argent pour nous élever. Je t’en serai éternellement reconnaissante. Je sais que je ne prendrai pas le temps ni l’énergie de faire ne serait-ce que le dixième de tout ce que tu as fait pour Alice et moi. Je veux consacrer mon temps, mon énergie, mon travail et mon argent à ce qui me rend le plus heureuse. Si je partage ma vie avec un homme, il devra respecter mon choix ou il partira. Mais je ne me conformerai pas à son choix uniquement pour lui faire plaisir. Je préfère suivre mes choix plutôt que ceux de mon compagnon de vie. Je préfère ne pas être mère plutôt qu’être une mauvaise mère. Je préfère ne pas avoir d’enfant plutôt qu’avoir un enfant malheureux.
Ce n’est pas « dommage » ou « décevant », c’est simplement un constat honnête sur ce qu’est la maternité et ma vision d’une vie réussie. J’aurais réussi ma vie si au moment de ma mort, j’aurais consacré tout mon temps et toute mon énergie à ce que je voulais faire sur cette terre.
Malgré nos différences, je t’ai toujours aimée et respectée. Je serai toujours là pour toi et je t’aimerai toujours. Alors même si c’est sans doute difficile à vivre pour toi, je veux que tu saches, maman, que je serai heureuse.
Ta fille, Claire.