Et si je vous disais que vous ne verrez plus vos foulards de la même façon ? Et si l’accessoire de mode 2020 cachait derrière lui une connotation sexuelle oubliée ? Et si je vous dis Hanky Code / Code foulard / Western / États-Unis / Libération sexuelle / LGBT+ / Grinder / Fétichisme, vous me dites, vous me dites ?

Article écrit par Ena Morame

Vous voyez, ce bout de tissu aussi appelé « carré de soie » qui vous coûtera un PEL chez Hermès, ce carré de coton que vous nouez autour du cou aux ferias, celui que vous mettez dans les cheveux pour orner votre jolie coiffure ou que vous enroulez autour de votre sac à main pour lui donner un look vintage ? Et si je vous disais qu’il a vécu une vie trépidante et une sexualité totalement débridée dans les années 70 ? Vous ne verriez plus votre accessoire fétiche de la même manière et une chose est sûre, il y a 50 ans, il valait mieux ne pas vous tromper de couleur sous peine de créer un gros quiproquo au moment des galipettes torrides de fin de soirée ! Attention, vous ne pourrez pas dire que je ne vous avais pas prévenus !

Revenons en arrière. Nous sommes au milieu du XIXe siècle dans l’Ouest des États-Unis. En pleine ruée vers l’or. Ça vous parle ? Si si, les cow-boys, le far-west, les saloons, les duels aux revolvers et cette musique si caractéristique des westerns que je vous aurais chantée avec plaisir si on se connaissait un peu plus. À cette époque, les femmes se font très peu nombreuses. Très peu c’est même 8% au maximum d’après The California Census of 1850. Les hommes venus à la conquête de l’or viennent en grande majorité seuls. Ce qui pose problème lors des danses carrées. Les « square dances ». Elles se dansent en quatre duos. Chaque duo représentent un côté du carré. Le but est de réaliser les mêmes pas synchronisés. La « square dance » est parfois appelée « call dance » en raison d’un duo de « Callers » qui mène la chorégraphie.

Pour combler le manque de femmes, les hommes mettent en place une astuce pour danser entre eux : les hommes qui porteront un foulard bleu au bras danseront à la place de l’homme, ceux avec un foulard rouge danseront à la place de la femme. Et hop, tout le monde est content, c’est parti, on peut festoyer et on laisse aucun Bébé dans un coin ! (Vous avez la ref ?) C’est alors l’apparition du « hanky code » qui vient de « handkerchief code » (bonne chance pour la prononciation) traduit par « code foulard » aka « code mouchoir » aka « code bandana » si vous préférez. On peut partir en synonymes pendant des heures comme ça. Bref, le bandana était attaché généralement autour du bras, de la ceinture ou de la poche arrière des jeans.

C’est au début des années 70 que le foulard revient en force aux États-Unis dans le milieu homosexuel. Jusqu’ici, il existait d’autres signes de reconnaissance. On pouvait porter des tenues de couleur verte, des manteaux en poils de chameau, des chaussures en daim et les Parisiens du collectif CHUT (Comité Homosexuel Urbain des Transports) avaient même été jusqu’à se réserver la deuxième voiture de la rame de métro. Mais c’est le trousseau de clés qui était la grande vedette dans les soirées gays. Accroché au pantalon, il donnait un indice sur les tendances sexuelles de la personne. À gauche, on était actif, à droite on était passif. C’est encore plus rapide que de faire semblant de s’intéresser à quelqu’un sur les applications de rencontre ! On en connaît la couleur dès le début et en parlant de couleur, c’est peu dire. Encore faut-il ne pas confondre sa gauche et sa droite !

En 1971, nous sommes à New York et c’est un journaliste du Village Voice, un hebdomadaire gratuit, qui propose sous le ton de l’humour de remplacer le code du trousseau par un foulard dans la poche arrière du jean pour donner plus de précisions sur ses préférences sexuels. On garde alors le principe du côté gauche (actif) et du côté droit (passif) et on y ajoute des couleurs en fonction de ses pratiques sexuelles. La communauté LGBT+ s’empare de l’idée et c’est le retour du « hanky code » aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Europe.

Vous connaissez les États-Unis et leur capacité à tout changer d’un État à l’autre ? Et bien le code couleur aussi pouvait varier d’un État à l’autre. Seules les pratiques les plus fréquentes gardaient la même couleur dans tout le pays et parfois c’était une question de logique : le jaune pour l’ondinisme, aussi appelé urophilie ou kiffeurs de golden shower, le brun pour les tendances scatophiles et le noir pour les SM. Composée de 12 couleurs, au départ pour ses 12 pratiques sexuelles les plus communes, la liste s’est agrandie pour atteindre plus de 70 nuances de couleurs qui sont parfois très subtiles allant de Noir (Heavy SM) au Noir à carreaux (Safe sex), Noir à rayures (Likes black), Charbon (Latex fetish), Gris (Bondage), Gris avec motifs blancs (Light SM) et j’en passe.

Et comme si ce n’était pas assez compliqué, il y a la pénombre, les spots de lumières et l’alcool qui vous feront peut-être douter si le bandana est rose pâle, mauve ou fuchsia. Autant vous dire qu’il valait mieux réviser son tableau Pantone avant d’aller en soirée et que ce n’était pas le moment d’être daltonien sous peine de vous retrouver avec un fana du Fist Fucking alors que vous rêviez seulement d’un adepte de la fessée. Et puisque les couleurs et les motifs ne suffisaient pas, la matière du foulard est elle aussi entrée dans le game : le noir en velours (ébats filmés), le gris en flanelle (fana des hommes en costume)… Le code vit ses heures de gloire de 1970 à 1980, mais devient de plus en plus complexe. Les partisans du foulard se font de moins en moins nombreux et c’est certainement ce qui a couru à sa perte.

De nombreux artistes lui feront néanmoins un clin d’oeil, comme Bruce Springsteen sur la pochette de son album Born in the U.S.A sorti en 1984 mais aussi Peaches en 2006 avec sa chanson Hanky code.

« What’s that hanging out of your pocket ? Do you actually know what that means ? (…) Are you left ? Are you right ? Are you switching just for tonight ? I don’t even know all the codes, but Baby you better find out before you go. And, if you wear it, you too. They’re gonna come to you. »

Plus récemment, c’est le collectif de cinéastes queer Periwinkle Cinema qui a réalisé 25 courts-métrages aux quatre coins du monde par des artistes différents, chacun consacré à une couleur de foulard et sa tendance sexuelle associée. Ils sont sortis en 2015 et ont été présentés au Porn Film Festival de Berlin la même année. On peut par exemple citer Pee-colored ou Indigenous Luv.

Le foulard, avant d’être l’accessoire incontournable 2020, était le Grinder des années 70 mais surtout une ingénieuse idée avant l’arrivée des emojis 🍆🍑💦🔞👅🍒👉👌🍩  qui submergent les sextos du XXIe siècle. Alors, je ne sais pas vous, mais quand je le vois porté aux abords des Fashion Week, dans la rue ou dans ma garde-robe, ça me fait sourire.

Dites, je ne vous avais pas dit que vous ne verriez plus vos petits noeuds dans les cheveux de la même façon ?