Avec Ensemble, on aboie en silence, son livre sorti en septembre 2020, Gringe (Guillaume Tranchant de son vrai nom), continue d’exploiter de façon sporadique un talent protéiforme qu’il ne cesse d’excuser au fur et à mesure qu’il se dévoile.
Article écrit par Lucas Rougerie
Gringe touche le grand public depuis peu. Si les puristes de rap le découvrent en 2006 sur la compilation Original Bombattak, portée par les comètes Brasco et El Matador, il explose au milieu des années 2010, sous l’impulsion d’Orelsan, le compère de toujours et autre moitié des Casseurs Flowters. Un album (Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters) ; un film (Comment c’est loin) accompagné de sa BO et un programme court sur Canal Plus (Bloqués) plus tard, Gringe devient un acteur légitime et demandé. Pas mal pour celui qui se présente comme « un imposteur », pour sa tendance à s’empêcher d’avancer, avec le complexe de légitimité qui va avec.
Il joue pour Olivier Marchal dans Carbone, pour Andréa Bescond et Eric Métayer dans le multi-primé Les chatouilles ou encore pour Sébastien Marnier dans le plus confidentiel mais non moins exigeant L’heure de la sortie. Des rôles aux cahiers des charges éloignés montrant la crédibilité de l’artiste aux yeux de ses nouveaux pairs. En parallèle sort Enfant Lune, un album introspectif dont le titre suffit à résumer l’état d’esprit du rappeur : fuir la lumière pour se lover dans une discrétion ouatée.
Et puis, il étonne sans surprendre lorsqu’il annonce, pour la fin de l’été 2020, la sortie d’un livre consacré à la schizophrénie de son frère Thibault, Ensemble, on aboie en silence. La bande originale qui l’accompagne, éponyme et éthérée, est une ballade mélancolique aux mille promesses pour un petit frère qui n’en demandait pas tant.
Le format – des mini-chapitres dont certains frôlent la brève – permet de faire durer le plaisir et d’étaler la lecture, sans perdre le fil de cette histoire familiale, comme on rationalise le visionnage d’une série quand on sait que la saison deux n’est pas encore programmée. Les explications scientifiques du bouquin sont suffisamment rationalisées pour ne pas perdre le profane en route. Il raconte la culpabilité du proche qui va bien en plus de ne pas pouvoir guérir une maladie incurable, avec une authenticité souvent touchante, parfois désarmante. Il est ce proche dont le taux de culpabilité est corrélé à la réussite sociale ou professionnelle. Lorsque les curseurs s’envolent, il devient indispensable que l’euphorie redescende, pour éviter l’éloignement avec le proche. Un éloignement craint aussi tant son petit frère, tenu en modèle par Gringe, est indispensable à l’équilibre du rappeur/acteur/auteur.
Ensemble, on aboie en silence poursuit, à l’instar d’un Fianso comédien au festival d’Avignon, l’entreprise de déconstruction des stéréotypes entourant les rappeurs français, si souvent caricaturés et mésestimés.
En musique, au ciné ou à l’écrit, le prochain chapitre de la saga Gringe sera à n’en pas douter une nouvelle étape dans cette entreprise au long cours.