Théo Grosjean a 24 ans et publie régulièrement des pages de sa BD “L’homme le plus flippé du monde” sur Instagram qui réunie plus de 13 000 abonnés. Le jeune Lyonnais a également publié dans la collection Shampooing, la BD Un gentil orc sauvage qui cache une parole engagée sous des traits d’heroic fantasy.
Propos recueillis par Eva Darré-Presa
Bonjour Théo, est-ce que tu peux nous parler un peu de toi ?
Je suis un très jeune auteur de BD qui a commencé sa petite carrière en 2017. J’ai fait l’école Emile Cohl à Lyon. C’est une école de dessins animés, jeux vidéos et illustration. En sortant de l’école, que j’ai pas tout à fait finie, je me suis directement mis sur une BD sortie aux éditions Delcourt Un gentil orc sauvage. Avant ça, j’avais fait une parodie de Star Wars, un peu plus commerciale, chez Jungle, qui raconte la vie du nouveau méchant Kylo Ren, dans un contexte de vie privée.
Ensuite j’ai commencé le projet L’homme le plus flippé du monde sur Instagram il y six ou sept mois. Ça fait très longtemps que j’avais envie de faire une BD sur Instagram, je trouvais le format intéressant.
Un gentil orc sauvage parle des aventures d’Oscar et de la Princesse Olive, deux orcs qui fuient la guerre dans leur pays. Tu abordes donc le thème de la migration transcrit dans l’heroic fantasy. Pourquoi avoir choisi d’aborder ce thème ?
Déjà, le sujet des migrants et des réfugiés m’intéresse beaucoup. C’est intéressant d’un point de vue narratif. Les voyages de réfugiés sont narrativement assez puissants, il y a beaucoup d’émotions et d’aventures. Les éléments clefs de l’heroic fantasy s’y retrouvent beaucoup. Je me suis dit que ça pouvait être intéressant de le retranscrire. Ça me touche, puisque j’ai pu rencontrer une réfugiée à Lyon et j’ai pu m’intéresser à sa vie. J’avais le sentiment de ne pas être assez « spécialiste » pour faire une BD qui retranscrit telle quelle l’histoire d’un réfugié, donc je me suis dit que ça pouvait être pas mal de retranscrire ça dans un univers fantastique qui permettait de prendre un peu de recul.
Tes personnages se défont des stéréotypes inculqués aux filles et aux garçons, ou même en fonction de leurs « nationalités » (la chef des gobelins est un orc). Qu’est-ce qui t’a donné cette envie de tout chambouler ?
C’est une inversion des schémas classiques, comme par exemple le personnage principal qui n’a pas forcément les caractéristiques d’un héros et qui ne cherche pas forcément à se battre. Il porte une robe les trois-quart du récit, même si c’est relativement justifié dans l’histoire. J’ai eu l’idée de cette robe parce que j’ai un pote à Lyon qui en portait une quand je suis allé chez lui. Il m’a dit « je sais pas, je suis bien », quand je lui ai demandé pourquoi, et en fait c’est vrai, pas de soucis. Et moi même je trouvais ça bizarre alors qu’en me posant la question, je me suis dit « Pourquoi pas, surtout si en plus si on est bien dedans ! ». C’est ce qui m’a donné envie dans le récit qu’Oscar porte une robe et que ça ne pose pas de problèmes aux autres personnages autour de lui. C’est comme s’il portait un pantalon.
D’ailleurs ce qui est intéressant c’est que, quand j’ai gagné un prix à Montreuil, le jury était composé d’enfants. Quand on a parlé du bouquin, à aucun moment ils ne m’en ont parlé. Et pourtant c’était un jury assez hétéroclite qui venait de tous les milieux sociaux. Ce sont plus les adultes que les enfants qui me font des remarques.
L’idée était vraiment d’inverser les profils de personnages. La princesse incarne le « barbare » classique dans le fantasy mais en même temps c’est une femme et une princesse. Je trouvais ça intéressant de mélanger les clichés, pas juste d’inverser.
Sur la 4e de couverture un petit oiseau nous prévient qu’il n’y a pas de gentil orc sauvage. Qu’est ce que ça signifie ?
