Depuis octobre, les salles de théâtre, et autres lieux culturels, ont fermé sans préavis. Cette fermeture a mis toustes les travailleurs.euses au chômage partiel, à nouveau. Elle a mis, à nouveau, un coup de massue à toustes celles.eux qui rêvent de la scène et qui évoluent dans des écoles, dans des conservatoires, chez elles.eux, pour la fouler. Cette fermeture a été un nouveau pied de nez de la part d’un gouvernement faisant sa sélection entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Informant cette jeunesse en dernier lieu que leurs rêves et désirs ne seraient plus recevables, pouvaient attendre.

Crédits photo : Imène Benlachtar

Article écrit par Imène Benlachtar 

L’occupation du théâtre de La Colline, par les étudiants, a débuté le 9 mars. À force de dialogue, leurs revendications ont évolué. À l’aube de la réouverture des lieux culturels, les salles de théâtre ne vont pas rouvrir, les occupations vont perdurer. Après ces deux mois passés en communauté, à discuter, à penser au refondement du plateau, du sacro-saint théâtre, une simple ouverture ne peut plus suffire. 

Dimanche 9 mai. J’arrive devant le théâtre. La dernière fois, il y a plus d’un an, c’était pour Madre d’Angélica Liddell. La dernière fois, il y avait du monde dans la rue, des personnes faisant l’inventaire de ce qu’elles allaient voir dans la semaine, le journal La Terrasse à l’appui. Odéon, La tempête, Théâtre du Soleil, MC93, La commune… Les noms des salles, qui abritaient au même moment d’autres corps, d’autres visions, fusaient. Ce dimanche 9 mai, la rue Malte Brun est déserte. Il pleut, le bruit des voitures tournant à Gambetta se fait entendre, mais face au théâtre, le silence. Aucune lumière, à part le M luisant de MacDonald qui se fait voir, par effet de reflet, sur la façade du théâtre. Comme une ultime ironie. Des occupant.e.s arrivent. Ce soir est important. À dix jours de la réouverture des lieux culturels, iels doivent décider de comment continuer l’occupation. Iels se connaissent toustes maintenant, certain.es me disent qu’iels sont là depuis le premier jour, d’autres depuis mi-mars, certain.es depuis deux semaines. E. m’explique qu’il ne faut surtout pas que j’hésite à prendre ma place dans l’agora, que toute parole est légitime, que c’est un lieu profondément bienveillant, ouvert à toustes, et que l’entièreté des points de vue est nécessaire pour avancer. Certain.es, comme E., ont fait un tour des théâtres occupés de la région parisienne, et de France. Il est convaincu que c’est important d’avoir un lien avec les autres lieux d’occupation, de voir comment iels procèdent. Malgré tout, la plupart des premier.es occupant.es reviennent toujours vers La Colline. Cette salle nationale devient le symbole, avec l’occupation, de la place de la jeunesse dans les luttes. La jeunesse dans sa pluralité. Des étudiant.es en droit se mêlent à celles.eux en théâtre, musique, cinéma. La diversité de leurs voix fait écho dans la grandeur du lieu occupé. 

Un théâtre est un champ d’horizon sur la vie, il est l’entrée dans un monde déployé par une vision, par une idée, pour parler de nos viscéralités plurielles, pour parler de nos sociétés. Un théâtre est également un lieu codé. Dans lequel on entre avec sa place, on s’assied à un numéro attribué, placé par des ouvreur.euses à qui le pourboire est interdit. C’est un lieu dans lequel on doit rester en silence, spectateur.rices d’un plateau, de corps mouvants sur celui-ci, lorsque le nôtre doit rester figé pour ne pas déranger. C’est un lieu où les lumières s’éteignent pour nous indiquer la fin et entraîner les applaudissements. Un rappel, deux rappels, trois rappels, tout le monde se lève et rentre chez soi. Iels ont décidé d’y rester, d’occuper cet espace codé, pour se l’approprier. La direction de La Colline ne leur donne l’accès qu’au hall du théâtre, la cuisine y compris. Les deux salles, la librairie, restent closes. 

Après des cigarettes dans la rue, on se dirige vers l’entrée. Les agents de sécurité, présents de façon permanente, nous laissent pénétrer dans le lieu. A. qui est présente depuis le début, nous fait une visite. Ce lieu commun, dans lequel j’ai vu des dizaines de pièces, m’apparaît totalement transformé. Ce changement est ambiant. Des pancartes, des dessins trônent dans le hall. Des tables sont unies pour créer un grand espace dédié aux agoras. A. nous montre où sont les feuilles, les crayons, on peut se sentir libre d’écrire ce qu’on veut, que cela soit des mots doux, des revendications, ou même, anonymement, le nom d’une personne que l’on sait pas safe et qu’on ne voudrait pas voir arriver à La Colline. Bienveillance comme mot d’ordre. Dans l’entrée des toilettes, une boîte pleine de protections hygiéniques, savon, shampoing est posée, chacun.e s’y sert, en fonction de ses besoins. 

Crédits photo : Imène Benlachtar

Pendant ce temps, C. fait à manger pour tout le monde. La cuisine est ouverte, tout.e occupant.e peut se servir, et ramener ce qu’iel désire. Les discussions fusent, autour des occupations, mais également autour de leurs vies communes. Après deux mois passés ensemble, leur intimité est enchevêtrée avec celle des autres. L’agora peut commencer. Un tour de table est fait pour s’introduire, prénom, activité, pronoms. Les gestes sont ensuite présentés, quel mouvement de main correspond à quoi. Une personne s’occupe de la gestion de cette agora, il donne la parole, prend des notes, relance certains sujets. Cette soirée est décisive, mais il y a trop peu de monde pour réellement faire un choix démocratique. Iels notent différentes options, en écoutant la parole de chacun.e. Des premiers votes sont faits, mais iels attendent les jours suivants pour le vote final. Oui, on continue l’occupation, mais la question est comment. Comment faire entendre nos revendications, comment continuer à mobiliser de nouvelles personnes ? Ces idées ne peuvent pas être partagées au préalable, elles seront bientôt découvertes. Après l’agora, A. nous lit un texte qu’elle a écrit, sur elle, sur la lutte. Laissant comme cadeau une bulle de sensible, omise depuis longtemps. Certain.es finissent par rentrer chez elles.eux, d’autres restent dormir sur place. Le lendemain, après deux mois, la lutte continue. 

Crédits photo : Imène Benlachtar

Le 19 mai, les occupant.e.s de La Colline ont partagé un communiqué, actant le maintien de l’occupation du lieu.  Rappelant, à nouveau, leur mobilisation contre la réforme de l’assurance chômage, mais aussi leur désarroi face à l’absence de réaction du gouvernement sur ces deux mois de luttes, censés être balayés du revers de la main pour un retour à la normale. Cette norme, celle acceptée au préalable, sans la conscience qu’autre chose pouvait advenir, qu’une union autour de l’amour de l’art, autour de l’amour de la liberté, des corps en mouvement, des corps hurlant, des corps s’enlaçant, était possible. 

Crédits photo : Imène Benlachtar

N’hésitez pas à les rejoindre le 22 mai sur le parvis du théâtre de l’Odéon à Paris pour entendre leurs voix, et unir la vôtre aux leurs. 

Leur compte Instagram @occupation_la_colline_2021