Le téléphone sonne, j’attends que ma correspondante décroche. Aujourd’hui je rencontre Alice*. Cette étudiante casée depuis presque cinq ans avec son deuxième copain n’a pas vraiment l’habitude qu’on lui pose des questions sur ses folies sexuelles. D’ailleurs, lorsqu’elle décroche, j’entends tout d’abord un peu de nervosité dans sa voix.

Crédit photo : Matthew Henry

Article écrit par Nina Lachery

« Je ne sais pas si tu vas avoir de quoi faire un article avec moi » m’avoue-t-elle, presque coupable. « Je n’ai pas grand-chose à raconter. »

Elle s’imagine sans doute que je m’intéresse uniquement au passionnel torturé et aux traumatismes cachés, mais à mes yeux il n’y a pas de classement de valeur dans le sexe. Pas de gagnant ni de perdant. Et heureusement d’ailleurs !

Pour la mettre doucement dans le bain, je lui demande de me parler de sa première relation et de son copain actuel. Alors qu’elle s’apprête à prendre la parole, j’entends un rire. Nous sommes sur écoute.

« Ah, toi ! De toute façon, dès qu’on parle de sexe, ça attire ton attention ! » s’exclame-t-elle en riant.

Difficile en effet de pousser le-dit copain dehors quand on est en plein confinement et qu’on vit dans un studio étudiant. J’entends vaguement Alice le menacer de l’enfermer aux toilettes s’il interrompt la discussion, avant qu’elle ne reprenne, plus amusée que nerveuse cette fois-ci.

« Ma première relation n’était pas géniale » m’explique-t-elle maintenant. « Mais finalement, on est nombreuses à penser ça et ce n’est pas en y repensant que je vais changer l’histoire. Il y a des filles avec des premières relations bien pire que la mienne. »

C’est avec assurance cette fois-ci qu’elle me dit qu’elle n’a vécu aucun traumatisme dans cette « erreur de parcours » et que désormais elle sait que le sexe, c’est avant tout un échange entre des partenaires ou de soi à soi.

« C’est excitant de se dire qu’on assouvit le fantasme de l’autre. » ajoute la jeune femme.

Selon elle, l’excitation est importante mais ne fait pas tout. Avec le recul, elle se rend compte que beaucoup de relations sexuelles « quand on débute » se font plus par excitation que par réelle envie. Curieuse, je lui demande si cette excitation passe toujours par un partenaire.

« Non ! » réplique-t-elle avec le sérieux d’une présentatrice télé. « C’est une question de plaisir avant tout, d’abord seule, puis en couple. C’est une question de partage et de communication aussi quand on est en couple, mais toujours de plaisir. »

Pendant quelques minutes, elle prend la voix d’une intervenante d’éducation sexuelle. Elle trouve fou qu’il n’y ait pas plus de discussions avec les jeunes filles et d’encouragements à découvrir son corps. Pour elle, le plaisir a été découvert en solo avant que son partenaire ne puisse vraiment lui rendre la pareille.

« Maintenant, je me connais bien, j’ai confiance en mon copain, je peux vraiment exprimer ce dont j’ai envie. » ajoute-t-elle avant d’être coupée par un rire étouffé.

Je me demande forcément si cet épanouissement de sa libido vient vraiment des échanges avec un partenaire de longue date ou si, dans d’autres circonstances, elle passerait un aussi bon moment au lit. En d’autres termes : que penses-tu du coup d’un soir ?

Même avant d’être en couple, Alice m’avoue n’être jamais vraiment sortie pour séduire et je remarque chez elle une forme de naïveté. Elle qui n’a jamais été dans les jeux de séduction et dont les deux relations amoureuses et intimes ont évolué d’échanges amicaux comme dans les films romantiques, ne remarque pas le regard que d’autres peuvent porter sur elle. Les flirts lui passaient sans doute au-dessus de la tête. Je l’entends se retourner vers son copain et lui intimer de se boucher les oreilles.

« Si j’étais célibataire alors… » réfléchit-elle à voix haute. « En fait… il faudrait que je sois vachement bourrée. »

Elle émet un petit rire. Elle n’a jamais été dans une situation du genre, « je suis toujours restée plutôt sage » et même si elle ne s’imagine pas aller jusqu’à l’acte, elle n’a pas de problème avec l’idée. « Tant qu’on prend ses précautions. » remarque l’intervenante d’éducation sexuelle que j’ai réveillée en elle.

Je lui demande si elle a des fantasmes ou des envies particulières, assouvis ou non. Cette fois-ci elle n’a aucun scrupule à être entendue par son petit-ami. Je la sens tout de même rougir de l’autre côté du téléphone.

« Oh… » répond-elle.

Elle laisse flotter un petit silence et je me demande quel est le dada sexuel de cette jeune femme que certains jugeraient un peu fleur bleue.

« Eh bien, je suis très attirée par la soumission, lâche-t-elle d’un coup. J’aime quand l’homme domine. »

Alice m’explique que ses envies sur le plan sexuel lui sont parfois apparues comme en contradiction avec ses convictions. Féministe féminine fortement attachée à l’égalité homme-femme (son couple pratique la politique du « tu t’épiles, je m’épile ») elle a mis un moment avant de concilier son mode de pensée avec les effets que lui faisaient la lecture de Cinquante Nuances de Grey.

« C’est une question de mise en scène, parfois on a des délires un peu chelou… » dit-elle avant d’ajouter « J’imagine qu’il y a des situations qui m’excitent. C’est l’idée d’être maîtrisée ou forcée mais pas vraiment parce que ça serait horrible si c’était pas fait dans l’écoute. Il faudrait un mot qui soit similaire mais pour parler de rapports comme ça mais voulus… »

Je lui propose le mot contrainte, qui a l’air de convenir à son MOTUS personnel.

« Oui, c’est ça : avoir l’impression d’être contrainte, d’être dominée, mais seulement par mon copain et tout en sachant exactement que si je dis non, on arrête. »

Elle remarque ensuite : « Je n’aurais jamais osé exprimer ce fantasme si j’avais pas eu un copain compréhensif ».

J’imagine aussi qu’il apprécie la chose car je l’entends rire dans sa barbe en arrière-plan.

« Ça ne veut pas dire que je n’aime pas contrôler aussi ! » reprend-elle vivement. « La soumission c’est une chose, mais il y a plein d’autres choses qu’on peut aimer faire ou recevoir ».

Pour conclure, je demande à Alice si elle a quelque chose à dire aux personnes qui s’interrogent sur leur sexualité.

« Si vous envisagez d’explorer votre sexualité avec une autre personne, essayer de mettre en place une bonne communication. Ça peut prendre du temps mais c’est important de pouvoir dire qu’on n’a pas envie de quelque chose -voire qu’on n’a pas envie du tout- et d’exprimer des envies sans avoir peur de la réaction de l’autre. »

* Pour préserver l’anonymat, le prénom a été changé