C’est une référence à la fin du livre. Tous les enjeux du livre sont autour des orcs sauvages, qui sont des orcs ayant décidés de revenir à leur état de nature et de réinstaurer un règne naturel qui n’a aucun sens dans cet univers moderne et civilisé. Les orcs sauvages, c’est un concept qu’ils ont inventé, eux ce qu’ils veulent c’est revenir à l’état sauvage alors qu’à aucun moment on ne sait s’ils se sont vraiment baladés à poil. Le fait de dire qu’il « n’y a pas de gentil orc sauvage » ça veut dire que toutes les affirmations qu’on peut faire sur ce sujet sont erronées. C’est l’absurdité des mouvements radicaux.
Ta BD est éditée par la collection Shampooing et par Lewis Trondheim, créateur entre autres de Lapinot et Donjon. Comment en es-tu venu à travailler avec lui ?
C’était mon prof de BD à l’école ! Il a bien aimé mon boulot, je pense. J’étais très motivé, je lui montrais beaucoup mon boulot. Et puis en tant qu’auteur, j’adore ce qu’il fait. Ça se ressent un peu dans la BD, il y a des liens notamment avec Donjon et son côté heroic fantasy. J’adorais son travail, j’étais hyper content qu’il soit mon prof et du coup je me suis énormément investi dans son cours. Je pense que c’est ce qui a fait qu’il m’a un peu repéré. Souvent dans les écoles d’art, peu veulent faire de la BD.
Le travail sur la BD avec Lewis s’est super bien passé et il m’a bien aiguillé sur des trames scénaristiques. Le livre n’aurait pas la même forme sans cet éditeur. Il y a des chapitres entiers que j’ai recommencé suite aux conseils avisés qu’il m’a donné !
La BD est en noir et blanc. As-tu envie de travailler la couleur pour les prochaines ?
Un gentil orc sauvage est en noir et blanc déjà pour des questions de temps et parce qu’à la base le bouquin n’était pas forcément jeunesse. Le noir et blanc reste un code pour signifier que c’est pour les adultes, même si j’ai un trait qui fait plus jeunesse.
Je travaille sur deux bouquins en ce moment, un qui va sortir chez Soleil, la collection Noctambule, qui sont généralement des adaptations de romans en BD. C’est un récit un peu intimiste, mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant. Pour ce récit-là, je vais faire de la couleur. Sinon, sur L’homme le plus flippé du monde, je travaille avec du doré et un trait noir.
Tu sors régulièrement sur Instagram des épisodes de ta BD L’homme le plus flippé du monde. D’où t’es venu l’inspiration pour créer ce personnage ?
Le personnage est très autobiographique, presque toutes les anecdotes sont « vraies », même si je les améliore pour que ce soit un peu plus croustillant.
Je trouve qu’avoir peur c’est toujours drôle parce qu’il y a ce décalage entre le film qu’on se fait dans sa tête et la réalité. C’est exploitable assez facilement en gags !
Pourquoi avoir choisi le format Instagram ?
Ce format est hyper intéressant parce que c’est l’endroit où il y a le plus de comparaisons. Je trouvais ça marrant de parler de la peur sociale et de l’anxiété sur un réseau qui lui-même en produit. J’aimais bien l’idée de retourner le média contre lui-même !
Qui sont les dessinateurs/trices qui t’inspirent le plus ?
Je suis pas mal inspiré par la « nouvelle vague » de la BD française qui a un peu été lancée par Lewis Trondheim, Joann Sfar et David B., tout ces auteurs qui ont émergé dans les années 80-90. J’aime bien aussi Moebius pour le dessin plus réaliste. Plus récemment il y a aussi Riad Sattouf, son humour et sa façon de raconter les choses me plaisent beaucoup.
J’aime aussi tous les vieux mangas japonais des années 50-60 avec Osamu Tezuka et Shigeru Mizuki. J’adore aussi Miyakazi dans le cinéma d’animation.
Pour en découvrir plus sur Théo Grosjean et ses aventures, rendez-vous sur Instagram et sur sa page Facebook.
Un grand merci à @helichrysum_ d’avoir illustré l’article !