Ah l’humour des femmes ! Elles sortent des sentiers battus, elles imposent leur style sur scène et dézinguent les préjugés avec la force de leur caractère. En outre, elles révolutionnent l’humour. Nul doute que vous connaissez les humoristes les plus connues : Florence Foresti, Claudia Tagbo, Anne Roumanoff, Muriel Robin ou encore Blanche Gardin. Mais connaissez-vous les nouvelles figures féminines de l’humour ? Celles qui se sont dévoilées sur les réseaux sociaux ou à la croisée de boulevards parisiens notamment, dans les lieux de stand-up. Au Laugh Steady Crew, à l’Underground Comedy Club, au Good Girls Comedy Club, au Jamel Comedy Club, au Barbès Comedy Club, à Madame Sarfati ou encore au Fridge Comedy Club. Grâce à la multiplication de ces lieux privilégiés, les nouveaux talents n’ont jamais été aussi nombreux.
Article écrit par Léa Pruvoost
Bien sûr, le Covid-19 a mis à mal ces rendez-vous du rire. Qu’à cela ne tienne ! Loin de se laisser dupées et effacées par notre contexte actuel, les artistes envahissent les ondes radiophoniques, les plateaux télévisés ainsi que les feed digitaux, à défaut des salles de spectacles.
Alors accrochez-vous à vos zygomatiques car l’humour des femmes est bel et bien explosif et nous vous en proposons un tour d’horizon.
« Femme qui rit, à moitié dans ton lit » VS « Homme qui rit, homme qui fuit »
Comment parler de l’humour des femmes, sans évoquer notre passé dans lequel celles-ci en étaient, soi-disant, « dénuées » ? En effet, même si l’humour se conjugue aujourd’hui au féminin, initialement cette discipline – comme beaucoup d’autres dans le domaine culturel – était associée à la masculinité. En outre, une énième répercussion du female gaze qui considérait que les femmes de pouvaient pas être drôles puisque le rire était un pouvoir phallique. Un regard qui justifiait également ce genre de réflexion : « t’es drôle pour une fille », « votre inspiration est aussi courte que votre jupe » ou encore « pour une fille belle, t’es pas si bête, pour une fille drôle t’es pas si laide ». Oui ces derniers mots sont bien les paroles d’Angèle dans Balance ton quoi de 2018. Comme quoi ! Certains préjugés ont décidemment la vie dure. Le fameux proverbe « Femme qui rit à moitié dans ton lit » n’a d’ailleurs aucun équivalent. L’expression utilisée dans le titre n’est autre qu’une plaisanterie de l’humoriste Julie Bargeton.
Ainsi, pendant de nombreuses années, être une fille qui l’ouvre pour faire rire et diffuser de l’hilarité n’avait rien d’évident. Au contraire, c’était même assez désarçonnant, voire même castrateur pour certains. Alors quand en plus ces dernières avaient des formes, un accent fort, n’étaient pas blanche, hétérosexuelles, cisgenre… Autant vous dire que la mission était quasi-impossible. A moins de se rabattre sur le registre des stéréotypes et des clichés comme « l’homo efféminé ».
De plus, il y a deux ans, à l’occasion de la Journée Internationale des Femmes, cette thématique avait été abordée sur le plateau d’Europe 1*. Au-delà de connaitre la place des femmes dans ce milieu, une autre question intéressante était posée. « La féminité et l’humour font-ils bon ménage ? » Pour répondre à ces problématiques, les humoristes Noémie De Lattre et Marie s’infiltre étaient les invitées. Nous pouvons citer la première : « Toutes nos ancêtres de l’humour ont dû mettre leur féminité dans leur poche. Zouc, Muriel Robin, Sylvie Joly jouaient à contre-emploi parce qu’une femme n’avait pas le droit d’être belle et drôle ou en tout cas, féminine et drôle. » Ce à quoi Marie s’infiltre ajoute : « Aujourd’hui encore, il y a beaucoup de femmes qui essayent d’emprunter un humour qui serait l’apanage des hommes, c’est-à-dire un humour un peu trash, un humour assez vulgaire. Alors qu’il y a dans la féminité quelque chose de fin, gracieux, de subtil ou à l’inverse quelque chose d’extrêmement provocateur, qui fait rire. »
Fort heureusement, les choses ont évolué et le monde de l’humour est encore « en train de changer » selon Shirley Souagnon, jeune humoriste métisse, lesbienne et genderfluid. De même, il est à noter la forte sororité qui règne dans ce milieu hyperconcurrentiel qu’est l’humour. Nous pouvons citer Melha Bedia : « On n’est pas nombreuses, alors on reste bienveillantes les unes envers les autres. On n’est pas non plus éduquées comme les mecs. Nous, on se dit volontiers ‘Ça, c’était bien’ ou ‘Essaie plutôt ça sur telle vanne’ ». Se serrer les coudes devient donc un véritable atout pour mieux jouer et prendre la parole dans un espace public où certaines voix continuent de déranger.
