Russell T Davies, connu pour ses séries queers ancrées dans la société anglaise, telles que Queer as Folk (1999) ou dernièrement Years and Years, revient cette année avec un nouvel objet magistral, It’s a sin. Cette série diffusée exclusivement sur Canal + en France est découpée en cinq épisodes de cinquante minutes. Le premier épisode acte la rencontre avec les personnages, séparément. Roscoe, Ritchie et Colin. Nos trois protagonistes, fraîchement débarqués dans Londres en 1981, vont être réunis avec Ash et Jill grâce à la communauté gay londonienne. Ce club des cinq est vite acté dans la location d’un appartement commun appelé le Pink Palace. Ils ont tous dix-huit ans, quittent le foyer familial, et aspirent à des avenirs différents. Mais leurs ailes qui n’attendaient que le déploiement, loin de leurs parents, loin des conventions, vont être vite coupées par l’arrivée du sida dans la communauté.
Article écrit par Imène Benlachtar
Cette série dans ses prémisses nous donne envie de danser, de rire, d’embrasser. La bande son 80 extrêmement maîtrisée y est pour beaucoup. De Blondie à Bronski Beat en passant par Kim Wilde. La caméra virevolte autour d’eux dans des couleurs saturées. On les observe avec joie dans cette découverte d’eux-mêmes, dans la découverte de la jouissance, du corps de l’autre. Les caractères de nos cinq protagonistes commencent à se tisser, on apprend à les connaître, on apprend à tous les apprécier, même avec leurs défauts. On a la sensation d’intégrer une réelle bande d’amis, on se sent vite intégrés. On oublierait presque le sujet de la série. Puis le virus s’instaure.
On voit, nous, spectateurs de 2021, ayant connaissance du nombre de morts du sida à cause de l’inaction institutionnelle, des personnages qui n’y croient pas. Des personnages qui pensent que ce n’est qu’un problème étatsunien, ou une invention pharmaceutique. Alors on les voit continuer à profiter, tout en sachant que ça pourrait être irrémédiable. Sans savoir pour qui. Et au fil des épisodes, on commence à compter nos morts. Les morts de la bande d’amis que nous, spectateurs, venons d’intégrer. Ceux qui nous ont fait rire, nous ont touchés par leur sensibilité, nous ont agacés par leur égoïsme parfois, meurent. Et l’impuissance est le seul sentiment à convoquer.
Cette impuissance presque spectatorielle est incarnée par Jill, la seule figure féminine de cette bande d’amis. Elle est une des premières à se dire que ce n’est peut-être pas qu’une problématique étatsunienne, que peut-être, il faudrait penser à se protéger. On ne la prend pas au sérieux, pas tout de suite. Alors elle se retrouve enfermée dans le care ; la femme qui oeuvre dans le privé, dans le secret parfois, celle qui fait attention à tout lorsque les autres vivent leur vie, celle qui doit vite prendre en charge toutes les tâches domestiques du Pink Palace. Tout le monde jouit sauf elle. Jill materne ses amis. Ce personnage est peut-être le seul point de faille de la série dans son absence de trajectoire personnelle, qui se ferait en dehors de sa figure de mère poule. Mais il demeure clé dans la démonstration de ces pairs qui subissent l’épidémie de plein fouet. La série nous montre brillamment la place des proches dans la maladie, les différentes réactions de ces parents qui, majoritairement, apprennent l’homosexualité de leur fils en lui disant adieu.
Ce qui reste à nous, spectateurs de 2021, c’est la colère de voir l’inconscience sur le sujet à l’époque. De voir la maladie étouffée par le gouvernement Thatcher. Un des personnages dit que si ceux qui mouraient par centaines étaient des hétérosexuels, un vaccin aurait déjà été trouvé. Cette violence, qui va de demander aux homosexuels s’ils sont zoophiles à l’hôpital, jusqu’à les enfermer contre leur gré parce que supposément contagieux, en passant par la culpabilisation des familles et de la personne malade, est extrêmement éloquente. On hallucine face à cette bêtise humaine qui fait des ravages. Mais on demeure puissamment attachés à nos protagonistes, parce qu’ils restent attachés à la vie. L’un d’eux, je vous laisse découvrir lequel, dit avant de décéder qu’il s’est tellement amusé, que c’était si heureux, mais que tout le monde l’oubliera.
Grâce à It’s a sin, et d’autres productions culturelles de ces dernières années qui ont réussi à insuffler la vie dans ce pan de notre histoire commune, on sait, et on n’oubliera pas, promis.
Disponible sur Canal +