Les femmes doivent-elles encore aujourd’hui affirmer leur légitimité sur scène ?
En 2018, Blanche Gardin est la première femme à recevoir le Molière de l’humour. Son succès est tel que plusieurs de ses spectacles sont à retrouver sur Netflix. Puis, en 2019, la 31ème cérémonie des Molières restera marquée par la montée en puissance des femmes. En effet, lors de cette prestigieuse cérémonie de remise de prix, la catégorie du Molière de l’humour n’a que des nominées – du jamais vu. Parmi elles, Michèle Bernier, Caroline Vigneaux, Florence Foresti et Blanche Gardin. Il y a également une stricte parité entre metteur.es en scène et auteur.es alors que dans la catégorie seul.e en scène, un homme est en compétition contre trois femmes.
Mais il reste du chemin à parcourir. Numériquement, le nombre d’humoristes féminines célèbres reste inférieur à celui des hommes. De même, elles sont moins représentées au sein des grands évènements comme le Marrakech Du Rire ou le Montreux Comedy Festival. Pourquoi ? Leur visibilité, leur notoriété mais aussi leur humour en sont les raisons. En effet, on reproche aux femmes encore bien des choses. A commencer par le caractère parfois « trop girly » de leurs sketchs : « c’est un truc de nana ». Ou encore la redondance des thèmes avec les rôles « déjà vus » de la mère indigne, la névrosée, la « connasse », l’éternelle célibataire, ect. Enfin, on leur reproche également d’être du côté du politiquement correct et de la bien-pensance. Autrement dit d’être des Bisounours qui s’évertuent à ne faire de la peine à personne. Dans ce sens, effectivement ce n’est pas drôle pour celles et ceux qui restent incapables de rires si on ne tire pas les veilles manettes rouillées (aka la célèbre imitation des roms par exemple). En bref, le registre des femmes serait trop homogène et par conséquent moins diversifié que celui de leurs homologues masculins. D’où une plus faible programmation dans les festivals ou à la télé. Les défis actuels seraient donc de se renouveler et de faire la différence sur une scène humoristique aux propositions toujours plus qualitatives.
Pourtant ces femmes sont audacieuses : elles osent faire autrement, partager un regard décalé et s’évertuent de changer la société à coups de rires. De plus, elles sont souvent auteures, ce qui renforce leur autonomie et leur indépendance. Elles jouissent ainsi d’un triple pouvoir à savoir prendre la plume, monter sur scène et faire rire. L’usage de ces trois forces artistiques est par ailleurs souvent un acte féministe sous couvert de vannes. En effet, il peut être utiliser pour dénoncer les injonctions sociales, les dérives machistes, les inégalités, le harcèlement… C’est pourquoi, nous tenions à consacrer à ses femmes un article dédié pour notre semaine spéciale. Et sans plus attendre, nous vous partageons nos profils favoris.
Nos 10 artistes préférées
Le choix n’a pas été aisé ! Nous vous mettons au défi de sélectionner une dizaine de noms dans une longue liste de personnalités fortes et charismatiques ! Alors oui, vous allez encore avoir droit à un listing. « Un top » comme les médias disent. Mais après tout, elles le valent bien !
Marina Rollman : notre Suisse et Parisienne préférée a le rire communicatif. Très élégante, elle fait une brève apparition dans l’épisode 4 de la saison 3 de Dix pour cent. Elle apporte par ailleurs une touche de poésie et d’absurde sur France Inter dans La Bande Originale, avec sa « Drôle d’humeur ». Si tout se passe bien, son prochain show emplit d’amour, de nonchalance et de réflexions pratiques, Un spectacle drôle, se tiendra à La Cigale du 04 au 07 juin prochain. Sinon en entendant, nous vous recommandons chaudement de regarder ses performances au Montreux Comedy Festival sur YouTube et de jeter un coup d’œil à son site internet : https://www.marinarollman.com/
Fadily Camara : multi-casquettes, Fadily Camara sait chanter, danser et balancer des punchlines hilarantes. En 2019, elle faisait la première partie du Bercy de Farry, une performance incroyable. Vous pouvez retrouver ses sketchs au Jamel Comedy Club sur YouTube ainsi que toutes ses récentes vidéos réalisées à l’occasion du confinement, et croyez-nous se sont de sacrées pépites. La dernière en date ? L’appart du couple brisé, une parodie d’émission de téléréalité qui rappelle Un gars et une fille.
Fanny Ruwet : la jeune belge connaît la même ascension fulgurante que Paul Mirabel. Une jeune carrière artistique, un sketch qui dépasse les 5 millions de vues sur Facebook, une participation au show télévisé Derrière Un Micro, une performance à l’édition 2019 du Montreux Comedy Festival et des interventions aux émissions de Nagui sur France Inter. En bref, un diamant brut à découvrir de toute urgence.
Marie Papillon : alors oui elle n’est pas juste la copine d’Angèle. Marie Papillon est bien une vidéaste et une humoriste hors pair, qui se met régulièrement en scène avec sa fidèle acolyte Bibi, sa chienne de 11 ans sur YouTube et Instagram. De même, elle est la star de la petite série Marie dans ta boîte, qui présente différents métiers sur la première plateforme citée.
Alison Wheeler : révélée par le Studio Begel et connue notamment pour sa chronique dans le Quotidien, cette humoriste est aussi une actrice, une star du web, une Miss Météo et une chanteuse de salle de bain. Elle est également intervenue sur France Inter dans La Bande Originale, avec sa « Drôle d’humeur ».
Nora Hamzawi : humoriste, actrice, chroniqueuse sur France Inter, intervenante dans l’émission Quotidien… Nora Hamzawi a plusieurs talents. Elle est notamment connue pour son sens de la tchatche. Elle remplit des salles en riant de soi, grâce à son autodénigrement. Par ailleurs, les dates de sa tournée 2021-2022 pour son one-woman-show Nouveau Spectacle, reportées en raison du Covid, sont en ligne.
Doully : connue notamment pour sa voix rauque et ses spectacles sans filtre, elle ne vous laissera pas indifférent.es. Elle aussi est passée par Montreux. Avec son humour noir et un peu trash, Doully partage des points communs avec Blanche Gardin. Elle a par ailleurs co-écrit son dernier spectacle Admettons avec cette dernière. Joué au Point-Virgule, cette représentation autobiographique fut un gros succès.
Marie S’infiltre : provocatrice en herbe, son humour ne met pas tout le monde d’accord. Mais il faut reconnaître qu’elle est iconoclaste avec ses actions fortes. La comédienne aime se faire remarquer et est ainsi devenue la reine de l’incruste. Marie S’infiltre est actuellement en tournée pour son spectacle Le Show Inouï.
Florence Mendez : cette Belge est « une petite meuf un peu badass » (elle se décrit elle-même comme ça) avec un humour franc, direct et cocasse. Cette chroniqueuse et humoriste n’a peur de rien, quitte à entrer dans la compétition. En effet, elle a participé ce jeudi 04 mars au Gala Paris VS Province, un évènement digital en direct depuis le Théâtre de la Tour Eiffel.
Marion Mézadorian : cette one-woman-show est la bonne copine qui nous partage ses histoires. Son enfance sur les marchés, son devoir de connaître les règles du foot, ses débuts au théâtre, ses petits boulots, sa grand-mère arménienne, ses fiertés ou pas… En bref, elle nous partage des Pépites, nom de son premier spectacle au Point-Virgule en 2020, reporté en raison du Covid. Mais ne vous inquiétez pas, vous pouvez trouver plusieurs de ses vidéos sur YouTube.
Les autres humoristes et comédiennes n’en démordent pas. Nous vous recommandons chaudement d’aller voir également les vidéos et réseaux sociaux des femmes citées ci-dessous :
Pour écouter l’émission d’Europe 1, du 08 mars 2019 – « Comment les femmes imposent leur style dans le milieu de l’humour ? » – dans laquelle les humoristes Noémie De Lattre et Marie s’infiltre prennent la parole, cliquez ici.
De la même manière, pour approfondir le thème abordé et remonter le temps, nous vous conseillons les lectures suivantes :
- QUEMENER Nelly. « Des pratiques subversives ? Les humoristes françaises dans les talk-shows ». Recherches féministes, 2012, Volume 25, Numéro 2, p. 139–156. Disponible ici.
- HENCHOZ Caroline. « De l’humour féminin comme d’une compétence sociale pour gérer et contester les rapports de pouvoir et les inégalités dans le couple ». Recherches féministes, 2012, Volume 25, Numéro 2, p. 83–102. Disponible ici.
- SAUZON Virginie. « Le rire comme enjeu féministe : une lecture de l’humour dans Les mouflettes d’Atropos de Chloé Delaume et Baise-moi de Virginie Despentes ». Recherches féministes, 2012, Volume 25, Numéro 2, p. 65–81. Disponible ici.